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Dans le Nord-Ouest, les Kurdes sont encerclés par les Turcs. Près de Damas, les rebelles sont aux abois.

GEORGES MALBRUNOT

LOUAI BESHARA/AFP
Environ 7 000 civils ont fui la Goutha orientale à travers le couloir d’évacuation ouvert, jeudi, par le régime syrien.

SYRIE Est-ce une coïncidence ? Après plusieurs semaines de bombardements meurtriers, les offensives menées séparément par le régime syrien contre les rebelles de la Ghouta orientale et par la Turquie contre ses ennemis kurdes d’Afrine sont sur le point d’aboutir. Non loin de la capitale, les troupes loyales à Bachar elAssad, appuyées par leur allié russe, contrôlent désormais 70 % de l’ultime enclave rebelle aux portes de Damas. Au nord-ouest de la Syrie, les forces turques et leurs alliés parmi les insurgés syriens encerclent, quant à eux, la ville d’Afrine, tenue par les combattants kurdes.

Jeudi, les forces pro-Assad ont repris la ville clé de Hamouriya dans le sud de la Ghouta orientale. La grande majorité des insurgés du groupe islamiste Faylaq al-Rahman se sont retirés, tandis que 7 000 civils ont fui, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH). À pied, à moto ou en voiture, ces derniers ont gagné, à travers un couloir ouvert par le régime, des zones tenues par le gouvernement syrien. Il s’agit du plus grand nombre de civils à quitter le bastion rebelle, depuis le début, le 18 février, d’une vaste offensive lancée par le régime ayant tué près de 1 250 civils, dont plus de 250 enfants, et fait plus de 4 800 blessés, selon l’OSDH.

À Hamouriya, l’avancée des loyalistes a été précédée par des bombardements d’une rare intensité dans la nuit de mercredi à jeudi, qui ont tué 48 personnes, selon l’OSDH. Dans le nord de l’enclave, l’autre groupe rebelle puissant, l’Armée de l’Islam qui contrôle Duma, la plus grande ville de l’enclave, a négocié avec la Russie, par l’intermédiaire des Nations unies, l’évacuation de civils, blessés et malades. Jeudi, un convoi humanitaire des Nations unies de 27 camions d’aide en nourriture a pu pénétrer à Duma pour soulager les souffrances de 25 000 personnes. Au prix de bombardements intensifs, le pouvoir syrien – auquel Moscou a renouvelé son appui jeudi – est parvenu à couper en trois l’enclave, isolant les groupes rebelles les uns les autres.

Les Kurdes abandonnés

Près d’Afrine, l’étau ne cesse également de se resserrer. Là aussi, les forces proturques ont déjà capturé plus de 70 % de l’enclave tenue par les combattants kurdes, depuis le départ en 2012 des forces syriennes dans la foulée de la révolte contre Assad. Rezan Hedo, conseiller média des miliciens kurdes, dit craindre un « massacre » si les forces turques lancent l’assaut sur Afrine. En 24 heures, 30 000 civils ont, là aussi, pris le chemin de l’exode vers des villages au sud, tenus par Damas. Mais depuis trois jours, l’unique voie de sortie d’Afrine est visée par des bombardements. Et mercredi, 10 combattants parmi les forces pro-régime venues soutenir les miliciens kurdes ont péri dans des frappes turques. Selon certaines informations, certains de ces renforts pro-Assad ont, eux aussi, commencé de quitter Afrine, abandonnant les Kurdes à leur sort.

« Afrine et la Ghouta sont deux opérations menées en parallèle, analyse un diplomate des Nations unies, en charge du dossier syrien. Ce n’est pas un hasard si, ces derniers jours, les choses se sont précipitées. À Afrine, le fruit est mûr et devrait tomber, et dans la Ghouta, des négociations ont eu lieu, sans l’ONU, entre rebelles, Russes et le régime ». « Il y a un deal, selon ce diplomate, entre Russes et Turcs, ces derniers reprendront Afrine aux Kurdes grâce à une bénédiction de Moscou, et le régime syrien accélère sa reconquête de la Ghouta avec là encore l’appui russe ».

À Afrine, la question est de savoir si les combattants kurdes résisteront aux forces turques ? « Oui », soutiennent leurs porte-parole. « Les Kurdes n’ont pas d’autre choix que de quitter leurs positions », répond, de son côté, le diplomate onusien. Selon lui, « leurs alliés américains, qui ne sont pas venus les secourir à Afrine, leur conseilleront de se replier pour ne pas risquer un bain de sang dont les civils seraient les premières victimes ».

Bref, les combattants kurdes risquent d’être les grands perdants de la nouvelle donne enclenchée dans le nord de la Syrie. D’autant que des informations font état de négociations entre Turcs et Américains pour calmer le jeu dans la ville voisine de Manbij, à 100 km à l’est d’Afrine, qu’Ankara jure de prendre également aux Kurdes, mais où sont stationnés quelque 200 militaires américains. Pour éviter un clash entre alliés, « une formule » aurait été trouvée au terme de laquelle les combattants kurdes – qui administraient Manbij, ville à majorité arabe, après en avoir chassé Daech en 2016 – seraient remplacés par des insurgés syriens proturcs en lien avec les soldats américains.

« Si les Kurdes perdent le contrôle des régions d’Afrine et de Manbij à l’ouest de l’Euphrate, cela va gravement nuire à leur projet d’autonomie à l’est de l’Euphrate où ils sont minoritaires face aux Arabes », prévient, jeudi, le chercheur Hassan Hassan dans le journal émirien The National. Selon lui, les Kurdes ont commis une erreur en refusant le plan russe, présenté juste avant l’offensive turque, qui visait à remettre Afrine au régime syrien. « Les Kurdes auraient au moins préservé une certaine présence qu’ils risquent de perdre complètement lorsque Afrine tombera », estime Hassan Hassan. D’où la colère, teintée de rancoeur à l’égard de l’Occident, exprimée par un militant kurde, joint par Twitter, près d’Afrine : « Pourquoi un tel silence en Occident, s’insurge Abdulrahman. C’est votre façon de nous remercier d’avoir sacrifié nos hommes pour lutter contre Daech, après avoir arrêté des djihadistes qui venaient de vos pays ? »

source: lefigaro.fr