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Par Yves de Kerdrel

Aucun des sujets qui vont modeler la France n’est abordé. Comme si certains avaient peur qu’on n’ouvre le capot de leur programme pour y voir la qualité du moteur.

À cinquante jours du premier tour de la prochaine élection présidentielle, les Français ont de quoi être dépités, fatigués par le spectacle de la vie politique, voire écoeurés par le déni de démocratie. Bien sûr il n’y a pas de journal de 20 heures sans qu’un candidat soit invité à expliquer à quel point il est l’homme providentiel. Bien sûr l’actualité récente a été émaillée par le ralliement de François Bayrou à Emmanuel Macron, ou par celui de Yannick Jadot à Benoît Hamon. Bien sûr l’acharnement judiciaire qui frappe François Fillon depuis un mois s’est maintenant reporté, très curieusement, sur Marine Le Pen.

Tout se passe comme si les principaux candidats faisaient tout pour ne pas parler du fond

Il y a bien une actualité politique dense, avec des rebondissements, des déclarations fracassantes, des gaffes, des trahisons, des marques de fidélité, et surtout pléthore de sondages qui continuent de faire la loi, malgré leur fiabilité aléatoire. Mais ceux qui sont concernés par la dette colossale de la France, par le redressement du niveau de notre éducation nationale ou par les moyens attribués au cours des prochaines années à nos armées peuvent toujours attendre. Aucun candidat n’y fait mention dans ses meetings, dans ses interviews ou dans ses déclarations publiques.

Tout se passe comme si les principaux candidats faisaient tout pour ne pas parler du fond, et pour attaquer leurs concurrents sur la forme. On nous dit qu’Emmanuel Macron a rendu public son programme sur la sécurité. Et pourtant il n’y a pas un mot sur la manière dont la France doit lutter contre l’islam radical. Le même candidat explique qu’il va investir 50 milliards d’euros, baisser les prélèvements obligatoires et diminuer de seulement 60 milliards d’euros les dépenses publiques. Mais qu’adviendra-t-il de la dette de 2 150 milliards d’euros laissée par François Hollande ? Et comment se fait-il qu’aucun candidat ne soit interrogé sur la mère de toutes les réformes : celle qui doit concerner l’école maternelle et primaire ? De manière à ce que tous les enfants accédant au collège sachent lire, écrire et compter.

Ce hold-up démocratique est sans précédent en France

Aucun des sujets essentiels qui vont modeler la France de 2017 à 2022 n’est abordé. Comme si certains avaient intérêt à ce qu’on n’entre surtout pas dans les détails, à ce qu’on n’ouvre pas le capot de leur programme pour y voir la qualité du moteur. Comme si la campagne devait rester aux mains des officines chargées de salir tel ou tel candidat, et des médias spécialisés dans la reprise de ces informations qui ne font pas le jeu ni la grandeur de la démocratie. Comme si les Français devaient se prononcer le 23 avril prochain sans savoir précisément ce qu’on leur propose.

Ce hold-up démocratique est sans précédent en France. Et ce ne sont pas les débats annoncés pour les semaines à venir qui vont y remédier. Pas plus que le traitement de l’actualité électorale par les chaînes d’information. Que la première d’entre elles, propriété du milliardaire Patrick Drahi, ait consacré 47 % de son temps d’antenne au cours des trois derniers mois à Emmanuel Macron, dont l’équipe compte l’ancien banquier du tycoon des télécoms, comme l’a révélé la semaine passée le site Internet de Marianne, au détriment des autres candidats pose un autre problème démocratique. Et que le CSA, chargé de veiller à l’équité des temps de parole et d’antenne, n’ait pas réagi pose question sur le bon fonctionnement de cette campagne.

Entre l’acharnement judiciaire sur François Fillon, le harcèlement du même ordre sur Marine Le Pen, le peu d’intérêt marqué à la candidature de Nicolas Dupont-Aignan et la surexposition d’Emmanuel Macron, cette campagne présidentielle ne ressemble à aucune autre. Elle semble organisée pour priver les Français d’un véritable exercice démocratique avec une nécessaire confrontation des projets. Pour finalement donner raison à la boutade d’Oscar Wilde qui affirmait que « la démocratie, c’est l’oppression du peuple par le peuple pour le peuple ».

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