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Suite à une saisine de l’Inra par les Ministres de l’Agriculture et de l’Alimentation, de la Transition Ecologique et Solidaire, de la Santé, et de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, dans l’objectif d’analyser les usages du glyphosate, d’identifier les alternatives possibles avec leurs incidences économiques et organisationnelles et de proposer des mesures d’accompagnement pour faciliter la transition vers des systèmes de production sans glyphosate.

La réflexion sur la transition vers la sortie du glyphosate doit donc se faire sur une échelle de temps qui prend en compte la mise en oeuvre de ces techniques alternatives.
Avec l’appui des Chambres d’Agriculture et des Instituts Techniques Agricoles, nous avons identifié des situations de difficulté et d’impasses au regard des leviers et connaissances disponibles à ce jour. On considère qu’il y a impasse quand la seule alternative envisageable à court terme consiste à réaliser la destruction à la main de la flore vivace.
Elles concernent :
• le cas particulier de l’agriculture de conservation ; actuellement 4% environ des surfaces de grande culture. Il n’y a pas d’alternative efficace au glyphosate pour entretenir une parcelle dans la durée sans travailler le sol. Cette agriculture qui restaure les sols et stocke du carbone a été construite car le glyphosate permettait cette double action de détruire les couverts d’interculture (directive nitrate) et gérer la flore vivace. Ces agriculteurs pourraient être conduits à renoncer à leur principe et à réintroduire un travail superficiel, voire parfois un labour,
• les agricultures menées dans des conditions difficiles sans bénéficier d’une forte valeur ajoutée : terrasses, zones très caillouteuses, zones très fragiles vis-à-vis du risque d’érosion. Cette catégorie regroupe notamment des situations rencontrées dans les DOM ainsi que des vignes ou vergers conduits sur des terrains en forte pente. Les surfaces concernées ne sont pas chiffrées,
• les cultures pour des marchés spécifiques avec fortes contraintes techniques. Le secteur de la production de semences (380 000 ha dont 70 700 ha pour les espèces fourragères, potagères et florales les plus délicates à conduire) ainsi que les légumes de frais et de conserve cultivés en plein champ (203 560 ha en 2014 dont 61% en exploitations de grande culture), avec risque de présence de fragments issus d’adventices toxiques entrent dans cette catégorie,
• des situations de niche comme le rouissage du lin fibre (88 000 ha en 2016) dont la France est le premier producteur mondial, ou la récolte des fruits à coques (19 000 ha en 2014).
Le suivi des exploitations suggère que, dans une logique de reconception à l’oeuvre pour la réduction de l’usage des produits phytopharmaceutiques en grandes cultures, arboriculture et vigne, comme dans les DOM, il puisse y avoir des évolutions de modalités de conduite où des interventions qui auraient eu lieu de toute façon se fassent sur un positionnement nouveau pour couvrir ce que le glyphosate faisait. Couvrir un ensemble d’objectifs économiques, sociaux et de préservation de l’environnement et de la biodiversité est un défi technique, c’est pourquoi le rythme de transition à envisager devra donc prendre en compte des difficultés et impasses. En conséquence, le rythme d’adaptation par les agriculteurs sera affecté à la fois par ses productions, sa technicité, les équipements disponibles mais aussi des conditions pédoclimatiques particulières.
L’évaluation du surcoût économique est délicate
Pour la diversité des productions concernées, il dépend largement des reports sur d’autres techniques, des changements d’assolement si la rentabilité n’est plus au rendez-vous, des coûts de mains d’oeuvre qui sont variables d’une situation à l’autre en fonction de la main d’oeuvre disponible et, dans une même exploitation, selon les conditions pédoclimatiques. Entre productions et exploitations, l’impact économique sera d’autant plus marqué que la diversification des cultures est faible, qu’il n’y a pas d’élevage, que le secteur concerné touche des marchés très concurrentiels au sein de l’Union Européenne.
L’adaptation à un arrêt du glyphosate passe et passera par des changements profonds.
Le déploiement des pratiques nouvelles doit être envisagé sur toutes les exploitations, quelle que soit leur taille, et notamment celles de grande taille. L’efficacité, les débits de chantiers et la maîtrise de technique constitueront les trois points clés de succès.
