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Emmanuel Macron songerait à marquer les commémorations des grèves de mai 1968. Une occasion pour la droite, qui pourrait réaffirmer ses positions sur le délitement des valeurs.

Vincent Tournier
L’Elysée souhaite commémorer mai 68 à l’occasion du cinquantenaire de l’événement, notamment pour sortir d’une lecture « maussade » de celui-ci, selon les propos de l’Elysée. Cette volonté d’assumer l’héritage libéral-libertaire n’est-elle pas une opportunité d’apporter une opposition libérale-conservatrice de la part de la droite ?
C’est peut-être une opportunité pour la droite, mais c’est surtout un piège pour elle. Les Républicains vont être tentés de saisir l’occasion pour attaquer le gouvernement. Mai-68 est une sorte de hochet, c’est un événement répulsif. Il suffit de l’agiter pour que la droite parte au quart de tour, surtout si Daniel Cohn-Bendit est consacré grand ordonnateur des cérémonies. Ce n’est pas un hasard si Nicolas Sarkozy en a parlé lors de sa campagne de 2007, disant qu’il fallait « liquider l’héritage de Mai-68 ».
Quelles sont les principales thématiques pouvant être « utilisées » par la droite pour marquer cette opposition ?
Pour la droite, l’angle d’attaque va très vraisemblablement consister à dénoncer l’esprit libertaire et laxiste de Mai 68, mais aussi la crise de l’autorité qui lui est attribuée, voire la dévalorisation du travail. C’est ce qu’avait implicitement fait Nicolas Sarkozy en 2007. La droite sera sans doute aussi tentée de dénoncer l’usage de la violence dans les manifestations puisque, vu l’état des tensions, tout indique que l’ultragauche continuera d’être très active dans la rue en 2018.
Cela dit, il y a peu de chances que ces critiques touchent vraiment leur but. Emmanuel Macron incarne quand même très mal l’esprit soixante-huitard, que ce soit par son style personnel ou par son parcours politique et professionnel. Si on voulait même être cynique, on pourrait relever que, en venant de la banque Rothschild, Emmanuel Macron s’avère plus proche de George Pompidou, passé lui aussi par cette banque, que de Daniel Cohn-Bendit.
En quoi Mai 68 peut-il encore structurer le paysage politique français ? Les lignes de démarcation sont-elles encore actives 50 ans après les manifestations ?
Mai-68 est devenu un marqueur idéologique, il fait partie des événements mythiques de la gauche, ce qui est, quand on y songe, assez étonnant puisque, rappelons-le, les événements de mai se sont terminés par une victoire écrasante de la droite aux législatives de juin 1968.
Donc, faire de Mai 68 un moment fondateur de la gauche est une sorte de coup de force. En réalité, c’est la droite gaulliste qui a fait adopter les premières mesures progressistes comme la libéralisation des régimes matrimoniaux (1965), la légalisation de la pilule (1967), la fin de l’autorité paternelle (1970), les premières garanties pour les droits des citoyens (1970) et même la création du ministère de l’environnement (1972). Par la suite, il revient à la droite giscardienne d’avoir amplifié le processus : c’est cette droite européenne et libérale, désireuse de tourner la page du gaullisme, qui va prendre toutes les grandes décisions que revendique aujourd’hui la gauche : légalisation de l’avortement, libéralisation du divorce, abaissement du droit de vote à 18 ans. Bref, la réalité historique, c’est que la gauche a été totalement absente de cette histoire dont elle se revendique aujourd’hui. Elle s’est emparée de cet héritage parce qu’elle a profondément changé au cours des années 1970, s’éloignant du monde ouvrier pour devenir le parti des couches moyennes salariées, et ayant donc besoin d’une autre généalogie que sa généalogie ouvriériste traditionnelle, surtout après la rupture avec le Parti communiste. Quant à la droite, faute de relais dans les milieux intellectuels, elle n’a jamais osé contester ce coup de force mémoriel, comme elle n’a jamais osé faire valoir une autre manière d’interpréter Mai-68, une manière « de droite » si l’on peut dire, qui aurait consisté à souligner que les institutions ont su faire face, que la police a très bien su gérer les manifestations en évitant les morts, et finalement que le système politique démocratique a su gérer pacifiquement les nouvelles demandes sociales.