Étiquettes

, ,

Alain Kerhervé : Dans le cadre de l’élection du Président du mouvement LR (Les Républicains), vous avez manifesté un intérêt très profond pour le gaullisme. Ce qui m’amène naturellement à vous poser une double question : pour vous, n’est-ce pas un concept du passé, une nostalgie ? D’après vous, que veut dire être gaulliste en 2017 ?

Julien Aubert : Le gaullisme n’a jamais été aussi moderne. C’est un courant de pensées qui déborde du champ traditionnel de la droite. D’ailleurs il y aussi des gaullistes de gauche, le tout reposant sur un socle de valeurs. J’en citerai 3.

  1. Tout d’abord, la dignité et la prospérité de l’homme en France et dans le monde qui n’a jamais été autant au cœur des enjeux contemporains. J’en citerai quelques-uns : l’esclavage en Libye, situations difficiles des salariés dans certaines entreprises, situation familiale détériorée, la PMA…
  2. Le gaullisme c’est un attachement profond au cadre de la Nation et de la République, et là aussi, jamais la Nation et la République n’ont été autant attaquées, par en haut par les fantasmes supranationaux, par en bas par les scissionnismes régionaux, sur le côté par toute cette logique consistant à multiplier les autorités administratives indépendantes qui, dans les faits, privent les élus de la conduite de l’État ou tout simplement la soumission à des forces mondialisées, généralement économiques mais pas uniquement, qui peuvent avoir des objectifs très différents pour le bonheur des peuples.
  3. Sur le comportement politique, le gaullisme intime une volonté politique sur le plan économique qui, dans une situation de plus en plus mondialisée, est tout d’abord un défi, et par rapport au pacte de confiance qu’on a signé avec le peuple. Le gaullisme, c’est aussi assumer la responsabilité des accords signés par la France avec le soutien populaire, alors qu’aujourd’hui on a tendance à favoriser les petits accords, les calculs politiciens et ses petites coalitions.

Pour ces trois raisons on peut affirmer que le gaullisme n’est pas une nostalgie, mais il convient de revisiter le logiciel programmatique, car cela n’a pas été fait depuis 15 ans, plus particulièrement depuis le décès de Philippe Séguin.

AK : Le gaullisme, doit-on le vivre à 100% ou peut-on en prendre que certaines parties ? Certains se définissent comme « gaulliste social« , d’autres comme « gaulliste souverainiste« , enfin une autre partie « gaulliste de gauche« . Qu’en pensez-vous ?

JA : Je crois que tous ces appellations sont des pléonasmes. Un gaullisme qui n’est pas social, ce n’est pas un gaullisme. ; un gaullisme sans la souveraineté nationale, c’est comme un canard sans tête. Le gaullisme est total, intégral ou ne l’est pas. Il faut donc le vivre à 100%. En revanche, je crois qu’il nous faut sortir de la valse des étiquettes qui ne veut plus rien dire. La machine à breveter le gaullisme est cassée depuis belle lurette. Mon enjeu n’est pas de faire de l’archéologie mais de réfléchir sur les courants de fond, les idées, le socle afin de bien définir ce que doit être le gaullisme aujourd’hui. Dans un sens, et je sais que le terme peut choquer, il faut entrer dans le post-gaullisme, et non pas s’imaginer ce que de Gaulle dirait ou ferait aujourd’hui. L’enjeu n’est pas de le ressusciter.

AK : Concernant le parti LR, comment vous est-il possible d’affirmer votre gaullisme tout en étant reconnu comme l’un des futurs cadres ?

JA : Je ne me pose pas la question de l’avenir du parti Les Républicains. Nous verrons si cette maison commune à plusieurs courants tient. Mais en revanche, mon objectif est de gaulliser au maximum Les Républicains en les faisant renouer avec son héritage populaire et attaché à la souveraineté nationale. Pour cela, j’ai créé la semaine dernière une structure intitulée « Oser la France » avec 7 autres parlementaires, deux anciens parlementaires, six élus locaux et des centaines d’autres acteurs-fondateurs et de parler Urbi et orbi. Urbi au sein du parti pour peser sur ses orientations, et orbi, car le gaullisme ne se réduit pas à un parti. Il aurait beaucoup de mal à exister dans un seul parti de droite classique. Dans « Oser la France », nous avons des gens des Républicains mais aussi un ancien cadre de DLF, un chevènementiste qui est un gaulliste de gauche. Par rapport à la fusion de la droite et de la gauche qui a été voulue par Emmanuel Macron et qui se traduit en vérité par la création d’un centre libéral-libertaire, nous portons l’espoir d’une autre alliance au-delà des clivages partisans. C’est la meilleure définition que l’on puisse donner à cette initiative. Pour moi, Charles de Gaulle était un homme de droite, mais il a su rassembler des bonnes volontés de tous horizons quand l’intérêt de la Nation était en jeu.

