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Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXè siècle.
Mon cher ami,
Quand les chrétiens-sociaux bavarois font bon accueil à Viktor Orban
Je viens de tomber sur la vidéo de la conférence de presse qu’ont donnée, vendredi soir, le Ministre-Président de Bavière et le président du groupe chrétien-social au Bundestag en compagnie de Viktor Orban, qu’ils avaient invité au séminaire de deux jours qu’a tenu le groupe parlementaire, vendredi et samedi, dans un ancien monastère bavarois (Kloster Seeon), au bord d’un petit lac au sud de Munich. La chaîne allemande Phoexix nous livre l’intégralité du contenu et cela nous permet de faire de l’anticipation politique pour 2018.
Ce n’est pas le discours commun sur la crise des réfugiés qui m’a le plus frappé, tant il était attendu.
Bavarois et Hongrois plaident ensemble pour une reprise en main de Schengen et ce qu’ils appellent le «rétablissement de l’Etat de droit » en Europe centrale. Que les premiers-ministres bavarois et hongrois veuillent limiter strictement, désormais, l’entrée de migrants sur leur territoire, nous le savions déjà et la différence entre les deux Etats tient au fait que le premier fait partie de la République Fédérale d’Allemagne et n’a pas pu agir de manière souveraine tandis que la Hongrie a pu s’opposer à la politique allemande d’accueil non plafonné des réfugiés. Mais le plus important n’était pas là. Beaucoup plus neuf, pour moi en tout cas, était un discours sur les partenariats économiques privilégiés en Europe.
Aussi bien la partie bavaroise que la partie hongroise ont utilisé la même formule, comme si elle avait été suffisamment répétée au cours du séminaire pour devenir une certitude partagée: « La Bavière et les pays du groupe de Visegrad réalisent ensemble plus d’échanges commerciaux qu’avec la France et la Grande-Bretagne ». (Par groupe de Visegrad, il faut entendre République tchèque, Slovaquie, Pologne et Hongrie). Au moment où la CSU, avec la CDU, est en négociations avec les sociaux-démocrates pour la constitution d’un nouveau gouvernement de Grande Coalition, les Bavarois font clairement entendre leur son de cloche en invitant Viktor Orban: il n’est pas question que Madame Merkel et le SPD imaginent pouvoir se passer d’un compromis avec les chrétiens-sociaux, ni en ce qui concerne le durcissement de la politique d’accueil des réfugiés ni en ce qui concerne la nécessité d’aider Emmanuel Macron. Samedi soir, ce n’était pas un analyste dogmatique de la Bundesbank qui parlait; ce n’était pas Christian Lindner, responsable du FDP; ce n’était pas seulement Horst Seehofer! Les Français feraient bien d’écouter ce que dit le Premier Ministre Hongrois: « Nous ne voulons pas que la barre des 3% de déficit soit franchie dans l’Union Européenne ». Le coup de pied de l’âne aux Français est d’autant plus évident que la Hongrie n’est pas encore dans l’euro.
De ce que je viens d’écouter, je tire des enseignements pour l’Allemagne et pour la France.
Le prochain gouvernement fédéral allemand sera faible
Quand j’analyse ce qui vient de se passer à l’issue d’un séminaire du groupe parlementaire de la CSU au Bundestag (il y a fort à parier que celui du groupe parlementaire au Landtag dans quelques jours aboutira à des conclusions aussi dures), je comprends que la Bavière est en train de prendre des « réassurances »: elle sait qu’elle peut être mise en minorité au sein de la République Fédérale et dans un gouvernement de Grande Coalition mais elle pense peser suffisamment, avec ses 14 millions d’habitants, pour pouvoir appuyer et s’appuyer sur la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et la République tchèque dans le sens d’une politique « conservatrice », au sens d’une immigration contrôlée et de finances publiques bien tenues. Il y a bien évidemment un pays non cité, l’Autriche, pour ne pas créer de polémique du fait de la présence du FPÖ au gouvernement, mais qui est inclu dans l’insistance bavaroise et hongroise, hier soir, sur la « Mitteleuropa », l’Europe centrale.
Evidemment, ce durcissement, depuis Munich, annonce des négociations pénibles, laborieuses même, pour former un gouvernement allemand. La CSU devra faire des concessions sur la question de l’accueil des réfugiés; les sociaux-démocrates devront accepter que les propositions du président français pour la fédéralisation de l’Europe soient partiellement rejetées. Madame Merkel essaiera de trouver une position de médiation mais la magicienne a perdu sa baguette et elle subira largement les événements.
