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Un ami, forcément macronien comme tout membre de l’élite qui se respecte, ne comprend pas pourquoi je ne suis pas, comme lui, follement séduit par ce président centriste, jeune, beau, sympathique, anglophone et plutôt moins mauvais réformateur que ses prédécesseurs. Il ne saisit pas que ce n’est pas pour moi une question de personne, mais d’un rejet ferme, définitif et argumenté du centrisme, du « ni droite ni gauche » qui laisse hors du jeu politique les quatre autres partis. Je crains en effet qu’il ne rende l’alternance autre qu’avec les extrêmes au plus haut point problématique. Macron a certainement de grandes qualités et un mérite incontestable, celui de nous avoir évité Mélenchon et Le Pen. Pourtant il y aura, qu’on le veuille ou non, une alternance, peut-être dans quatre ans, en tout cas dans neuf, puisque la dernière réforme constitutionnelle n’autorise pas un président à faire plus de deux mandats consécutifs.
Or la démocratie ne peut pas, ne doit pas, se passer de la possibilité d’une discussion entre gens raisonnables, donc, qu’on le veuille ou non, qu’on aime ou pas les partis politiques, d’une alternance entre une gauche qui se veut maintenant démocratique et une droite clairement républicaine. Car chez les LREM, sans vouloir être désobligeant, on ne voit personne, vraiment personne, qui puisse, même dans quelques années, prendre le relais en admettant même que Macron ait réussi à réformer le pays tout en devenant assez populaire pour qu’un des siens soit réélu, ce que rien ne prouve pour le quart d’heure. La dette et les déficits continuent de se creuser, la réforme de la formation professionnelle est pour l’instant mal engagée, le recul un peu misérable face aux zadistes de Nantes va laisser des traces et les propositions sur l’Europe restent à la fois discutables et peu crédibles aux yeux de nos partenaires (mon Dieu, quelle idée de vouloir élargir encore l’Europe aux pays des Balkans qui n’y sont pas au lieu d’approfondir nos liens !). Bref, à part la flat tax de 30 % sur les revenus du capital et les réformes conduites par Blanquer, il n’y a pour le moment aucun indice sérieux qui puisse assurer que les choses aillent vraiment vers le mieux. Bien sûr, tout peut encore changer et d’évidence, il est trop tôt pour faire le moindre bilan, mais pour le moment rien de grandiose n’a été mis en chantier alors que l’alternance, elle, est déjà programmée.
Pour expliquer le fait que la démocratie repose sur le pluralisme et ce dernier sur l’alternance, on peut donner des arguments factuels, souligner qu’il en va de facto ainsi dans toutes les démocraties. Voyez les ÉtatsUnis, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, et tous les autres exemples que vous voudrez trouver. Il n’y a aucune exception. Toujours, on y trouve une opposition entre droite et gauche, républicains et démocrates, libéraux et socialistes, conservateurs et travaillistes, peu importent les dénominations, les faits sont là. Certes, mais il y a plus. En ces temps troublés où notre président prétend renverser la table en sacralisant le centre, où Bayrou applaudit à la victoire par contumace de ses idées, se contenter de dire que ça a toujours été comme ça n’est pas suffisant. En réalité, si l’alternance entre gens raisonnables est vitale pour la démocratie, c’est aussi parce que cette dernière est fondamentalement inséparable de l’éthique de la discussion, d’une certaine conception du débat contradictoire qui, certes, peut échouer, mais qui, lorsqu’il est de bonne tenue, est le seul moyen de parvenir à dégager une vérité touchant l’intérêt général. Or pour l’instant, ce débat est en France infranul.
Faute d’une opposition responsable, il ne fait qu’opposer dans un jeu stérile le centre et les extrêmes, le mou et le dur. Voyez l’exemple de l’Europe : le problème n’est nullement Frexit ou pas Frexit, fédéralisme à tous crins ou souverainisme méchenchonolepéniste, mais quelle Europe ? Celle de l’élargissement sans fin voulue par Macron ou une Europe resserrée autour de quelques projets cruciaux et dotée enfin des normes fiscales et sociales communes ? Or ce débat est pour le moment occulté, les partis de gouvernement étant encore sous le choc de leur défaite. Je souhaite donc ardemment le retour de partis intermédiaires entre le centre et les extrêmes. Si j’étais de gauche, j’aurais soutenu Valls, mais comme je suis de droite, j’attends de Wauquiez et de ses amis qu’ils reprennent la main et proposent un programme assez intelligent et original pour remettre la droite républicaine en ordre de marche.