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Déçus de la vie à deux ou attachés à leur indépendance, au moins 1,2 million d’amoureux vivent « ensemble séparément »
AGNÈS LECLAIR
FAMILLE Il y a le mariage, le pacs, le concubinage… et le «chacun chez soi». Les Anglo-Saxons ont surnommé «living apart together» (LAT) ces couples qui vivent « ensemble séparément ». Cette façon de partager sa vie sans partager le même toit intrigue les chercheurs qui peinent à la faire rentrer dans une case des modes de conjugalité. Divorcés échaudés, quadras ancrés dans leurs habitudes de célibataires endurcis, jeunes jaloux de leur indépendance, ces insaisissables font l’objet d’une publication de l’Ined (Institut national d’études démographiques) qui tente de mieux cerner ce phénomène de société dans un nouvel ouvrage sur La famille à distance*.
Cette étude souligne tout d’abord que le nombre de ces couples «non cohabitants » varie fortement en fonction de la manière dont on les compte. 8,7 % des 18-79 ans se disent «en relation amoureuse stable non cohabitante », soit 3,8 millions de personnes, dans l’enquête «Étude des relations familiales et intergénérationnelles» (ERFI, 2005) par l’Ined et l’Insee. Un pourcentage qui chute à 2,7 %, soit 1,2 million de personnes, dans l’enquête «Famille et logements » de l’Insee (2011), plus restrictive car elle se fonde sur la notion de couple. « Les frontières du couple et de la cohabitation sont devenues floues. Autrefois, on arrivait facilement à définir le couple comme deux personnes mariées vivant sous le même toit. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. D’autres formes d’unions ont vu le jour. Les séparations n’empêchent pas toujours les couples de cohabiter. Certains ont une résidence commune mais n’y sont que rarement en raison de leur travail », relève l’auteur de l’étude, le démographe Arnaud Régnier-Loilier.
Pour Élise, le « chacun chez soi » constitue bien un mode de vie. Cette trentenaire séparée, mère d’un petit garçon de 8 ans en garde alternée, n’envisage pas du tout de se retrouver tous les matins au petit-déjeuner avec l’homme qui est entré dans sa vie il y a quatre ans. séparant sa vie amoureuse de sa vie parentale, elle a trouvé un équilibre. Elle n’est prête ni à déménager, ni à faire de la place, dans son deux-pièces des Hauts-de-Seine, pour son compagnon. Ce dernier, lui aussi père séparé avec un enfant, vit également dans un petit appartement, à dix minutes à pied de celui d’Élise. « Nous avons déjà construit notre vie chacun de notre côté avec un travail, un logement. Nous avons chacun notre rythme, nos habitudes, notre style d’éducation et nous respectons l’intimité de chacun, décrit-elle. Nous ne gérons pas le quotidien ensemble et nous sommes toujours contents de nous retrouver en amoureux quand nous n’avons pas les enfants. Nous avons l’impression d’inventer une nouvelle forme de relation.» Ni pacs ni mariage à l’horizon. Après une première rupture, Élise avoue une « peur de l’échec » et de « l’usure du quotidien » malgré « beaucoup d’amour ». Et tant pis pour les économies que permettrait partage d’un logement…
«À l’instar de l’union libre qui s’est d’abord diffusée dans les grandes villes et en particulier en région parisienne», les « non-cohabitants » vivent d’ailleurs plus fréquemment en Île-de-France (27%) ou dans les grandes communes (44 %) que les couples sous le même toit, le note l’étude. Et ce malgré le prix élevé de l’immobilier. Les «living apart together » sont aussi plus souvent des femmes cadres (6%) que des employées (3%) ou des ouvrières (2%). «Les cadres ont moins de contraintes économiques mais aussi souvent une aspiration plus forte à une certaine forme d’indépendance, une volonté de se réaliser en dehors de la vie familiale », souligne Arnaud Régnier-Loilier. Aurore, en couple depuis près de trois ans mais seule à la maison avec ses deux enfants, envisage d’ailleurs le «chacun chez soi» comme une manière de rester « maître à bord ». Cette jeune femme de 32 ans n’a pas envie de «s’empoisonner la vie avec des tensions liées à la recomposition» alors que son bien-aimé a lui aussi deux enfants de son côté. Elle n’envisage donc pas de quitter la Vendée pour le rejoindre dans le Limousin. Pour l’instant, les week-ends et les vacances communes suffisent à leur bonheur. « Notre façon de vivre me permet d’être libre de gérer seule mes difficultés, sans interférences, sans directives », plaide-t-elle.
Pas encore prêts à faire de compromis
Le couple à distance relève avant tout de logiques différentes en fonction des moments de la vie. Ainsi, les jeunes actifs ou étudiants, sans désir immédiat de vie familiale, forment le gros des troupes de ces couples à distance : 6 non-cohabitants sur 10 ont en effet moins de 35 ans. En début de vie adulte, ce mode de conjugalité est donc moins novateur que chez les quadra ou quinquagénaires.
Laure, une Parisienne de 24 ans, ne partage par exemple toujours pas son trousseau de clés avec l’élu de son coeur malgré une relation entamée il y a cinq ans. Tous deux ont déjà signé un contrat de travail solide dans la communication et le conseil mais ils ne sont pas encore prêts à faire de compromis sur leurs styles de vie. « Je suis très attachée à mon indépendance. Je sors beaucoup et j’invite fréquemment des amis tandis qu’il est plutôt casanier», explique la jeune femme. Laure prévoit cependant un emménagement à deux l’année prochaine. Pour beaucoup de couples, la non-cohabitation, peu compatible avec un projet d’enfant, «est une forme transitoire de relation conjugale », «une étape du processus de (re)mise en couple», conclut l’étude.
« La famille à distance. Mobilité, territoires et liens familiaux », Ined éditions.
Source: lefigaro.fr