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En plein projet de révision constitutionnelle et en plein bilan de celle de 2008, avec Nicolas Sarkozy qu’il reçoit ce mardi, le président du Sénat veille au grain. Il entend être « un contre-pouvoir » aux ambitions du président. Pas question de courtcirc
Marion Mourgue
Àdes milliers de kilomètres de la France, sous 45 °C, Gérard Larcher « se tient au courant », jamais loin de la politique française. En plein Sahel, en route pour la région du lac Tchad et un camp de réfugiés, Gérard Larcher essaye d’avoir du réseau pour consulter, sur son téléphone, l’avis du Conseil d’État. Le président du Sénat lui avait soumis il y a un mois la proposition de loi des parlementaires Maurey-Nègre portant sur l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs. Un sujet d’actualité, alors que, le même jour, Édouard Philippe annonce son choix de recourir aux ordonnances pour réformer la SNCF. Une ineptie pour Gérard Larcher, qui prévient qu’il ne laissera pas le Parlement être court-circuité « sur des sujets qui concernent l’aménagement et l’équilibre des territoires. Sinon il n’y a qu’à supprimer le Parlement ! », s’agace-t-il. « On ne peut pas considérer que le Parlement fasse l’accessoire et que l’essentiel soit traité par ordonnances. Même si c’est plus dur », affirme-t-il. « La démocratie, c’est le pouvoir régulé par les représentants du peuple. »
Le message est clair, Gérard Larcher ne cédera pas, soucieux de se placer comme la vigie du « fonctionnement démocratique » des institutions. S’il juge indispensable de « redresser » la SNCF, il estime aussi que « ce n’est pas une entreprise comme les autres » avec des contraintes de service public et d’aménagement du territoire. « Et l’aménagement du territoire est un sujet éminemment politique, qui doit être débattu par le Parlement ! », martèle-t-il. « Que le président soit très attentif à cette France des petites et moyennes villes, ceux qui ont le sentiment de pas être dans le coup, aux classes moyennes touchées par la hausse de la CSG », met en garde Gérard Larcher, en s’inquiétant d’une fracture territoriale croissante.
Des réseaux et des soutiens
Si le président de la Haute Assemblée estime ne pas engager un rapport de force avec le chef de l’État, – « ce n’est pas en ces termes », balaye-t-il – il compte néanmoins défendre le bicaméralisme coûte que coûte. « Je crois au rôle de la démocratie représentative. Je ne suis pas contre le pouvoir, je ne suis pas un antipouvoir, j’ai toujours dit que le Sénat est un contre-pouvoir », conclut le numéro deux de l’État dans l’ordre protocolaire, qui ne dépend du numéro un ni politiquement ni institutionnellement. Ça pourrait être dans les faits le contraire, alors que l’exécutif a besoin, s’il passe par la voie du Congrès, de la majorité des trois cinquièmes au Sénat pour faire adopter la révision constitutionnelle promise par Emmanuel Macron. Mais Gérard Larcher n’entend pas brader son soutien… ni désarmer.
Au Tchad, la semaine dernière, le président du Sénat a reçu, de la part des anciens combattants, un bouclier – « c’est toujours utile pour un homme politique » -, et un sabre, des mains des soldats de l’opération « Barkhane ». Il les a rapportés à Paris…
Gérard Larcher, qui connaît la Constitution par coeur, n’oublie pas qu’au titre de l’article 24, le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales de la République. De quoi le hisser comme premier interlocuteur du président et en faire un acteur central du jeu politique. L’homme a d’ailleurs ses réseaux et ses soutiens. Comme les syndicats, qu’il rencontre régulièrement. L’ex-ministre des Affaires sociales, qui vient de voir la CFDT, FO et la CFTC, a rendez-vous le 8 mars avec la CGT et l’Unsa. Si le climat social est au menu des discussions, le président du Sénat compte désormais parler aussi de la réforme annoncée de la SNCF. « Si je n’ai à donner de conseils à personne, je crois que le président ne doit pas annoncer une multiplication de réformes. Mettons-les en oeuvre progressivement », lâche Gérard Larcher.
Autant d’éléments qui pour les soutiens d’Emmanuel Macron montrent une volonté de blocage de toute réforme par le président du Sénat. À commencer par la révision constitutionnelle souhaitée par le chef de l’État. « Gérard Larcher a une approche plus dure, ça complexifie la donne », soutient un très proche d’Emmanuel Macron, « mais on en conclura qu’il ne peut pas y avoir un accord car le Sénat est une maison archaïque. Gérard Larcher tient moins la boutique qu’avant, comme il le pensait ».
En cas de blocage de la Haute Assemblée, Emmanuel Macron n’exclut pas de recourir au référendum, selon l’article 11 de la Constitution. « Sur la réforme constitutionnelle, le Sénat et moi n’avons aucune volonté de bloquer la réforme par conservatisme, je le redis une bonne fois pour toutes », répond Gérard Larcher au Figaro. « Mais on n’a pas mandat non plus de nourrir l’antiparlementarisme et les populismes par effet de mode ou démagogie… », lance-t-il cinglant à l’attention des entourages. « Si à chaque fois qu’il y a un désaccord avec le gouvernement, la seule réponse est le conservatisme de l’ancien monde, on ne va jamais y arriver ! », énonce-til encore après un article paru dans le JDD.
