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Dans un entretien au « Figaro », le président libanais défend son accord passé avec le mouvement chiite Hezbollah.

PROPOS RECUEILLIS PAR RENAUD GIRARD

RAWAN/ SHUTTERSTOCK/SIPA
« On ne peut pas priver le Hezbollah de ses armes tant qu’Israël ne respectera pas les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU », affirme Michel Aoun .

 Élu président de la République du Liban en octobre 2016, Michel Aoun, 82 ans, a reçu Le Figaro au palais de Baabda. Par tradition, c’est toujours un chrétien maronite qui occupe cette fonction. Le général Aoun avait lancé sa « guerre de libération » contre l’occupant syrien, dont il sortira perdant – et exfiltré vers la France – en octobre 1990. Il ne retournera dans son pays qu’en avril 2005. Le général entame lundi une visite d’État en France.

LE FIGARO. – Partout en Orient, les chrétiens sont massacrés ou chassés. Quel est l’avenir des chrétiens du Liban ?

Michel AOUN. – Ils se sentent bien, pour le moment. Je pense que les guerres civiles, qui ravagent actuellement la Syrie et l’Irak, ont eu beaucoup de conséquences. Je vois souvent les dirigeants arabes. À Damas (où le gouvernement baasiste me semble avoir gagné la guerre), à Bagdad, au Caire, et dans les autres capitales arabes, on me tient le même langage : tous sont attachés au maintien de la présence chrétienne au Liban, et même ailleurs dans le monde arabe. L’avenir est bien sûr toujours imprévisible. Le Liban est resté calme pendant toute la durée de la guerre civile en Syrie, malgré les discours incendiaires qu’on trouvait dans la bouche de maints politiciens libanais, d’un bord comme de l’autre. Nous avons réussi à conserver notre unité nationale.

Combien de Libanais chrétiens vivent à l’étranger ? Les appelez-vous à rentrer au pays ?

La diaspora libanaise compte des millions de chrétiens. Mais nous sommes actuellement en crise économique et il faudra attendre que la situation s’améliore pour inviter ces Libanais à revenir et à trouver du travail dans le pays.

Pour protéger à long terme la communauté chrétienne libanaise, il y a toujours eu deux tendances, ceux qui prêchaient sa meilleure intégration au sein de l’océan sunnite environnant, et ceux qui, comme vous, prônaient une stratégie d’alliance des minorités au Moyen-Orient. Pour cela, vous avez, en février 2006, contracté une alliance avec le Hezbollah, qui représente la communauté chiite.

On vous a alors accusé de trahison. Estimez-vous que l’Histoire vous a donné raison ?

Modestement, oui. Parce que je recherchais l’équilibre. Il y a parfois eu, au sein du monde sunnite, des tendances à l’hégémonie. Ce n’était pas une alliance mais une entente. Les Libanais étaient en situation de clivage politique. Grâce à cet accord nous avons pu échapper à un conflit interne au Liban. Sincèrement, je crois que j’ai sauvé l’État libanais.

Quel accord avez-vous alors passé avec Nasrallah, le secrétaire général du Hezbollah ?

Premièrement, les Libanais doivent régler tous leurs différends par le dialogue, et seulement le dialogue dans un climat de transparence et de franchise. Deuxièmement, la démocratie consensuelle doit redevenir la base du système politique au Liban. Troisièmement, les parties à l’accord s’engagent à respecter en tout point la Constitution libanaise et le pacte national (qui, depuis 1943, veut que le chef de l’État soit toujours un chrétien maronite, le premier ministre un musulman sunnite, et le président du Parlement un chiite).

Qu’avez-vous gagné avec cet accord ?

Le Hezbollah a modifié sa ligne politique et a respecté la souveraineté libanaise. Nasrallah l’a dit dans un discours : le Hezbollah a renoncé à son projet d’instaurer une « république islamique » au Liban. La loi électorale adopte désormais la proportionnelle, garantissant une représentation juste. Nous avons aussi réussi à limiter la puissance de l’argent politique au Liban et à permettre aux Libanais de l’étranger d’exercer leur droit de vote. Cela a été fait. Ils pourront voter en 2022.

Malgré tout cela, le Hezbollah a déclenché, le 12 juillet 2006, une guerre contre Israël, sans vous consulter. C’est un incident de frontière classique, qui a dégénéré, de la faute d’une surréaction israélienne. Vous me dites que le Hezbollah avait violé ce jour-là le territoire israélien. C’est possible. Mais des incidents de ce genre, il y en a très fréquemment ! Il y a quelques jours, des chasseurs-bombardiers israéliens ont franchi le mur du son au-dessus de Saïda (ville côtière au sud de Beyrouth), violant notre espace aérien et provoquant partout des bris de glaces.

Entretenez-vous toujours des contacts avec Nasrallah ?

Oui, lorsque c’est nécessaire. Mais pas de contacts directs depuis mon élection.

Toutes les milices libanaises ont désarmé à la fin de la guerre civile de 1975-1990. Pourquoi ne demandez-vous pas au Hezbollah de désarmer également ?

Le Hezbollah n’utilise pas ses armes dans la politique intérieure. Elles ne servent qu’à assurer notre résistance à l’État d’Israël, qui occupe toujours une partie de notre territoire (le territoire de 30 km2 des fermes de Chebaa), et qui refuse d’appliquer les résolutions de l’ONU sur le droit au retour chez eux des Palestiniens qui sont venus se réfugier chez nous durant la guerre de 1948.

Le problème palestinien justifie-t-il pour autant les armes du Hezbollah ?

On ne peut pas priver le Hezbollah de ses armes tant qu’Israël ne respectera pas les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU. Israël aurait le droit de faire la guerre comme il veut et quand il veut, tandis que les autres n’auraient pas le droit de garder des armes pour se défendre ? Non, ce n’est pas possible !

L’armement des chrétiens s’impose-t-il donc au Liban ?

Non car nous renforçons l’armée, pour protéger tout le pays, y compris les chrétiens. La paix doit être fondée sur le droit et trouver une solution au problème palestinien. Pourquoi ne déclare-t-on pas la solution des deux États ? La solution dépend d’Israël, qui continue à user de ses chars et de son aviation.

Quelle est votre stratégie par rapport à la guerre en Syrie ?

Garder les frontières libanaises pour nous protéger du terrorisme ; distanciation par rapport aux problèmes politiques internes à la Syrie.

Que représente la France pour les Libanais ?

Nous devons beaucoup à la France, nos écoles, nos universités francophones, nos missions religieuses qui font aussi beaucoup pour l’enseignement du français. Nous sommes un pays francophone et fier de l’être. De quoi parlerez-vous avec le président Macron ? De plein de choses… Mais je lui demanderai certainement d’accroître la coopération culturelle et administrative française avec le Liban et la coopération militaire aussi.

Qu’est-il arrivé au contrat Donas négocié par le président Hollande qui prévoyait la livraison d’armes françaises à l’armée libanaise, financé à hauteur de 4 milliards de dollars par l’Arabie saoudite ?

L’Arabie saoudite est revenue sur sa signature et elle n’applique pas le contrat.

Le regrettez-vous ?

Non, non, je ne regrette rien…

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