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Sous la pression de l’offensive turque, les Kurdes ont dû négocier le retour de Damas dans l’enclave autonome.

GEORGES MALBRUNOT

 Des forces pro-Assad s’apprêtaient à entrer lundi dans la région d’Afrine pour faire face à l’offensive de l’armée turque contre les positions des combattants kurdes du PYD qui administrent cette enclave du nordouest de la Syrie. Mais l’accord final autour de ce nouveau rebondissement dans la crise ne serait pas encore complètement ficelé entre Damas et les Kurdes, sous le parrainage de la Russie.

Plutôt qu’un déploiement de l’armée syrienne, il s’agirait dans un premier temps de « forces populaires qui arriveront pour soutenir les habitants contre l’attaque du régime turc », indique l’agence officielle syrienne Sana. Par «forces populaires», il faut entendre des supplétifs syriens, irakiens ou libanais au pouvoir syrien. Ils seraient environ 4000 prêts à pénétrer d’abord dans Afrine, avant de se déployer autour de la ville. Cette avancée des pro-Assad est le résultat de négociations menées depuis une semaine entre Damas et les Kurdes, affaiblis par un mois de bombardements turcs.

Dimanche soir, Badran Jia Kurd, un responsable kurde, affirmait que des forces syriennes se déploieraient, mais le long de certaines positions à la frontière avec la Turquie. Les Kurdes restent vagues sur l’ampleur du déploiement loyaliste dans la région d’Afrine. Ils ne l’ont accepté que contraints et forcés. Quelques jours avant le déclenchement, le 20 janvier, de l’offensive turque, avalisée par Moscou qui retira alors ses hommes près d’Afrine, les Kurdes avaient rejeté une offre d’aide du régime syrien transmise par les Russes, qui impliquait la remise de la ville d’Afrine à Assad et la fin de leur gouvernance autonome de la région. Mais dans la foulée des premiers bombardements turcs – même si l’offensive d’Ankara ne s’est traduite que par des gains territoriaux relativement modestes – des responsables kurdes d’Afrine appelaient au retour du pouvoir syrien dans la ville, tandis que d’autres soulignaient que Damas pouvait tout à fait déployer sa police à la frontière avec la Turquie. Mais les Kurdes ne veulent pas d’un retour à la situation d’avant 2012, date à laquelle ils profitèrent du retrait – négocié avec Damas – des forces loyalistes pour gagner une certaine dose d’autonomie. C’est autour de cet acquis que les ultimes négociations de ces dernières heures ont porté.

Vers un cessez-le-feu

Selon des sources progouvernementales, les Kurdes auraient accepté de remettre à Damas le contrôle de 52 bases militaires, à l’intérieur et à l’extérieur d’Afrine. Ils devraient également rendre leurs armes lourdes mais garderaient leurs armes légères. Remettrontils aussi la gouvernance d’Afrine à Damas ? « Concernant les questions politiques et administratives de la région, cela fera l’objet d’un accord ultérieur avec Damas grâce à des négociations directes », soulignait dimanche Badran Jia Kurd, tout en ajoutant que l’ébauche d’accord conclue avec le régime pourrait très bien être remise en cause avant d’être mise en oeuvre. Un autre point de friction porte sur l’exigence syrienne d’enrôler – comme ailleurs sur le territoire – les jeunes Kurdes dans un service militaire obligatoire. Selon nos informations, les Kurdes disposeront d’un délai avant de devoir faire leur armée sous les couleurs du régime.

« Les Kurdes ont probablement perdu Afrine, mais les Turcs, eux, ont sauvé la face », analyse un diplomate arabe au Moyen-Orient. «Les premiers se battaient seuls sans alliés, quant aux seconds, ils piétinaient sur le terrain », ajoute-t-il. En coulisses, la Russie – alliée de Damas et d’Ankara, mais qui n’a pas coupé les ponts avec les Kurdes – a joué le rôle de médiateur entre protagonistes. Moscou cherche à amener les Turcs et leurs relais parmi les rebelles syriens à un cessez-le-feu autour d’Afrine. Ankara y a intérêt, à condition que ce nouveau développement dans la crise aboutisse à une vraie « neutralisation » des combattants kurdes de la région d’Afrine. « Si le régime entre à Afrine pour nettoyer le PYD, il n’y aura aucun problème, a ainsi déclaré Mevlüt Cavusoglu, le ministre des Affaires étrangères, en revanche s’il vient pour défendre le PYD, alors rien n’arrêtera les soldats turcs. » Une mise en garde réitérée lundi par le président Recep Tayyip Erdogan lors d’un appel téléphonique à Vladimir Poutine.«Cette avancée des pro-Assad va constituer un appel d’air pour les Turcs, qui exerceront prochainement les mêmes pressions sur d’autres positions tenues par les Kurdes à leur frontière, à Manbij et Ras al-Aïn », prévient le diplomate.

Vendredi à Ankara, Américains et Turcs se seraient entendus pour éviter de s’affronter à Manbij, ville également tenue par les Kurdes où Washington a déployé des soldats. Ankara y dépêcherait des troupes aux côtés des Américains, lesquels forceraient leurs alliés kurdes à reculer. Encore une fois.

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