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 Natacha Polony

Emmanuel Macron n’est pas du genre à s’en laisser compter. Il ne se cache pas derrière son petit doigt. Il ne fait pas dans la flatterie. Il n’est « pas là pour plaire, mais pour faire ». Le président a ceci de délicieux qu’il réserve ses postures d’autorité à ces catégories de Français qui ont le mauvais goût de ne pas partager son enthousiasme pour l’air du grand large et la modernité nomade. Devant ce genre de public, on surjoue la figure du chef, on construit celle des « méchants », déclinistes, sceptiques ou mauvais Français qui oeuvreraient contre l’intérêt national, associés aux corporatistes de tout poil. « Ce que nous faisons ne plaît pas à tous ceux qui vivent sur des mensonges et agitent la peur, a-t-il lancé aux jeunes agriculteurs qu’il avait convoqué jeudi à l’Élysée. Je les croiserai samedi et je les regarderai dans les yeux. » Qui sont ces méchants ? Ceux qu’il « met devant leurs responsabilités » en leur expliquant que les problèmes ne viennent pas de « Bruxelles » ou d’ailleurs mais de « nous », c’est-à-dire d’eux. Vous crevez ? C’est de votre faute.

C’est quand on est un peu flottant qu’il faut paraître d’airain. Quand on contourne qu’il faut adopter la raideur de celui qui ne déviera pas. On en profitera pour exalter la rupture avec « les vieilles habitudes françaises ». Ce qui permet de servir aux paysans le couplet sur les « entrepreneurs agricoles » et la modernité, forcément industrielle, celui-là même qui les incite depuis des décennies à « investir », c’est-à-dire à s’endetter pour se faire tailler des croupières par des pays toujours plus industrialisés, et toujours moins chers. Ah le numérique et la technologie, les restructurations et la compétitivité, tous ces mots appris à l’ENA et dans les couloirs de Bercy, et que l’on peut lancer devant un auditoire pour lui signifier combien il est rétrograde.

En l’occurrence, les paysans ont déjà effectué leur révolution technologique. Elle ne change rien au problème. Un problème que résume la mesure gouvernementale censée régler les nouveaux rapports de forces entre producteurs et grande distribution. Le « juste prix » brandi au sortir des États généraux de l’alimentation a des allures de slogan pour jeu télévisé. Ainsi donc, les distributeurs devront, s’ils s’adressent à des paysans français, leur garantir une rémunération décente. Et que croyez-vous qu’il arrivera, dans un marché ouvert ? Ils iront voir ailleurs. Du lait polonais ou du porc allemand, 25 % moins cher, et désormais de la viande argentine, puisque l’Union européenne négocie avec le Mercosur un de ces accords de libre-échange dont elle a le secret. 99 000 tonnes de viande bovine à bas coût, nourrie au soja OGM, issue de fermes-usines. Sans oublier les fruits et légumes marocains, cultivés grâce à des produits interdits en France. Que choisira le consommateur, sur l’étal de son supermarché ? Avec ces « prix garantis », ce qui reste de l’agriculture française peut disparaître en quelques mois. A moins que le rêve présidentiel ne soit, sous le nom d’« innovation », d’aligner notre agriculture sur ce genre de production industrielle. Un rêve qui expliquerait que la FNSEA ait retrouvé la cogestion du ministère qu’elle avait perdue sous Stéphane Le Foll.

Emmanuel Macron, bien sûr, s’est porté garant : « il n’y aura jamais de boeuf aux hormones en France. Il n’y aura aucune réduction de nos standards de qualité, sociaux, environnementaux ou sanitaires ». La preuve, il travaillera à ce qu’il y ait des possibilités de « bien contrôler aux frontières la traçabilité et les normes environnementales et sociales ». Comme pour les jouets et le textile chinois qui ont éradiqué les industries françaises. La baudruche des grandes résolutions chantées avec lyrisme dans les discours présidentiels rencontre un jour l’aiguille du libre-échange, ce dogme qui structure toute sa pensée. Quand cela se voit trop, il se fâche. « Je suis votre chef ».

Dans la liste des vieilleries françaises à réformer pour les adapter à la globalisation, notre président pourra donc cocher l’agriculture. Quels seront les autres secteurs, ceux qui devront raser leurs vieux monuments inutiles pour bâtir les tours en verre de la start-up nation ? Emmanuel Macron a promis de transformer la France. Ce qu’il dessine avec l’agriculture, à coup de faux semblants et de mesures partielles, c’est son remplacement par une industrie agricole centrée sur quelques secteurs de pointe. La révolution « schumpeterienne » qu’il vantait dans son entretien avec Le Point est bien là : une destruction supposée créatrice, d’où sortira un pays nouveau. Sera-ce encore la France, avec la sublime diversité de son patrimoine agricole, l’intelligence de ses savoir-faire et cette notion de terroir par laquelle elle a transmis au reste du monde une certaine façon d’habiter la Terre ? L’autoritarisme présidentiel n’est pas une trace du monde ancien, contrebalançant l’ouverture libérale, il est la marque de cette caste des sachants qui s’étonnent qu’on puisse ne pas se ranger à leur avis éclairé.

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