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Il est l’un des pénalistes les plus réputés de France, il est de tous les grands procès. Il a le verbe haut et il est fort en gueule. Il ne rechigne jamais à se montrer sur un plateau de télévision, on l’a vu jouer au cinéma pour Claude Lelouch… L’avocat Eric Dupond-Moretti, surnommé « Acquittator », c’est cela et mille autres choses. Il nous a reçu dans son cabinet parisien pour lever un coin de sa toge.

Eric Dupond-Moretti est un animal difficilement classable. Il a autant d’adorateurs que de détracteurs. Il est partout. Quand il ne plaide pas, il ne rechigne jamais à pointer le bout du nez sur un plateau de télévision. Demandez à Christine Angot ce qu’elle en pense… Il a fait une apparition au cinéma chez son « pote » Claude Lelouch et il écrit des livres. Le dernier en date, « Le dictionnaire de ma vie », vient tout juste de sortir aux éditions Kero. Une sorte de Dupond-Moretti de A à Z, sobrement – et tendrement – dédicacé « A ma mère ». A comme Acquittement, un terme qui renvoie à son surnom « Acquittator », un sobriquet qu’il n’aime pas trop, mais qu’il assume. « Je préfère m’appeler Acquittator que Perdator ». Le ton est donné. Entre deux rendez-vous, Eric Dupond-Moretti a accepté de répondre à nos questions. Amateurs de langue de bois, passez votre chemin.

Révélation

L’homme de loi a eu la révélation en pleine adolescence. Il sera avocat, rien d’autre. Il avait quinze ans lorsque Christian Ranucci, accusé du meurtre d’une fillette, a été condamné à mort. « Cette nouvelle m’a choqué, cela a nourri mon romantisme morbide d’adolescent« , explique-t-il aujourd’hui. Avant de s’emporter. « Comme Claudel a rencontré Dieu en entrant dans une église, moi, j’ai voulu devenir avocat en entendant cela à la radio« . Sorti parmi les derniers de sa promotion à Lille, Eric Dupond-Moretti est aujourd’hui l’un des meilleurs de sa profession. « C’est marrant cette histoire-là. Quand les choses sont sorties de leur contexte, elles n’ont plus forcément le même sens« , entame-t-il. Oui, il est bien sorti dernier de sa promotion, mais la raison en est toute simple. « On a sanctionné mes absences parce que je préférais aller m’asseoir sur les bancs de la Cour d’assises pour aller écouter les grands maîtres de cette époque plutôt que d’assister aux cours relatifs aux baux à loyer« , précise-t-il. La passion des cours d’assises, déjà.

Je serais sans doute encore un peu plus fou que ce que je suis si je n’étais pas    avocat.

Il n’a sans doute pas réussi l’examen des baux à loyer, mais il est devenu un plaideur redoutable. Et redouté. Un métier qui lui a tout apporté, mais qui le tue à petit feu, avoue-t-il. « Vous n’êtes jamais chez vous, l’hôtel est votre domicile, vous voyagez de juridiction en juridiction, ce n’est pas toujours facile« , raconte-t-il. Mais il aime ça. « Les métiers d’expression publique permettent d’exprimer ce que l’on est. Quand vous expliquez une personnalité, vous le faites sous le prisme de ce que vous êtes. En réalité, vous parlez de vous et il y a là une forme de psychothérapie qui permet plus ou moins de régler ses névroses. Je serais sans doute encore un peu plus fou que ce que je suis si je n’étais pas avocat. Cela me soigne un peu« .

Dans son cabinet, situé rue de la Boétie, à Paris, notre interlocuteur grille cigarette sur cigarette. Avant de nous recevoir, il était à la radio; après nous, les rendez-vous s’accumulent. Notre temps est compté, on va à l’essentiel. Qu’est-ce qui pourrait le décider à nous défendre? Ou le pousser à refuser? « D’abord il faut que j’aie le temps« . On vous le disait. « Mais il faut aussi que votre histoire m’intéresse parce que j’ai le luxe de pouvoir choisir mes clients. Si vous êtes riche, ce n’est pas plus mal« . Cash et honnête.

