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Pour les parties politiques libanaises toujours promptes à s’enflammer et faire feu de tout bois, les propos du président iranien sont du pain bénit. Que Hassan Rohani ait voulu adresser un message à l’administration américaine, qui multiplie les menaces à l’égard de l’Iran ou encore aux autorités saoudiennes, qui (re)commencent à jouer sur le terrain irakien, importe peu aux Libanais. Ceux-ci n’ont retenu de la déclaration attribuée au président iranien que l’interprétation qui veut que le Liban serait pratiquement sous la tutelle de l’Iran. Selon un diplomate libanais, une retranscription fidèle de la déclaration attribuée à Rohani donnerait la phrase suivante : « Qui pourrait prendre une décision décisive en Irak, en Syrie, au Liban et dans l’ensemble du golfe Persique sans tenir compte des positions iraniennes ? »
Même avec cette nuance, précise le diplomate précité, la phrase reste bien peu diplomatique et inhabituelle dans les relations entre les gouvernements. Mais, si l’on met de côté la fierté nationale des citoyens de chacun des pays cités par Rohani, force est de constater que la phrase du président iranien n’est pas totalement fausse.
En Syrie, l’Iran a depuis le début appuyé les forces régulières du régime syrien, à la fois militairement, politiquement et économiquement, et aujourd’hui il a un rôle certain dans toutes les décisions prises par l’axe rival de celui des Américains et constitué globalement par Moscou, Téhéran, Damas et leurs alliés. Dans le golfe dit Persique, que l’on appelle du côté arabe « Arabique », l’influence de l’Iran s’étend désormais au Qatar, en plus du sultanat d’Oman et surtout du Yémen, où l’appui de Téhéran aux Ansarallah (houthis) n’est plus un secret.
Au Liban, l’influence iranienne se traduit essentiellement à travers la place prépondérante du Hezbollah sur la scène locale. Il s’agit simplement de définir la nature de la relation entre le Hezbollah et l’Iran. Pour certains, il s’agit d’un suivisme total ; pour d’autres, d’une alliance solide dans le respect des intérêts du Liban et de l’Iran. Ce qui est sûr, à ce stade, c’est qu’en dépit de l’importance du parti chiite, aucune décision favorable à l’Iran n’a été prise. Le Liban a rejeté toutes les offres iraniennes d’envoi d’armes à l’armée libanaise, tout comme il continue de respecter autant que possible la politique officielle de distanciation à l’égard du dossier syrien. Le Liban a des relations acceptables avec l’Arabie saoudite et ses alliés, il a de bonnes relations avec l’administration américaine qui reste le principal fournisseur d’armes à l’armée libanaise, ayant en plus établi un programme de coopération avec cette armée, puisque de nombreux officiers suivent des formations aux États-Unis. Mais la distanciation ne signifie pas qu’il faut parler avec un camp seulement. Pour le pouvoir actuel, il s’agit de parler avec tout le monde, dans l’intérêt du Liban. C’est d’ailleurs parce qu’il a à cœur cet intérêt que le chef de l’État a décidé de ne pas fixer pour l’instant une date à la visite qu’il compte effectuer en Iran, suite à une invitation officielle ouverte qui lui a été adressée. Mais comme sa priorité dès son élection à la tête de la République était de rétablir de bonnes relations avec l’Arabie saoudite, sa première visite à l’étranger avait pour destination Riyad. Pour lui, il reste impératif de ne pas prendre parti dans des conflits régionaux et internationaux qui peuvent avoir des conséquences négatives sur le pays, tout en adoptant une approche plus dynamique. Il est donc certain, dans ce contexte, que le Liban ne peut pas s’aligner sur la politique saoudienne régionale et encore moins sur la politique américaine au Moyen-Orient, qui place en tête de ses préoccupations régionales les intérêts israéliens. De ce point de vue, la position libanaise pourrait être considérée comme favorable à la position iranienne. Mais le Liban ne s’aligne pas non plus sur la politique de Téhéran, essayant d’avoir une position équilibrée et ayant choisi de mettre de côté l’intervention du Hezbollah en Syrie en la plaçant dans le cadre d’une décision régionale qui le dépasse. Concernant la polémique autour de la nécessité d’ouvrir un dialogue avec le régime syrien, il ne s’agit pas d’un alignement sur un axe régional, mais plutôt de la volonté de régler un problème de plus en plus pressant, qui menace désormais la stabilité sociale, économique et sécuritaire du pays. Mais il n’est pas question à ce sujet qu’une partie prenne une décision unilatérale, le gouvernement cherchant à trouver dans ce dossier, comme dans d’autres, un compromis équitable.
Pour toutes ces raisons, il est donc compréhensible que les propos attribués au président iranien aient froissé une partie des Libanais, mais il serait bon de les relativiser. D’autant qu’ils ne s’adressaient pas aux Libanais, mais visaient à rappeler à ceux qui établissent des plans pour isoler l’Iran et chercher à éliminer son influence dans la région qu’il ne s’agit pas d’un projet facile à réaliser.