Trump déclare la guerre à l’accord sur le nucléaire iranien

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L’intervention très agressive de Donald Trump, à la Maison-Blanche, est allée bien au-delà de la non-certification de l’accord.
© Brendan Smialowski / AFP PHOTO

Dans un discours au ton extraordinairement belliqueux, le président américain a refusé de certifier l’accord «historique» conclu en juillet 2015 à Lausanne. Il promet de le démanteler à terme. Parlant de la «dictature iranienne», Donald Trump a annoncé une nouvelle stratégie très agressive envers l’Iran

Ils ont tout tenté. Le président français Emmanuel Macron et la première ministre britannique Theresa May lui ont parlé au téléphone jeudi. Une cohorte d’ambassadeurs européens et des négociateurs de l’administration de Barack Obama ont expliqué en long et en large mercredi au Congrès que l’accord historique de juillet 2015 sur le nucléaire iranien devait impérativement être défendu. Même au sein de l’administration actuelle, le chef du Pentagone, James Mattis, et d’autres responsables l’ont exhorté à ne pas commettre l’irréparable. Ce vendredi, Donald Trump n’en a pourtant fait qu’à sa tête. Après l’avoir pourtant fait à deux reprises, il a annoncé qu’il ne certifierait plus l’accord conclu entre l’Iran et les six puissances négociatrices (5+1: Etats-Unis, Chine, Russie, France, Grande-Bretagne et Allemagne).

Intervention très agressive

Son discours fut belliqueux, dressant une liste très approximative des attentats qui impliqueraient l’Iran. Il n’a cessé de décrire la République islamique comme une «dictature», un «régime fanatique», et comme l’un des principaux suppôts du terrorisme international. Le président américain a même cité plusieurs violations de l’accord par l’Iran, notamment en matière de production d’eau lourde et d’intimidation des inspecteurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), chargée de la mise en œuvre de l’accord. Se contredisant peu après, il a déclaré que Téhéran ne «respecte pas l’esprit de l’accord».

Il a déploré par ailleurs le soutien iranien aux «atrocités commises par le régime de Bachar el-Assad» et laissé entendre que Téhéran coopérait avec le régime nord-coréen de Kim Jon-un. L’intervention très agressive du président, à la Maison-Blanche, est allée bien au-delà de la non-certification de l’accord. Il a aussi annoncé de nouvelles sanctions contre les Gardiens de la révolution, principaux détenteurs des leviers de la République islamique qu’il qualifie désormais d’organisation terroriste.

L’accord nucléaire n’est pas mort pratiquement, mais sa non-certification introduit une incroyable dose d’incertitude sur la scène internationale

John Hughes, vice-président de la société de conseil stratégique Albright Stonebridge Group

Le président iranien Hassan Rohani n’a pas tardé à réagir à la télévision: «Aujourd’hui les Etats-Unis sont plus seuls que jamais face à l’accord nucléaire et plus seuls que jamais dans leurs complots contre le peuple iranien.» Le Prix Nobel de la paix 2017, ICAN, la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires, basée à Genève, a condamné la décision  de Trump qui «incite à la prolifération, rend plus difficile la conclusion d’autres accords pour limiter la menace nucléaire et accroît le risque mondial d’utilisation (d’armement) nucléaire.» Dans un communiqué commun, Emmanuel Macron, Therera May et la chancelière allemande Angela Merkel déclarent soutenir pleinement l’accord nucléaire, précisant qu’il s’inscrit dans leur «intérêt national». Ils relèvent que l’accord de juillet 2015, résultat de treize ans de négociations est un pas en avant dans leurs efforts de s’assurer que le programme nucléaire iranien n’est pas de nature militaire.

Contacté par Le Temps, John Hughes, vice-président de la société de conseil stratégique Albright Stonebridge Group et ex-chef du Bureau des sanctions contre l’Iran dans l’administration Obama, le relève: «L’accord nucléaire n’est pas mort pratiquement, mais sa non-certification introduit une incroyable dose d’incertitude sur la scène internationale.» Malgré les multiples confirmations de l’AIEA, dont la dernière le 9 octobre dernier, selon lesquelles l’Iran respecte pleinement ses engagements par rapport à l’accord dénommé Plan d’action global conjoint (PAGC), le président américain aurait aimé, à l’entendre, déchirer l’accord immédiatement.

