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Le patron des députés socialistes, Olivier Faure, raconte dans une interview au JDD ses déceptions après les 6 premiers mois du quinquennat d’Emmanuel Macron et ses espoirs pour le PS.

Olivier Faure, lundi dans son bureau de l'Assemblée nationale.
Olivier Faure, lundi dans son bureau de l’Assemblée nationale. (Sarah Paillou/JDD)
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Olivier Faure est optimiste. Le président du groupe Nouvelle Gauche (ex-PS) à l’Assemblée nationale est convaincu que « dans la durée, on aura à nouveau envie d’écouter les socialistes ». Le temps viendra où « la rancoeur » des Français vis-à-vis du quinquennat Hollande s’effacera, lorsque chacun comprendra qu’Emmanuel Macron reprend les « canons classiques du libéralisme », attaque le député de Seine-et-Marne. En attendant le congrès du Parti socialiste, en mars, Olivier Faure reste éloigné de la direction collégiale, trop pris par son travail de député. Mais il compte sur la « nouvelle génération » de sa famille politique et a « des idées » pour reconstruire le parti. Olivier Faure raconte ses espoirs au JDD.

SUR LES SIX MOIS D’EMMANUEL MACRON

Six mois après l’élection d’Emmanuel Macron, quel bilan faites-vous du « nouveau monde »?
Le « nouveau monde », j’y étais prêt. Tout en étant moi-même socialiste, j’étais disposé à une révolution de la vie politique, à ce qu’on envisage les rapports majorité-opposition de manière différente. Nous avons d’ailleurs voté majoritairement l’abstention lors du discours de politique générale, pour marquer notre liberté face au nouveau pouvoir, celle de l’approuver comme de le combattre. Malheureusement, la promesse de nouvelles pratiques n’a pas été tenue.

Qu’attendiez-vous concrètement de la nouvelle majorité?
Je m’attendais à ce qu’on ait un parti et un Président qui cherchent à dépasser les confrontations d’hier et à penser différemment la société. Or, je ne vois rien de neuf : qu’il s’agisse de la loi Travail ou de la loi de finances, on est sur le retour des canons classiques du libéralisme. A partir du moment où ils décident de mener une politique libérale, il n’y a aucune ouverture possible avec la gauche. On leur a tendu la main à plusieurs reprises. Sur la loi de moralisation, par exemple, on a cherché à aller plus loin que ce qui était prévu dans le texte en demandant le respect des engagements de campagne du président Macron. Je pense aux activités de conseil cumulées avec une fonction de parlementaire que nous voulions interdire. Ce « nouveau monde » est en fait la traduction moderne d’une langue morte. Il y a beaucoup de cynisme dans la démarche présidentielle.

C’est-à-dire?
Le cynisme du Président est d’avoir laissé penser qu’il était issu d’un nouveau monde porteur d’innovations. En réalité, il s’inscrit dans les pas de ses lointains prédécesseurs que sont Thatcher et Reagan, qui avaient initié la même politique il y a 35 ans : le marché, tout le marché. Il n’est pas ultralibéral, dans le sens où il y a bien l’idée de continuer à maintenir un filet de sécurité pour les très pauvres. Mais, au fond, c’est une politique qui a épousé totalement les fondamentaux libéraux : le rêve proposé à chacun, c’est de devenir milliardaire. Quelques-uns le deviendront. Pour les autres, ce seront les rames. Et une société guidée par la seule question de la compétition économique. Le projet de loi de finances 2018 qui a été voté est un Budget que même Sarkozy n’avait pas osé.

Ce que Castaner défend politiquement aujourd’hui le place en contradiction totale avec ce qu’il a porté pendant 30 ans.

L’un de vos anciens camarades au PS, Christophe Castaner, va prendre la tête de La République en marche. Qu’en pensez-vous?
Christophe est un ami depuis longtemps. C’est difficile pour moi de le critiquer. Je veux croire que ses choix sont éloignés de toute forme d’opportunisme. Nous sommes désormais dans des démarches opposées, ce qui n’interdit pas le respect. Cela correspond à son évolution, et comme il le dit lui-même, il est tombé amoureux du Président. L’amour a ses raisons que la raison ignore…

Vous dites quand même que vous aurez du mal à le critiquer quand il sera patron du parti présidentiel.
J’ai de la bienveillance pour l’individu parce que je connais ses qualités et qu’on a une histoire commune. Mais je n’en aurais aucune par rapport à ce qu’il défend politiquement aujourd’hui, qui le place en contradiction totale avec ce qu’il a porté pendant 30 ans. Je ne sais pas comment il fait pour se lever chaque matin et se dire que ce qu’il porte n’est pas la négation de ce qu’il a été. Il suffit de reprendre ses déclarations d’il y a à peine un an sur l’ISF, sur les emplois aidés, etc. Il était à des années-lumière de ce qu’il défend aujourd’hui. Mais encore une fois, l’amour le rend aveugle.

