«Toucher à Jérusalem, c’est poser le doigt sur le bouton nucléaire»

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Une Palestinienne devant le Dôme du Rocher à Jérusalem.
© AMMAR AWAD

Interview

Les répercussions d’une possible décision américaine sur Jérusalem pourraient être considérables. Interview de Riccardo Bocco, professeur à l’IHEID

Alors que les Palestiniens parlent déjà d’une «déclaration de guerre», le discours que doit prononcer Donald Trump mercredi après-midi reste encore un mystère. Le président des Etats-Unis va-t-il reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël? Transgressera-t-il la règle, suivie par ses prédécesseurs pendant 22 ans, consistant à repousser toute décision sur un transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem? L’analyse de Riccardo Bocco, professeur de sociologie politique au Graduate Institute de Genève.

Le Temps: Quelle signification donnez-vous à ce discours?

Riccardo Bocco: S’il s’agit bien d’annoncer le déplacement de l’ambassade américaine, ou de reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël, je ne vois que deux explications possibles: l’incompétence ou la folie! Au-delà de sa réalité concrète, Jérusalem est un symbole qui rassemble derrière lui l’immensité du monde musulman. Jouer avec ce symbole, c’est presque mettre directement le doigt sur le bouton pour déclencher une guerre nucléaire.

Quelles sont les motivations de Donald Trump?

Les Etats-Unis n’auraient absolument rien à gagner par ce geste. Sauf si l’on imaginait une sorte de «théorie du chaos» par laquelle, avec tous les risques que cela comporte, les Etats-Unis tenteraient de redessiner brutalement le monde pour tirer profit de la confusion afin d’asseoir leur domination. Mais je n’y crois pas: il n’y a pas de cabinet constitué qui aurait réfléchi à cela à Washington, et qui viendrait avec un plan cohérent à propos du Proche-Orient sur lequel il aurait planché pendant six mois. Dans la mesure où Donald Trump continue à éliminer ses aides et à affaiblir la plupart des secteurs de l’administration américaine, il semble s’agir d’une décision qu’il a prise pratiquement seul. Et même dans ce cas-là, elle reste difficile à comprendre. Donald Trump n’est pas un «born again» qui obéirait à des motivations mystiques, comme a pu l’être George W. Bush. Reste encore l’influence possible de son beau-fils, Jared Kushner. Mais à mon avis, Trump a démontré qu’il n’était pas homme à se laisser diriger par qui que ce soit, fût-ce par le mari de sa fille adorée…

Nous sommes donc hors de la logique?

La dernière hypothèse, c’est que le crescendo auquel on a assisté ces derniers jours ait pu servir uniquement de test afin de mesurer les possibles réactions. Trump est assez imprévisible pour être encore capable de reculer à la dernière minute. Mais une partie du mal est déjà faite.

Précisément. Quels sont les risques?

Sur le plan israélo-palestinien, cela intervient en plein processus dit de «réconciliation» entre le Hamas à Gaza et le Fatah de Mahmoud Abbas en Cisjordanie. Ce nouvel élément pourrait servir à créer une unité de façade, mais cela ne suffirait pas à contrôler les possibles réactions de la rue.

L’Autorité palestinienne (AP) pourrait être tentée, au moins en théorie, par l’auto-dissolution. Elle dirige un Etat certes reconnu par l’ONU en tant que membre observateur, mais cet Etat n’a pas de frontières et il est désormais privé de capitale. Il s’agirait de demander à la communauté internationale de prendre ses responsabilités. Quoi qu’il en soit, l’AP risque fort d’être violemment prise à partie par certains secteurs palestiniens et même de subir des attentats. Le secteur arabe d’Israël bouillonne, lui aussi, autour de la ville d’Umm al-Fahm (dans le nord d’Israël). De la même manière, cela peut donner des ailes aux extrémistes juifs, qui continuent de rêver à la destruction des mosquées et à la reconstruction du Temple.

Et pour les Etats de la région?

Du point de vue de la menace militaire, Israël n’a rien à craindre. Mais le symbole Jérusalem a un fort pouvoir fédérateur qui – et c’est intéressant – concerne aussi bien les pays arabes que l’Iran ou la Turquie. Le pouvoir saoudien, tout spécialement, pourrait courir de gros risques. S’il décidait d’accepter la décision américaine, il s’exposerait de façon très dangereuse aux groupes fondamentalistes qui ne l’entendraient certainement pas de cette oreille.

 

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