Cette décision intermédiaire est probablement due à ceux qui, à la Maison-Blanche, se sont évertués à modérer les instincts «tripaux» du président. Car, ces derniers jours, Donald Trump est littéralement sorti de ses gonds, à en croire le Washington Post.

Dans l’attente de la réaction du Congrès

La première conséquence de la non-certification de l’accord nucléaire est simple: le Congrès a 60 jours pour imposer de nouvelles sanctions à la République islamique. S’il devait le faire, il tuerait définitivement l’accord. Difficile à ce stade de savoir quel sera le comportement du Congrès. Acquis à la cause d’Israël, comme l’a démontré l’intervention ovationnée du premier ministre israélien Benyamin Netanyahou devant le Congrès le 3 mars 2015, il voit lui aussi l’Iran comme l’un des ennemis numéro un de l’Amérique.

Mais dans le camp républicain, pourtant aligné jusqu’ici comme un seul homme derrière Donald Trump, plusieurs membres du Congrès, dont le sénateur Bob Corker, jugent nécessaire de soutenir l’accord nucléaire. Quitte à oublier qu’ils y étaient fermement opposés quand Barack Obama siégeait encore dans le Bureau ovale.

Attaques absurdes

Le discours de Donald Trump vendredi réplique fortement la rhétorique du chef du gouvernement de l’Etat hébreu, qui n’a cessé de pester contre le PAGC aussi bien à Washington qu’à la tribune des Nations unies à New York. Les attaques du président contre l’accord sont d’autant plus absurdes qu’elles prennent ce dernier pour ce qu’il n’est pas. Trump le juge «désastreux» parce qu’il permet toujours à l’Iran de jouer les déstabilisateurs du Moyen-Orient en Irak et en Syrie, de soutenir le Hezbollah et d’effectuer des tests de missiles balistiques.

Or l’accord négocié avec l’Iran est un accord de non-prolifération nucléaire. Conclu après vingt et un mois d’âpres négociations notamment à Genève, Vienne et Lausanne, il a permis de stopper, du moins jusqu’à 2025-2030, la montée de la puissance nucléaire iranienne. Téhéran a réduit son stock d’uranium enrichi de 98% pour n’en garder plus que 300 kilos. Il a aussi réduit son nombre de centrifugeuses à 5060 alors qu’il en recensait près de 20 000 en juillet 2015. L’Iran a prolongé à un an ce que les spécialistes appellent le «breakout time», le temps qu’il faudrait pour fabriquer une bombe, alors que les Iraniens semblaient capables de le faire en quelques mois voici deux ans. Enfin, l’accord permet à l’AIEA de mener des contrôles impromptus sur les sites nucléaires de la République islamique. L’agence de Vienne en a déjà effectué plus de 400.

Pour les Européens, défendre l’accord à tout prix

En visite en Russie, le président du parlement iranien, Ali Larijani, a laissé entendre qu’un retrait de l’accord, en cas de défection américaine, était tout à fait «une possibilité». Cet ex-négociateur nucléaire, très conservateur, ne représente cependant pas la position des plus modérés, dont le président Hassan Rohani et le chef de la diplomatie Mohammad Javad Zarif. Quant aux Européens, ils disent tous vouloir défendre l’accord à tout prix.

Avec la levée des sanctions nucléaires contre l’Iran, ils voient de juteuses affaires à mener dans ce pays. En juillet, Total a signé un accord de 5 milliards de dollars avec l’Iran pour développer les champs gaziers de South Pars. Airbus et les constructeurs automobiles Peugeot et Renault développent eux aussi des affaires. Dans cette dynamique, il est peu probable que les Européens se plient aux injonctions de Washington en cas de nouvelles sanctions.

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