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Churchill disait que le champagne est nécessaire en temps de défaite… et obligatoire en temps de victoire. On ne sait pas si le champagne était au menu à 46 euros de la brasserie la Rotonde, où le candidat d’En Marche !, grisé par son succès, est parti célébrer (peut-être prématurément) sa victoire. Dans ce restaurant bourgeois, fondamentalement macroniste (chic mais pas trop, carte traditionnelle mais moderne, situé à la fois dans le quartier des éditeurs raisonnablement de gauche et des écoles privées franchement élitistes), les marcheurs ont savouré l’incroyable et fulgurante ascension de leur héros jusqu’aux marches du pouvoir.
« Emmanuel Macron pense, probablement à juste titre, que c’est du tout cuit. Que le réflexe républicain sera le plus fort. On l’espère avec lui. Mais la plus grande prudence s’impose. »
Certes, la Rotonde est loin d’être le Fouquet’s. Mais la France qui souffre et qui a balancé aux orties « le système » risque de tiquer sur le symbole. Car pour elle, les Champs-Élysées ou le boulevard du Montparnasse incarnent mêmement la vie rêvée de ceux qui s’en sortent, alors qu’elle ne s’en sort plus.
Après un premier tour, on fait profil humble, on rassemble, on rassure. Emmanuel Macron pense, probablement à juste titre, que c’est du tout cuit. Que le réflexe républicain sera le plus fort. On l’espère avec lui. Mais la plus grande prudence s’impose. Les électeurs dépités ont parfois des réflexes jusqu’auboutistes. Qu’on se réjouisse ou pas de son arrivée en tête au premier tour de l’élection présidentielle, nul ne peut ôter à Emmanuel Macron :
1/ d’avoir coiffé au poteau Marine Le Pen en lui arrachant la première place, alors qu’on s’était presque habitué à la voir caracoler en tête des scrutins électoraux. C’est une excellente chose.
2/ d’avoir réussi un hold-up parfait sur une élection prétendument imperdable pour la droite.
« Faire imputer l’entière responsabilité de l’échec des Républicains au candidat Fillon sera un jeu d’enfant, car beaucoup de Républicains le pensent déjà. »
Emmanuel Macron a compris que les Primaires allaient se révéler un piège qui adouberait les candidats les plus radicaux de chaque formation. Il a bénéficié d’une énorme baraka (mais la baraka compte en politique), avec un alignement des planètes favorables : Benoît Hamon, le frondeur du PS, a fait fuir non seulement tous les socio-libéraux réformateurs de son camp partis chez Macron mais aussi la gauche de la gauche qui s’est jetée dans les bras de Mélenchon le portant à un score historique de plus de 19%. Fillon, quant à lui, a d’abord fait peur, avec son programme vite caricaturé en « purge », avant d’être englouti dans les affaires qui lui ont été fatales. Même s’il a courageusement résisté, cela ne suffisait plus.
D’ailleurs, une partie de son propre camp prévoyait sa défaite. Sarkozy, le premier. Après avoir fait avorter toute tentative de désistement de Fillon au profit de Juppé, il a attendu tranquillement que le résultat des urnes lui livre la dépouille de son meilleur ennemi.
Faire imputer l’entière responsabilité de l’échec des Républicains au candidat Fillon sera un jeu d’enfant, car beaucoup de Républicains le pensent déjà. Ne reste plus qu’à mobiliser la droite ressoudée dans la bataille des prochaines législatives. Certains murmurent que l’ancien président se rêve en Premier ministre d’un gouvernement de cohabitation. Si tel était le cas, n’est-ce pas un contre sens historique au regard du vote de ce premier tour ?
« Moins de séduction et plus de détermination. C’est ce discours d’homme d’État qu’attendent de lui tous ceux, qu’ils aient ou non voté pour lui, qui peuvent le porter au pouvoir suprême dans quinze jours. »
Ce n’est pas le système que les électeurs ont « dégagé » (car sinon pourquoi porter Macron en tête ?) : ce sont les anciennes têtes du système, celles qui donnent de l’urticaire, qu’on ne veut plus voir aux commandes. Sarkozy a donc du souci à se faire. D’autres plus jeunes, attendent en embuscade : c’est peut-être leur moment.
Emmanuel Macron a fait une belle campagne. Il a du talent, de l’énergie et de l’optimisme à revendre. Tant mieux. Il en faut pour notre pays chroniquement déprimé et structurellement inégalitaire, puisqu’aujourd’hui les plus défavorisés manquent d’un véritable accès au travail. Il faudra aussi au probable futur président du courage, de la fermeté sur les grandes questions républicaines, et plus que du saupoudrage en matière de réformes. Moins de séduction et plus de détermination. C’est ce discours d’homme d’État qu’attendent de lui tous ceux, qu’ils aient ou non voté pour lui, qui peuvent le porter au pouvoir suprême dans quinze jours.