SUR LE TRAVAIL PARLEMENTAIRE

Avez-vous retrouvé une forme d’équilibre au sein du groupe socialiste à l’Assemblée, passé de 280 en 2012 à 31 députés?
Oui, car beaucoup d’anciens députés continuent à travailler avec nous. Et on a un groupe très motivé. On ne veut pas être de la génération qui aura éteint la lumière et fermé la porte, disant adieu à cette histoire glorieuse. C’est enthousiasmant aussi car c’est une période où nous sommes à nouveau libres de penser et de nous reconstruire. On est si faible sur le plan électoral que la question n’est plus de savoir si le pas de côté va nous conduire à rater l’alternance. Aujourd’hui, il faut être audacieux! Donc on va bouger, se réinventer.

Dans la durée, les Français auront à nouveau envie d’écouter les socialistes.

En attendant, à l’Assemblée, vous ne faites pas beaucoup bouger les lignes…
Je crois surtout que les lignes bougent selon le crédit que nous accorde l’opinion. Pour l’instant, les Français sont encore dans une forme de rancoeur par rapport à nous. A chaque fois qu’on propose quelque chose, on nous dit : « Mais pourquoi vous ne l’avez pas fait il y a 6 mois, il y a un an? » ou bien : « C’est parce que vous avez échoué qu’on en est là aujourd’hui. » Le regard des citoyens n’est pas bienveillant. Mais il me semble qu’ils se rendent compte, malgré tout, que même si nous n’avons pas été à la hauteur de tous leurs espoirs, toutes les grandes avancées sont liées de près ou de loin à ce que la gauche a porté. Il faudra donc que le temps passe et que nous tracions notre route dans la cohérence avec notre histoire tout en nous réinventant. Dans la durée, on aura à nouveau envie d’écouter les socialistes.

Sur l’organisation du travail au sein du groupe Nouvelle Gauche, vous disiez vouloir instaurer la collégialité des décisions. Où en êtes-vous?
Chaque texte fait l’objet d’un débat nourri entre nous et on vote pour déterminer une position commune. C’est un fonctionnement assez nouveau. Il n’est pas question de discipline, mais d’auto-discipline. L’idée est qu’on s’impose à soi-même le respect de la décision, parce que le débat est possible en interne. Sinon, on s’interdit toute capacité à rediriger un jour le pays.

Sous Hollande, la majorité socialiste aurait dû exprimer nettement son désaccord et créer un rapport de force avec l’exécutif.

Est-ce cet effort de collégialité qui a manqué aux socialistes pendant la précédente législature?
Oui, à plusieurs reprises la majorité aurait dû exprimer nettement son désaccord et créer un rapport de force avec l’exécutif. C’est ce qui a donné la déchéance de nationalité, la loi travail ou la fin de la remise à plat fiscale. Il ne s’agissait pas de fronder, au sens d’instrumentaliser une colère, je n’ai jamais cherché cela. Mais si je me suis élevé à plusieurs reprises contre les choix qui étaient fait, c’est parce que je me sentais plus utile ainsi plutôt qu’en accompagnant servilement les choix du gouvernement.

Olivier Faure

Olivier Faure ne « cherche pas » à être premier secrétaire du PS(Sarah Paillou/JDD)

C’est compliqué aujourd’hui d’être député?
Le travail de parlementaire a toujours été compliqué. Peut-être même plus dans la majorité puisque les institutions de la Ve République conduisent à un déséquilibre. On ne peut pas dire que les députés LREM aient beaucoup de liberté aujourd’hui. Nous, socialistes, avons la chance de pouvoir défendre des idées auxquelles nous croyons, eux sont condamnés à être des soutiens sans faille du gouvernement. Je trouve les élus LREM très à l’étroit dans leurs vêtements de parlementaires, et malheureux pour ceux qui viennent de la gauche mais aussi pour ceux qui sont arrivés directement par LREM. Ceux-là s’imaginaient avoir une vraie liberté de ton, découvrir un Parlement différent et ils se rendent compte qu’on leur demande de ne bouger sur rien. Tout est dédié à un Président jupitérien qui n’aime ni la contestation ni l’échange.