La suite est à l’avenant, accrochez-vous. « Si vous êtes pauvre et que votre affaire me touche, il n’est pas exclu que je la prenne. Je vais vous parler très librement. Je me suis tellement emmerdé pour la liberté des gens depuis 34 ans que je n’ai pas envie qu’on définisse le périmètre de la mienne« . Et s’il accepte de vous défendre, n’imaginez pas un instant faire le boulot à sa place. « Je n’accepterais pas que vous m’imposiez totalement un système de défense. Je ne suis pas une potiche à votre service, je ne suis pas un laquais« . Vous voilà prévenus.

Eric Dupond-Moretti ne supporte pas l’injustice et ne rechigne jamais à monter au combat. Mais pas à tout prix, on l’aura compris. « Je pourrais éventuellement défendre un négationniste, mais je ne pourrais pas défendre l’idée selon laquelle il n’y a jamais eu de chambre à gaz. Il faudrait me torturer pour que je le fasse« . Entendu. Mais alors pourquoi déclarer qu’il aurait défendu Hitler si celui-ci le lui avait demandé? « C’est un peu de la provocation, mais je pense que la différence entre la barbarie et la civilisation, c’est la règle de droit« . Et l’avocat d’enchaîner sur le procès de Nuremberg après la Seconde Guerre mondiale. « Les Alliés ont organisé un des plus grands procès de l’Histoire. Il était impératif, sur le plan symbolique, de donner à la Justice ses lettres de noblesse et de rappeler que la Justice, ce n’est pas la vengeance« .

De Nuremberg à Merah

QUATRE GRANDS PROCÈS

JÉRÔME CAHUZAC

Au début de cette année,  Eric Dupond-Moretti, en appel,  a plaidé au nom de Jérôme  Cahuzac, l’ex-ministre français du Budget, déchu pour avoir  caché l’existence d’un compte en banque à Singapour. Cahuzac veut à tout prix éviter la prison.

GEORGES TRON

Défendant l’ex-Secrétaire d’État à la Fonction publique, Georges Tron, poursuivi pour viols et agressions sexuelles, Eric Dupond-Moretti arrive à faire reporter le procès à une date ultérieure sur un incident d’audience.

ABELKADER MERAH

Le procès le plus compliqué de sa carrière. Convaincu qu’il n’existe pas de preuves de sa culpabilité, Eric Dupond-Moretti fait acquitter Abdelkader Merah, le frère de Mohammed, du chef de complicité d’assassinat.

JEAN CASTELA

Le résultat dont il est le plus fier. Avoir obtenu, en 2006, l’acquittement de Jean Castela, suspecté d’être le commanditaire de l’assassinat du préfet Claude Erignac.

Le droit et les principes, donc, le respect des règles. Voilà comment de Nuremberg, le pénaliste glisse vers le récent procès d’Abdelkader Merah, le frère de Mohammed Merah, mort lors d’un assaut policier, après avoir tué sept personnes. Eric Dupond-Moretti le concède volontiers, ce procès fut sans conteste le plus difficile de sa carrière. « Cette affaire, c’est l’incarnation du mal absolu, mais c’était passionnant pour moi. J’ai su très vite qu’il n’y avait pas d’éléments de preuve de la culpabilité d’Abdelkader. Ce qui m’intéressait, c’était de savoir comment on allait juger une affaire terroriste et est-ce qu’on allait respecter les principes ou s’en affranchir? Le but des terroristes, c’est de nous faire renoncer à notre mode de vie, à la façon dont on vit ensemble, à la coexistence des communautés religieuses, aux rapports hommes-femmes,… Ces gens-là ne veulent plus que l’on vive comme ça et ils veulent nous imposer leur vision de la vie par la force. Si on transige avec les principes qui sont les nôtres, je dis que les terroristes ont gagné. Voilà ce qui me passionnait dans l’affaire Merah ». Finalement, l’avocat obtiendra l’acquittement d’Abdelkader Merah du chef de complicité d’assassinat. L’avocat a fait le job, comme on dit, et il est reparti sous les huées de la foule. Comme le routard du droit qu’il est, l’esprit déjà tourné vers la prochaine affaire.

Si j’ai la certitude absolue qu’un type est innocent, cela me met un stress encore plus important.

