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Frédéric Rohart

Hémicycle du Parlement européen à Strasbourg. © REUTERS

Hémicycle du Parlement européen à Strasbourg. © REUTERS

Les langues se délient jusqu’au sein du Parlement européen pour dénoncer des faits de harcèlement sexuel dans la foulée du scandale Weinstein.

Le scandale Harvey Weinstein a délié les langues sur le harcèlement sexuel jusqu’au sein du Parlement européen. Dans la foulée d’une déferlante de dénonciations généralement anonymes sur les réseaux sociaux – souvent liées au hashtag #metoo (« moi aussi ») -, les députés avaient programmé un débat sur le sujet pour ce mardi en soirée. Mais la presse – et notamment le « Times » dans son édition du dimanche – a documenté des faits de harcèlement sexuel au sein de l’assemblée, relayant les témoignages d’assistantes parlementaires physiquement agressées par des députés.

Face à ces révélations, les élus ont reporté leur débat à mercredi matin, pour lui donner plus de visibilité, et annoncé le vote d’une résolution sur le sujet. Les députés interrogeront notamment la Commissaire Cecilia Malmström sur « ce que fait l’UE pour lutter contre les abus sexuels et pour soutenir les victimes ».

Avec qui ne pas se retrouver dans l’ascenseur

Dimanche, le « Sunday Times » rapportait plus d’une dizaine de cas de femmes harcelées au Parlement européen par « des députés seniors à travers tout le spectre politique, dont certains anciens ministres ». Les faits dénoncés vont des propos licencieux aux attouchements en passant par un cas de masturbation devant une attachée parlementaire. Plusieurs femmes ont expliqué au journal britannique ne pas avoir entrepris de démarche après les faits par crainte de porter un coup d’arrêt à leur carrière. Jeanne Ponté, assistante d’un député socialiste français, révélait la semaine dernière avoir consigné dans un carnet depuis juillet 2014 une cinquantaine de comportements déplacés – exemple cité par « Le Figaro » : « Un député qui me barre la route à la sortie d’une conférence, me ceinture, me demande si je suis ici depuis longtemps et si je veux boire un café avec lui… »

“La fonction d’assistant parlementaire est à la fois assez précaire et très féminine et les hommes d’une certaine génération sont surreprésentés parmi les députés.”

Marie Arena Eurodéputée belge

Nous avons lancé ce mardi un appel à témoignages aux attachés de parlementaires belges – aucune des réponses reçues ne faisait état de faits de ce type. “C’est sûr que les eurodéputés français, italiens sont considérés comme plus « chauds »”, soulignait l’une, tandis qu’une autre personne indiquait savoir “avec quel député il ne faut pas se retrouver seul dans un ascenseur”.

Des outils inefficaces

À l’ouverture de la session parlementaire de Strasbourg, lundi, le président de l’assemblée Antonio Tajani s’est dit « indigné » des dernières allégations de harcèlement et a estimé qu’il était « nécessaire d’augmenter la connaissance des outils déjà en place ». Les victimes de harcèlement au sein du Parlement peuvent trouver appuis auprès d’un “comité d’avis” sur le harcèlement piloté par la députée française Elisabeth Morin-Chartier. L’an dernier, la commission en question avait publié une campagne de prévention – des affiches au sein du Parlement et une brochure à destination des députés expliquant « comment éviter un comportement inapproprié envers votre équipe. Un fascicule à destination des assistants est en cours d’élaboration.

Le problème, c’est que les outils en question doivent encore faire leurs preuves: depuis sa création, le “comité d’avis” n’a jamais été saisi de faits de harcèlement sexuel. Signe que cette Commission de députés “n’est pas adaptée à réceptionner ce type de plaintes”, souligne l’eurodéputée belge Marie Arena. Elle demande, avec quatre autres députés, qu’un outil extérieur soit créé pour recevoir ces plaintes, pour éviter de confronter les victimes à un organe qui pourrait être juge et partie.

La statistique parlementaire

Pour Marie Arena, la “réalité statistique” du Parlement peut expliquer une propension au harcèlement plus importante que dans d’autres milieux : “La fonction d’assistant parlementaire est à la fois assez précaire et très féminine et les hommes d’une certaine génération sont surreprésentés parmi les députés.” Or, souligne-t-elle, plus la victime est vulnérable professionnellement, plus elle a de difficultés à dénoncer son harceleur – et plus celui-ci se sent libre d’agir.

L’eurodéputée souligne par ailleurs que les comportements entre députés lui semblent plus respectueux que dans d’autres assemblées“Sur cet aspect, c’est l’Europe du plus haut dénominateur commun qui prévaut : alors que les cultures se mêlent, il y a une sorte de mise en conformité de l’attitude la plus respectueuse.”

Au-delà du Parlement européen, la déferlante #metoo libère plus largement la parole au sein de la « bulle européenne », qui comprend les autres institutions de l’Union, mais aussi les lobbies et autres organisations qui gravitent autour. Le site d’information européenne Politico a indiqué y avoir recueilli les témoignages de 87 femmes et 6 hommes dénonçant des « comportements inappropriés ». Les faits rapportés vont du harcèlement verbal à des cas de « contrats de travail contre relations sexuelles, de jeunes femmes envoyées dans des bars et à des dîners pour vendre des faveurs sexuelles en échange de faveurs législatives, d’employé(e)s chargé(e)s de réserver des prostituées pour leur député ».

Source: Lecho.be