AK : Que pensez-vous des deux mesures suivantes prises par des Présidents se réclamant de l’héritage du gaullisme ? Le Quinquennat et le retour de la France dans le commandement intégré de l’Otan.

JA : Le quinquennat est une catastrophe. Il a déstabilisé les institutions auxquelles je suis favorable. Ceci dit, il nous faut  revoir la constitution sans revenir nécessairement à 1958. Il nous faut mener une réflexion notamment sur la cohabitation qui a fait l’objet de mon livre  » Salaud d’élu », mais aussi écarter ce qui dévierait des idées fondatrices de la Ve République.

Quant à l’Otan, cela fait partie de l’archéo-gaullisme. Il s’agit de regarder la situation internationale et analyser les enjeux qu’elle induit en tant que Français.

1er enjeu : Il faut une sorte de coalition supranationale, la faire avec les Britanniques, ou au niveau européen – Mais ce n’est pas possible aujourd’hui.

2éme enjeu : ne pas se laisser embarquer dans les querelles que peuvent porter les Américains en Asie (Je pense à la Chine ou la Corée du Nord)

3éme enjeu : Enfin, par rapport à la Russie qui voit l’Otan comme une force anti-russe, nous avons besoin d’un rapprochement avec elle pour construire et stabiliser l’Europe.

Pour synthétiser ceci, je précise que je ne voyais pas d’un bon œil le retour de la France dans le commandement intégré de l’Otan, mais les choses étant ce qu’elles sont, il convient d’équilibrer cette situation en la neutralisant. C’est pourquoi, il faut travailler avec la Russie et la faire entrer, à terme, dans l’Union Européenne.

AK : Comment voyez-vous l’Europe de demain.

JA : L’Europe est entrée dans un stade d’autodestruction par l’aveuglement et le déni. Donc je pense qu’il est vraiment urgent de repenser l’Union européenne en sortant des schémas classiques, souvent rabâchés. La spirale d’autodestruction touche les chômeurs en ouvrant la voie à un libre échangisme destructeur qui est en réalité une véritable guerre économique mené contre les travailleurs européens.

Je pense donc qu’il nous faut bâtir un nouveau discours européen, refonder l’Europe sur une vision politique élargie avec 4 piliers : la préférence communautaire, le maintien d’un haut niveau de protection sociale, le redéveloppement de l’Europe centrale et orientale, et enfin une intervention et une solidarité vraie avec les pays étrangers proches, notamment l’Afrique pour limiter l’immigration.

Ensuite, débarrasser l’Europe de tous les oripeaux supranationaux qu’elle peut avoir, et quand on a des politiques intégrées, il faut qu’elles génèrent des plus-values, je pense notamment à la recherche pour laquelle il peut y avoir un véritable enjeu, l’aéronautique ou la politique agricole.

AK : Toujours à propos de l’Europe, que pensez-vous de la proposition d’Alain Juppé de faire liste commune avec LREM d’Emmanuel Macron pour les prochaines élections du Parlement européen ?

C’est une excellente idée, car elle va permettre de clarifier le débat sur l’Europe. Si, dans ce contexte, Alain Juppé quitte LR, cela permettra aux Républicains de présenter une liste qui défendra la souveraineté et l’Europe des nations, et pourquoi pas tendre la main aux républicains de l’autre rive en fonction des conditions dans lesquelles pourra s’organiser le débat. Si nous partons sur un débat trans-partisan où portant sur l’uniformisation sociale et fiscale, il nous faudra de notre côté regrouper des forces qui veulent défendre la République et la Nation.

AK : Une dernière question relative à l’un des thèmes majeurs du gaullisme : la « participation ». L’objectif du Général était d’intégrer les salariés dans l’entreprises et d’en faire des actionnaires afin d’effectuer un réel partage des fruits et des responsabilités. Quel est votre vision sur ce sujet ?

JA : Comment y parvenir ? Charles de Gaulle, Président pendant 10 n’a pas réussi à y parvenir totalement. Il s’est heurté à des clans disparates qui se sont unis contre ce projet.

Aujourd’hui, dans une économie mondialisée, avec des entreprises où il y a beaucoup de capitaux étrangers, face à une Europe qui épouse l’ultralibéralisme, il ne faut pas envoyer un signal trop fort. Il desservirait la cause. Il nous faut donc avoir une réflexion, non pas sur l’objectif, mais sur la méthode. Comment peut-on y aller ? Il nous faut avancer pas à pas. Dans le cas contraire nous aurions des oppositions très fermes.

Propos recueillis par Alain Kerhervé

Gaullisme.fr – Page d’accueil