Cela peut et doit guider les choix des agriculteurs, des organisations professionnelles et de la recherche vers :
• une capacité généralisée à caractériser et gérer les hétérogénéités intra-parcellaires pour aider à cibler l’intervention chimique ou mécanique là où elle est essentielle. Cartographier la flore vivace dans les parcelles relève de cet attendu,
• une capacité renforcée à rendre compte des états du milieu propices aux interventions chimiques ou mécaniques pour garantir leur efficacité ; les stades de développement, la portance de la parcelle doivent être disponibles en continu ; ces deux points doivent orienter les innovations à conduire par le secteur explorant les avancées d’une ‘agriculture de précision’,
• une robotisation renforcée (adossée à la règlementation adaptée) tout particulièrement en maraîchage,
• la mise au point d’une gamme élargie d’espèces et couverts végétaux d’interculture construits autour du critère de facilité de gestion (qualité d’installation, facilité de destruction mécanique) ; ce point peut nécessiter de revoir la réglementation sur les cultures intermédiaires autour de l’usage de l’irrigation pour installation et d’une petite dose de fertilisation,
• une extension de la conduite sarclée y compris de manière généralisée pour certaines grandes cultures qui n’y ont actuellement pas recours ; des variétés adaptées à cette modalité de conduite seront nécessaires,
• un élargissement de gamme d’outils de désherbage mécanique pour une meilleure efficacité à moindre coût d’utilisation, et une évolution de la réglementation pour faciliter son utilisation durant la période d’interculture,
• la mise en oeuvre de modalités de gestion permettant de réduire progressivement la réserve d’adventices dans les sols, sous forme de graines ou d’organes végétatifs,
• des modes de contrôles chimiques ou alternatifs innovants ciblant spécifiquement quelques espèces soit préoccupantes en santé publique soit freins majeurs des conduites actuelles vertueuses, y compris chez les agriculteurs en Agriculture Biologique : ambroisie, chardons, rumex, liseron, chiendent, Datura, morelle, et dévitalisation des rhizomes de canne à sucre.
Nombre de ces changements sont compatibles avec une réduction de la dépendance aux herbicides au-delà du seul glyphosate.
La recherche et la recherche appliquée ont depuis plus de 20 ans réalisé des travaux pour minimiser les usages, voire se passer du recours aux produits phytopharmaceutiques. Des systèmes de cultures innovants, ayant démontré la faisabilité technique dans des dispositifs de longue durée, ont été conduits. Nombre visaient d’autres pesticides jugés plus préoccupants que le glyphosate, notamment des insecticides dommageables à l’entomofaune utile. Le désherbage mécanique y occupe logiquement une place de choix, mais ces dispositifs soulignent l’importance d’avoir réfléchi à l’échelle du système en amont de sa réalisation. Ce sera aussi le cas en arboriculture avec le choix d’une irrigation surélevée qui est seule compatible avec le passage des outils de tonte ou de travail du sol au pied des arbres. Ces travaux de recherche soulignent l’importance des mesures prophylactiques limitant la pression des adventices. La révision et la reconception des différents systèmes de culture sont nécessaires à cause des multiples interactions entre les pratiques.
Les principaux blocages peuvent être de nature biotechnique ou résulter de notre trajectoire agricole ayant conduit i) à des exploitations de grande taille, ayant peu recours à la main d’oeuvre, ii) à la spécialisation des territoires qui limitent les utilisations alternatives des terres et favorisent la sélection d’une flore adventice difficile, iii) à des standards de marché et des cahiers des charges. L’analyse des transitions doit également intégrer ces dimensions structurelles. La transition vers l’absence de glyphosate sera aussi facilitée par une adaptation de la demande des consommateurs et l’harmonisation des pratiques entre pays européens pour limiter les distorsions de concurrence.
Les mesures d’accompagnement recommandées pour la sortie du glyphosate
Elles incluent les aides à l’investissement, la mobilisation des MAEC (Mesures Agro-Environnementales et Climatiques) Systèmes, la mobilisation des dynamiques collectives d’agriculture et le conseil et la formation, l’utilisation de la réglementation et notamment des CEPP (Certificats d’Economie de Produits Phytopharmaceutiques) et les organisations de filières, notamment en favorisant la reconnaissance de produits issus de filières sans glyphosate.
La recherche et la recherche appliquée joueront également un rôle pour améliorer l’efficacité et la facilité de mise en oeuvre des techniques alternatives disponibles et pour créer de nouvelles options, qu’il s’agisse de leviers nouveaux via le biocontrôle ou de méthodes permettant la maîtrise des hétérogénéités intra-parcellaires.
Rapport Inra 88 pages (PDF, 6 MO)
http://institut.inra.fr/Missions/Eclairer-les-decisions/Etudes/