SUR L’AVENIR DU PARTI SOCIALISTE

Vous êtes également membre de la direction collégiale du Parti socialiste. Comment fait-on pour travailler à 28? Que faites-vous, très concrètement?
C’est une question à laquelle je ne peux pas répondre. Depuis que la direction collégiale a été mise en place, au mois de septembre, je n’y ai pas encore mis les pieds. Pas par manque d’intérêt mais pour des raisons liées à mon emploi du temps, car on est en pleine séquence budgétaire. Les réunions de la direction collégiale se font à des horaires qui ne sont pas compatibles avec les débats en séance. En tant qu’élu, je ne veux pas entendre mes électeurs me dire que je ne participe pas à des débats majeurs. De toute façon, cette direction à 28 est provisoire. Elle a pour objet d’organiser les affaires courantes et de préparer un débat de qualité pour aboutir à un congrès productif en mars. Mais dès que j’en aurai l’occasion, j’y retournerai. J’ai quelques idées sur l’avenir du PS et mon ambition est d’en finir avec le « tout pour ma pomme », qui fait que depuis 20-30 ans, la même génération s’épuise dans des combats de personnes. On ne peut plus se déchirer pendant des mois sous l’oeil médusé des Français pour arriver à la fin à une synthèse vécue comme improbable.

Je ne peux pas totalement exclure la prise de responsabilité. Mais d’autres personnes pourraient être aussi la solution, comme Najat Vallaud-Belkacem, Delphine Batho…

Les « combats de personnes », comme vous dites, vont forcément revenir à l’approche du congrès du parti…
J’espère que la nouvelle génération du PS sera en mesure de se créer un collectif humain pour faire repartir la machine. On me demande souvent si je suis candidat au poste de premier secrétaire du parti. Je réponds tout le temps la même chose : je ne le cherche pas. Je ne me considère pas comme incontournable, je cherche plutôt à être contourné. On peut réussir sa vie sans être Président, premier secrétaire du PS ou député!

Catégoriquement, vous refusez d’être premier secrétaire?
Je souhaite une décision collective. J’en discuterai avec mes camarades. Je ne peux pas totalement exclure la prise de responsabilité. Mais d’autres personnes pourraient être aussi la solution, comme Najat Vallaud-Belkacem, Nathalie Appéré, Johanna Rolland, Delphine Batho, Valérie Rabault… Je cite volontairement des femmes, jeunes, parce que ce serait aussi un signe donné d’un système renouvelé.

Plutôt que quelqu’un comme Stéphane Le Foll, qui s’est dit intéressé par le poste?
J’ai beaucoup de proximité avec Stéphane. Mais à cause de ce qu’il représente aujourd’hui, il n’est pas l’incarnation du mouvement de refondation du PS. Cela ne veut pas dire qu’il ne doit pas avoir sa place ou son rôle. Il est extrêmement précieux pour son expérience, son regard, sa vision.

François Hollande ne peut pas se transformer en DRH du PS.

François Hollande aura-t-il son mot à dire?
Qu’il s’intéresse à son parti est légitime. François Hollande y a passé de nombreuses années de sa vie et c’est difficile pour lui de ne pas s’intéresser à l’avenir d’un parti qu’il a dirigé et conduit à la victoire. Maintenant, personne ne doit décider qui sera le prochain premier secrétaire. Ce sera aux militants de décider. Ne donnons pas le sentiment que tout se joue à huis-clos entre quelques individus et que la décision est déjà prise.

Quel rôle pourrait-il avoir dans cette refondation?
Son expression sur le fond est appréciable. Il a une expérience que personne ne possède au PS et c’est précieux d’avoir un ancien président dans nos rangs. Il est évident qu’il faut qu’il aide les socialistes à se retrouver sur le fond. Mais concernant la gestion de la maison socialiste, l’organisation de sa direction, il ne peut pas se transformer en directeur des ressources humaines, ce n’est pas son rôle.

Avez-vous une proposition pour le nouveau nom du PS?
Il n’y a pas de tabou mais je ne pense pas que ce débat-là soit fondamental. Socialistes, nous le resterons. Est-ce que notre nom doit indiquer autre chose, marquer un renouvellement? C’est presque anecdotique, cela relève du marketing. Jaurès lui-même n’appartenait pas au PS mais à la SFIO. Sa trace dans l’Histoire ne se résume pas à un sigle ou un slogan mais à une volonté d’une société d’égaux, libres de leur destin individuel et conscients de la nécessaire fraternité humaine. En clair, la République, jusqu’au bout.

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