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On a tort de s’étonner du nombre de malotrus ou d’hommes en situation de pouvoir se comportant encore de façon obscène, déplacée, ou agressive envers des femmes. Ces hommes sont les héritiers d’un comportement millénaire de mise à disposition de la femme, dans un monde où celle-ci n’avait d’autre choix que de se soumettre : son sort, sa survie économique, la protection de ses enfants (les maternités à répétition la rendaient vulnérable), dépendaient entièrement des hommes qui codifiaient son rôle tout en la « protégeant » comme un « bien », car elle était un précieux instrument de reproduction.
Et si, au fil des siècles, la civilisation et le droit sont venus encadrer et adoucir cette position de dépendance, elle n’en est pas moins restée grosso-modo, quelle que soit la classe sociale, le fondement de la relation hommes-femmes.
« Cela fait moins de cinquante ans qu’existent en France, grâce aux combats féministes, la pénalisation du viol et les lois sur le harcèlement sexuel et moral. »
Cette inclinaison « naturelle » à disposer de la femme perdure chez un certain nombre d’hommes : cela fait moins de cinquante ans qu’existent en France, grâce aux combats féministes, la pénalisation du viol et les lois sur le harcèlement sexuel et moral ; cinquante années d’une révolution dans les mœurs et les mentalités, c’est à peine une virgule à l’échelle de l’humanité et il faudra du temps pour modifier les conditionnements masculins comme féminins.
Ce qui frappe davantage, depuis l’apparition du hashtag #balancetonporc, c’est la difficulté, pour les femmes elles-mêmes, à négocier ce virage vers la liberté, l’autonomie, la maîtrise de leur sexualité et de leur corps dans un rapport plus confiant, oserais-je dire plus viril, au sein de cette relation hommes-femmes.
On ne parle pas ici des femmes en position de subordination directe : quand on dépend de son harceleur pour vivre, on a tendance à se taire et à encaisser ; le harcèlement n’est pas l’apanage de Hollywood ou de la classe médiatico-politique, il sévit dans tous les secteurs d’activité et les femmes des couches populaires sont encore plus démunies pour se défendre.
« Le harcèlement n’est pas l’apanage de Hollywood ou de la classe médiatico-politique, il sévit dans tous les secteurs d’activité. »
Mais combien aussi de femmes avec des moyens intellectuels, culturels, éducationnels, financiers, qui n’ont rien dit, n’ont pas osé, ont décidé de ne pas en faire « toute une histoire ». C’est troublant. Toutes les batailles féministes n’auraient donc, de ce point de vue, servi à rien ? Le déni, la minoration des faits, le silence seraient-ils les vestiges inconscients de cette assignation au camp des plus faibles ? Ou au contraire le prix à payer, (inconsciemment bien sûr) pour avoir dérangé un ordre établi et « volé » aux hommes une position sociale qui leur revenait par « naissance », et ne leur avait jamais été disputée ?
Car si les femmes continuent bel et bien à subir le marquage à la culotte des mâles les plus désinhibés, leurs acquis dans les autres domaines sont manifestes. Grâce au droit à l’avortement, à la contraception, en cinquante ans à peine, elles ont gagné la liberté de disposer à leur guise de leur corps et d’engendrer si elles veulent quand elles veulent, voire même sans compagnon (PMA) : c’est une révolution copernicienne.
De même elles ont gagné la bataille sociale du travail en accédant aux mêmes responsabilités dans presque tous les domaines. Bien sûr, il subsiste des discriminations et des inégalités salariales. Mais l’indépendance économique de la femme est une réalité (le travail l’a toujours été mais il n’était pas forcément synonyme d’indépendance économique).
« Balancer son porc sur les réseaux sociaux, c’est l’inverse d’une avancée pour les femmes. »
Les femmes ont acquis le droit à l’égalité, à la dignité, au respect. Elles sont passées du stade d’éternelle mineure devant obtenir le consentement de leur mari pour travailler, au statut de pleine égalité politique et sociale avec les hommes. Désormais majeures, elles apprécient à leur juste valeur ce droit, défendu par la loi, qui les protège et qu’elles ont mis si longtemps à faire reconnaître : beaucoup se sont battues et se battent encore dans le monde pour que chaque femme, quelle que soit sa culture ou sa religion, puisse en bénéficier.
Balancer son porc sur les réseaux sociaux, c’est l’inverse d’une avancée pour les femmes. C’est risquer de décrédibiliser leur parole en prétextant, à juste titre, que le déferlement d’eau sale anonyme contient aussi son lot de désinformations, manipulations et mensonges. C’est un vice de forme et de fond. C’est retourner la haine et le mépris dont les femmes ont été victimes en entreprise de démolition et de vengeance contre des hommes en faisant beaucoup de bruit… mais pour quoi ?
Comme l’explique l’avocate Marie Dosé, « La parole ne se libère pas par la violence et l’arbitraire, ou alors elle se libère mal. Les hommes incriminés et les auteurs d’actes de harcèlement ou d’agressions sexuelles ne doivent pas craindre l’arbitraire d’une délation, mais la stricte application d’une sanction pénale : c’est la parole des femmes en justice qu’ils doivent redouter, non leurs tweets. »
« Le féminisme populiste de délation se vautre dans la toute puissance qu’il reproche aux prédateurs sexuels. Il ne sert pas la cause des femmes. »
Balancer un porc en se jetant dans la fange avec lui c’est choisir un champ sémantique particulier : celui des cochonnes, des chattes, des dindes et des poules dans une guerre de basse cour avec les chiens, les porcs et les coqs. Balancer son porc c’est se mettre en position de truie.
Le sentiment de toute puissance que délivre l’anonymat sur les réseaux sociaux est grisant. Il permet peut-être à certaines de dire sans vraiment dire ce qu’elles n’oseraient jamais dénoncer dans un cadre légal. Mais c’est le contraire de la prise de pouvoir par les femmes. C’est un piège. La femme se réfugie du côté de l’émotion, rejoignant en cela les clichés qui l’accablent, alors qu’elle doit exiger d’être entendue dans le cadre de la loi qui doit la protéger, en se pliant aux règles du droit qui est contradictoire. Elle doit saisir la justice. Le féminisme populiste de délation se vautre dans la toute puissance qu’il reproche aux prédateurs sexuels. Il ne sert pas la cause des femmes.