Emmanuel Macron avait entamé son quinquennat dans une démonstration de verticalité peu hollandaise dont se réjouissaient même ses adversaires. La pyramide du Louvre, Versailles, Poutine, Trump, la remontée des Champs-Élysées dans un véhicule blindé de l’armée… Chacun se félicitait de ce retour du corps sacré du monarque, en tout point conforme à l’esprit de la Ve République, et saluait la nette amélioration de l’image de la France à l’étranger.

Se voulant l’exact contrepoint de la présidence normale et bavarde de François Hollande, le nouveau président avait théorisé la rareté de sa parole, la vertu du silence, l’autorité « qui est reconnue parce qu’elle n’a pas besoin d’être démontrée, et qui s’exerce autant en creux qu’en plein ». Une présidence jupitérienne, de temps long, « gaullo-mitterrandienne », « fondée sur un discours du sens, sur un univers de symboles ».

« Emmanuel Macron voulait en imposer par sa distance, il souhaite désormais s’entretenir régulièrement avec les Français, de préférence à la radio, pour combler le déficit de son après l’overdose d’images. »

Après trois mois de silence olympien, pendant lesquels les Français ont pu s’abreuver d’images officielles mettant en valeur notre beau président, Jupiter change de style.

Il s’était interdit de polémiquer avec ses adversaires, voilà que la mise en garde de François Hollande sur «  les efforts inutiles » demandés aux Français, l’escagasse et le fait réagir. Il devait ne jamais commenter l’actualité française de l’étranger, il l’a fait à deux reprises en Autriche et en Roumanie, sur le chômage et les réformes. Il avait juré ne pas pratiquer le « off » avec les journalistes, il s’y adonne à son tour. Il voulait en imposer par sa distance, il souhaite désormais s’entretenir régulièrement avec les Français, de préférence à la radio, pour combler le déficit de son après l’overdose d’images.

Celui qui voulait être le maître des horloges, rentre dans le rang du temps médiatique. A-t-il le choix ? Peut-on vraiment gouverner autrement ? La démocratie horizontale, interactive et connectée n’a-t-elle pas définitivement gagné ?

« Sacrés Français ! La flambée d’amour pour Macron semble n’avoir été qu’un feu de paille dans leur été. »

La présidence jupitérienne aura duré 100 jours. Le temps, non pas de réformer, mais de dégringoler dans les sondages. Moins 14 points en un mois, 40 % de Français satisfaits de l’action du président, un effondrement sans précédent. « Une addition des mécontents et des frustrations, qui se mesure dans toutes les catégories de la population », commente Frédéric Dabi de l’IFOP. À droite comme à gauche. Les jeunes comme les personnes âgées. À trop vouloir embrasser large, le président déçoit fort.

Sacrés Français ! La flambée d’amour pour Macron semble n’avoir été qu’un feu de paille dans leur été. Impatients, déçus, dégrisés, les électeurs voient pointer la rentrée l’air maussade. L’état de grâce est de plus en plus court.

À l’issue du séminaire de rentrée du gouvernement, lundi 28 août, Édouard Philippe a rappelé la détermination de son équipe et la volonté de transformer en profondeur la société. Laissez-nous le temps, semble-t-il implorer face aux Français trop pressés. « Notre objectif est simple : réparer la France », explique-t-il. On notera le glissement sémantique. Les Français n’aiment pas les réformes ? Parlons réparation. Entrons dans l’ère du « care ». Gouverner, c’est soigner.

« La pédagogie est nécessaire mais elle n’a jamais réussi à faire remonter dans les sondages. »

Emmanuel Macron pense que son impopularité est due au manque de communication et d’explication. C’est ce que croit chaque président et chaque gouvernement en chute dans les sondages. Lors de l’introduction des ABC de l’égalité à l’école, lors de la loi Macron, de la loi El Khomri, à chaque crise du quinquennat Hollande, le gouvernement pensait résoudre le problème par plus d’explications. La pédagogie est nécessaire mais elle n’a jamais réussi à faire remonter dans les sondages.

De plus Emmanuel Macron a rassemblé les Français autour de sa personne et de son style plutôt que de son programme. Aujourd’hui il manque cruellement de relais dans l’opinion parmi ses proches. L’homme providentiel est entouré de beaucoup de débutants, peu experts en joute oratoire et en rodage sur les plateaux télé.

« La suite du quinquennat Macron se jouera en partie jeudi prochain lorsque sera révélé le contenu des ordonnances. »

Même Édouard Philippe avoue, devant Jean-Jacques Bourdin, qui le presse de questions, qu’il ne connaît pas tous les chiffres : « Je ne suis pas un surhomme.» N’est pas Jupiter qui veut. Le roi des dieux (« Mitterrand, lui, s’était borné à être roi », a ironisé Alain Juppé à Bordeaux) est persuadé qu’il est le seul à pouvoir expliquer, séduire, convaincre de nouveau.

La suite du quinquennat Macron se jouera en partie jeudi prochain lorsque sera révélé le contenu des ordonnances. Jusqu’à quel point le président Macron sera-t-il prêt à réformer, pardon, à réparer le pays ? Réussira-t-il à rallier à son projet Force ouvrière et la CFDT ? Quelle ampleur, enfin, auront les manifestions de la France insoumise, vent debout contre le « coup d’état social » dénoncé par Jean-Luc Mélenchon.

Si la rentrée sociale se transforme en pugilat, Emmanuel Macron, qui souhaite désormais camper en première ligne dans l’arène, risque d’y prendre des coups sévères. Il devra tenir son cap. Sa crédibilité en dépend.

Revue des Deux Mondes – Au cœur du débat d’idées depuis 1829