Alors que des macronistes pestent contre Gérard Larcher, l’accusant de s’arc-bouter pour une réforme qui concernerait « 12 sénateurs », lui durcit le ton : « C’est une question de principe. Ce que je ne supporte pas, c’est qu’au nom du renouvellement, on touche à quelque chose de fondamental dans le fonctionnement démocratique. Le Parlement doit se réformer, mais on n’offre pas le Parlement en cadeau à l’opinion », assène-t-il pour prévenir le gouvernement que jouer l’opinion publique contre les élus ne passerait pas. « Ce n’est pas l’intérêt d’Emmanuel Macron de se fâcher avec l’ensemble des territoires. Il vaut mieux réfléchir avant », glisse-t-il.
Gérard Larcher n’entend donc pas applaudir des deux mains la suppression possible du cumul des mandats dans le temps. Et renvoie à l’article 6 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, qui stipule que « les citoyens sont libres de choisir leurs représentants ». « Je souhaite qu’on débatte de cet article. Est-ce qu’après trois mandats parlementaires on est un incapable, au sens juridique, d’être élu ? », fait mine de s’interroger Gérard Lar- cher, qui voit là une atteinte à la liberté des citoyens de choisir et à la liberté d’être candidat.
Autre « point d’accroche » : la représentativité des territoires ruraux. « Si l’exécutif ne veut pas de département ou de collectivité territoriale spécifique comme circonscription d’élection, là, c’est sûr qu’on dira non ! », prévient Gérard Larcher. « Nous serons très attentifs à ce que les territoires les plus pauvres démographiquement ne soient pas pénalisés. » S’il ne se dit pas « hostile à la baisse du nombre de parlementaires », il se méfie d’une réforme qui éloignerait les élus de leurs électeurs. « Il faut faire attention, car les gens ont besoin de proximité. »
Dans « l’intérêt du pays »
Autre ligne rouge, le droit d’amendement du Parlement. « C’est un droit sacré. Tout affaiblissement du droit d’amendement sera regardé avec méfiance », prévient-il, en soulignant que la procédure de législation en commission, souhaitée par l’exécutif, existe déjà au Sénat… depuis décembre dernier.
En attendant la copie de l’exécutif, Gérard Larcher « continue à travailler avec François de Rugy. Je ne suis donc pas tout seul… », fait-il valoir. Mi-février, il avait écrit à Emmanuel Macron pour lui demander un rendez-vous tripartite, avec le président de l’Assemblée nationale. Histoire de montrer qu’il s’agit d’un débat entre le pouvoir exécutif et législatif. Les présidents des deux Chambres ont d’ailleurs prévu ce mardi 6 mars de faire le bilan de la précédente révision constitutionnelle d’il y a dix ans, en invitant l’ensemble des acteurs concernés, à commencer par Nicolas Sarkozy, mais aussi Jack Lang ou Bernard Accoyer.
Gérard Larcher, tout en rondeurs, sait donc habilement manoeuvrer, au détriment de ceux qui le sous-estiment. Des macronistes le jugent un peu démonétisé ? Lui y voit « des bruits de canalisation » dont il s’amuse, soulignant que « seul compte sa relation avec le président ». « Les entourages sont un peu énervés. Certains auraient aimé qu’on soit battu aux sénatoriales, puis qu’on se divise. Mais la majorité sénatoriale, c’est une réalité.»
Et alors qu’il prend connaissance depuis l’Afrique de la possibilité d’un article spécifique dans la Constitution consacré à la Corse, Gérard Larcher la balaie d’emblée. Seul l’article 72 peut être le cadre adéquat sur cette question, juge-t-il. « Le Sénat est extrêmement attaché à la non-fragmentation de la République. La Constitution n’est pas une auberge espagnole », s’offusque-t-il, en déplorant un projet de révision constitutionnelle de plus en plus fourre-tout. « On n’est pas là pour faire du bricolo dans les coins », argue-t-il, en appelant à respecter « l’esprit de la Ve République ».
Gérard Larcher, lui, veut s’en tenir « à l’épure » de la révision constitutionnelle présentée par Emmanuel Macron devant le Congrès l’été dernier : « Comment faiton mieux la loi, comment on contrôle mieux l’action du gouvernement, comment on modernise les institutions. »
Dans ce cadre-là, le président du Sénat annonce qu’il sera au rendez-vous. « On aidera quand ça nous apparaîtra l’intérêt du pays. Mais quand ça nous semblera contraire, ou comme des mesures en cadeau à l’opinion, on s’opposera. Ça peut se finir bien, mais il faut respecter le Sénat », avance-t-il. « Si on n’y arrive pas, il n’y aura pas de révision constitutionnelle. Ce sera un rendez-vous manqué. Ce serait dommage.» Une façon de renvoyer la responsabilité d’un éventuel échec à Emmanuel Macron.
Il faut respecter le Sénat. Si on n’y arrive pas, il n’y aura pas de révision constitutionnelle. Ce sera un rendez-vous manqué. Ce serait dommage»
Source: lefigaro.fr