Il n’est pas à exclure que les négociations échouent et qu’il y ait de nouvelles élections. Auquel cas, une CDU sans Madame Merkel essaiera, avec la CSU, de se réancrer à droite. Ce qui impliquera, bien entendu, un durcissement vis-à-vis de la France et de la zone euro en général. On peut penser alors que le SPD jouera lui une carte plus à gauche. Mais il faudra du temps aux partis traditionnels pour retrouver de la crédibilité. Et il n’est pas sûr que l’on ait un résultat très différent de ce qui est sorti des urnes en septembre 2017.
Donc, avec ou sans nouvelles élections, le gouvernement fédéral allemand qui émergera durant l’année 2018, en mars ou en juin, sera un gouvernement faible. De plus en plus, les capitales régionales vont affirmer leurs intérêts. Si l’on proclame à Düsseldorf, à Stuttgart, à Hanovre ou à Erfurt comme nous l’entendons à Munich en ce moment, que les intérêts du Land sont ceux de l’Allemagne, nous allons aboutir à une sympathique cacophonie.
La France se trompe de politique allemande et donc de politique européenne
Si l’on conseille à vos plus hauts responsables de changer du tout au tout de « politique allemande » vont-ils comprendre de quoi il s’agit? La France, pays de la révolution, est capable d’être le pays le plus réactionnaire, sous un discours progressiste. (Comme tout Tory j’ai mauvais esprit à propos de votre révolution et je comprends le mot dans son sens étymologique de retour au point de départ…..). Les dirigeants français font encore avec l’Allemagne comme s’ils avaient affaire à la République de Bonn, l’Allemagne de l’Ouest d’avant la réunification, d’avant 1990. L’Allemagne réunifiée se trouve au centre de l’Europe et au carrefour de beaucoup d’intérêts contradictoires mais votre pays, vos gouvernements font toujours comme si l’Union Européenne devait attendre un accord franco-allemand pour entériner un sujet. L’Union Européenne telle que la promeut votre président, ce sont les Etats-Unis d’Europe de Jean Monnet, dont je crois me rappeler qu’il est mort alors que le jeune Emmanuel avait 14 mois.
Effectivement, la France et la RFA y avaient la prépondérance ensemble. Effectivement, dans le format de l’époque, à 9 ou même à 12, une fédéralisation était possible. Tout ceci est du passé. Mais même les cadres de réflexions qui ont présidé à la reconfiguration de l’Europe, dans les années 1990, sont dépassés.
Depuis qu’il est président, au risque de manquer d’information, j’ai observé que M. Macron: 1. S’est tenu prudemment à l’écart de la crise catalane; 2. A braqué l’Italie sur plusieurs dossiers; 3. A effectué en Grèce une visite sans qu’il s’ensuive un allègement de la dette grecque; 4. A refusé de traiter la Pologne et la Hongrie, du fait de leurs gouvernements conservateurs, comme des partenaires; 5. N’a pas fait bouger d’un iota tous les membres de la zone euro (ou aspirants, comme la Hongrie) qui tiennent à un strict monétarisme. 6. Enfin a poursuivi un mirage, le soutien d’Angela Merkel. Vu ce que nous pouvons anticiper de l’évolution politique de l’Allemagne en 2018, autant parier sur le fait que le président français se trouvera bien seul sur sa ligne, au plus tard à l’été.
Essayons d’imaginer un changement de politique française. Au lieu d’être complice de la Mezzogionisation de l’Europe, la France prendrait avec panache la tête d’une coalition méditerranéenne demandant une autre politique monétaire. Au lieu d’ignorer voire insulter les gouvernements conservateurs, la France les inclurait, avec l’Europe méditerranéenne, dans une réflexion sur la stabilisation géopolitique de l’Europe du Sud et de la Méditerranée. A la tête d’une Europe méditerranéenne, dans une logique de rééquilibrage, la France pourrait forcer le camp monétariste à une autre lecture du traité de Maastricht, en particulier à une politique de change et à une politique d’investissements actives. La France profiterait de son leadership croissant pour servir de médiatrice entre Londres et Bruxelles et faire aboutir à un bon accord commercial les négociations du Brexit. Et l’Allemagne, dans tout cela? Eh bien, Paris et les capitales de région encourageraient les entreprises françaises à traiter avec les Länder, où se situera de plus en plus le vrai pouvoir. Parallèlement, elle suggérerait à Berlin, de défendre des plans européens, par exemple pour l’investissement, afin de peser face aux Länder.
Trouvez-vous que je vais trop vite en besogne? Evidemment, de tels changements ne se déroulent pas en quelques mois. Mais il est urgent de changer de politique car plus Paris attendra, plus votre pays se trouvera isolé et obligé de compter sur ses seules forces face à des marchés soudain moins bienveillants.
Bonne semaine à vous
Votre très fidèle Benjamin