L’Arabie saoudite renverse la table au Liban

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Le libanais Saad Hariri a trouvé refuge en Arabie saoudite, pays depuis lequel il a annoncé qu’il quittait son poste de premier ministre.
© MOHAMED AZAKIR / REUTERS

Le Hezbollah est plus que jamais le maître du Liban. En provoquant le départ du premier ministre Saad Hariri, Riyad fait du pays du cèdre un nouveau théâtre de sa rivalité avec l’Iran.

Telle qu’elle est décrite par les médias saoudiens, la chasse à l’homme a été haletante. Dans les rues de Beyrouth, au passage du convoi du premier ministre libanais Saad Hariri, tous les appareils électroniques se mettaient mystérieusement à se brouiller. Ce parasitage était «d’origine iranienne», croit savoir par exemple la chaîne Al-Arabiya. Le sang du Libanais n’a fait qu’un tour. Et c’est une fois à l’abri, à Riyad, que Saad Hariri a pu évoquer cette tentative d’assassinat, avant de démissionner dans la foulée.

Les «commentateurs» libanais – et ils sont nombreux dans ce pays où la politique est omniprésente – ne croient guère à cette thèse officielle. La démission, samedi, d’un premier ministre libanais qui a occupé, d’entrée, son poste à reculons? «L’Arabie saoudite a décidé de tirer la prise», grommelle-t-on à Beyrouth pour résumer cette annonce, faite à Riyad, et retransmise d’abord par les médias saoudiens proches du régime.

Reconfiguration générale

C’est en Arabie saoudite que la famille Hariri est devenue milliardaire. Rafic Hariri, l’ancien premier ministre assassiné en 2005, y avait créé un empire, Saudi Oger, avec lequel il a construit la moitié des villes saoudiennes puis, plus tard, reconstruit le centre-ville de Beyrouth. En signe de reconnaissance, Saad Hariri a été gratifié du passeport saoudien, comme son père. Et c’est l’Arabie saoudite qui, exerçant son influence et finançant notamment sa campagne électorale, l’avait imposé une nouvelle fois au Liban, l’année dernière. En échange, dans le complexe équilibre libanais, le camp pro-iranien hissait à la présidence du pays le chrétien Michel Aoun.

Aujourd’hui, le «retrait de la prise» saoudienne a été d’autant plus spectaculaire qu’il a coïncidé avec l’arrestation de dizaines de princes et de personnalités de haut rang, dans le cadre de la purge décidée par le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane. Une «coïncidence» qui donne à l’exercice des allures de reconfiguration générale. Comme si, non content de faire un vaste ménage à l’interne qui vise à le débarrasser de tout rival possible, le futur roi Ben Salmane s’employait aussi à mettre tous les canons en place en direction de son principal adversaire, l’Iran chiite.

Guerre contre le Yémen

C’est, déjà, au nom d’une prétendue proximité coupable du Qatar avec l’Iran que l’Arabie saoudite a placé sous quarantaine l’émirat du Golfe. C’est au nom de cette même menace iranienne que Riyad (aux côtés notamment des Emirats arabes unis) a entrepris une guerre sans quartier contre les Houthis du Yémen. Il y a près d’un mois, dans un article publié par le Carnegie Middle East Program, le chercheur Joseph Bahout faisait presque preuve de prescience: «La confrontation entre l’Arabie saoudite et l’Iran ne va pas tarder à s’étendre au Liban», prévoyait-il.

En cause? L’évolution prise par la guerre en Syrie, qui a tourné à l’avantage du président syrien Bachar el-Assad et, avec lui, de l’Iran qui combat à ses côtés au moyen notamment de la milice chiite libanaise du Hezbollah. Voilà en réalité plusieurs mois que, à l’instar de Joseph Bahout, des analystes s’attendaient à ce que l’Arabie saoudite puisse être tentée de «réactiver» le front libanais, à même de rendre cette victoire de l’Iran moins définitive. En dictant à Saad Hariri sa décision de quitter le navire gouvernemental libanais, Riyad semble mettre à exécution cette menace.

Fin des compromis

Le Hezbollah est aujourd’hui, plus que jamais, le maître du Liban dont il détient la réalité du pouvoir, notamment sur le plan militaire et de la sécurité. Hariri, qui avait dû se résoudre à accepter cette nouvelle situation, s’était plutôt montré enclin au compromis avec ses rivaux chiites. C’en est fini, semble dire Ben Salmane.

Une prise de distance, de la part des Saoudiens, qui apparaît presque comme une invitation. Car le Hezbollah a aussi d’autres ennemis que l’Arabie saoudite: il y a quelques jours, le gendre de Donald Trump, Jared Kushner, s’est rendu à Riyad au cours d’un voyage surprise, dont il semble peu vraisemblable qu’il n’ait pas concerné le Liban; et l’Israël de Benyamin Netanyahou n’en finit plus de prévoir la prochaine guerre qui l’opposera à des troupes du Hezbollah qui se sont encore aguerries en Syrie et qui le menacent désormais sans détour.

Tir de missile des Houthis

Si le Liban est resté jusqu’ici relativement à l’écart de cette confrontation arabo-iranienne (il a été «neutralisé», dit Joseph Bahout), c’est parce que tout le monde avait trop à perdre d’un possible embrasement de ce promontoire privilégié. Ce n’est pas le cas d’autres terrains: à la suite d’un tir de missile des Houthis, intercepté semble-t-il ce week-end en route vers l’aéroport de Riyad, une violente passe d’armes oppose, ici aussi, l’Arabie saoudite et l’Iran.

Ce tir «équivaut à un acte de guerre», ont assuré les autorités saoudiennes. Des accusations «irresponsables et provocatrices», ont rétorqué les Iraniens. Au Yémen, au Liban, ailleurs encore, les mèches sont allumées. Et le futur roi d’Arabie saoudite semble peu disposé à les éteindre.

 

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