Et puis vient la question qui nous brûle depuis longtemps. Depuis toujours, en fait. Est-il important de savoir si un client est coupable ou innocent? La réponse fuse. « Je m’en fiche, je ne veux pas le savoir. Si j’ai la certitude absolue qu’un type est innocent, cela me met un stress encore plus important. Là, c’est une vraie responsabilité, vous comprenez? Moi, mon métier, c’est de savoir si, à un moment donné d’une procédure, il y a des preuves ou non. Et la morale, me direz-vous? Moi, j’ai la mienne, elle me concerne moi et les gens que j’aime et elle n’a pas vocation d’aller au-delà de ça. Je ne suis pas un directeur de conscience, chacun se débrouille avec ça. Et si un type qui est coupable est acquitté, il se débrouille avec sa morale. C’est lui qui se regarde dans un miroir« . On l’aura compris: coupable ou innocent, peu importe.

Mais ce n’est pas tout. « Cette règle est entendue comme le fait que des coupables sont acquittés. Oui. Et heureusement qu’il y a des coupables qui sont acquittés. Cela signifie que la Justice respecte la règle selon laquelle tant qu’il n’y a pas de preuves, on ne condamne pas« . Et l’avocat de poursuivre son raisonnement. Tant que cette règle est respectée, cela veut dire que les innocents peuvent être sereins, cela signifie, explique-t-il, qu’on ne condamnera pas des innocents. Face au désastre du procès d’Outreau, cette assertion ne tient pas la route, mais considérons Outreau comme un cas d’école exceptionnel.

Certains préfèrent l’ordre; moi, je préfère la Justice.

Pour bien faire passer le message, l’avocat fait appel à Voltaire. « Il vaut mieux acquitter 100 coupables que de condamner un innocent. C’est compliqué d’entendre cela, mais c’est essentiel. Pour être efficace, on peut condamner tous les types arrêtés, on va alors avoir un taux d’élucidation et d’efficacité inégalé et inégalable. Est-ce que le jeu en vaut la chandelle? C’est toute la question entre l’ordre et la Justice. Certains préfèrent l’ordre; moi, je préfère la Justice« .

On vous l’a dit, cet avocat est inclassable, limite déroutant. Il réfute toute idée de caste, de groupe; le Dupond-Moretti est solitaire. Et rusé. « Je me suis toujours affranchi de tout ce qui pouvait être réducteur de ma liberté. Je ne suis inscrit à aucun parti politique, je ne suis pas franc-maçon, je n’appartiens à aucun club, la seule association à laquelle j’appartiens, c’est l’association des fauconniers français, ce qui ne limite en rien ma liberté. Je ne veux pas être militant de je ne sais quelle cause. Je veux rester totalement iconoclaste« . Une liberté revendiquée et un ton assumé. « Je n’ai pas vocation à aimer la terre entière, je ne vais pas sur Facebook, je n’ai pas 1.737 amis, j’en ai cinq, depuis 35 ans, je les aime passionnément et cela me suffit. Quand il y a ma tronche à la télé, celui qui n’aime pas, il n’a qu’à aller sur une autre chaîne« . Paf, Dupond-Moretti vient de (ré) inventer la zappette!

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Présomption de culpabilité

Eric Dupond-Moretti plaide, il se bat. Pour la Justice, bien entendu, et pour le respect de la présomption d’innocence. Toujours. Selon lui, en France, la présomption d’innocence n’existe pas. « Et je pense qu’elle n’existe plus en Belgique non plus. Là-dessus, nous sommes cousins et nous avons les mêmes défauts, le même ADN. La présomption d’innocence est contre nature. Quand votre voisin est emmené par la police, vous demandez ce qu’il a fait, vous ne vous demandez pas ce qu’il n’a pas fait… Et comme vous voulez avoir confiance dans l’institution, la règle, c’est qu’il n’y a pas de fumée sans feu. Moi-même, quand je croise un confrère qui plaide, je lui demande ce qu’a fait son client alors que je devrais lui demander ce qu’on lui reproche. C’est rassurant de violer la présomption d’innocence, on se dit que la Justice a fait son boulot« .

Ses adversaires auraient peut-être du mal à le croire, mais Eric Dupond-Moretti, avant d’entrer en scène, a peur. Au point d’avouer que pendant dix ans, il a vomi avant d’aller plaider aux assises. « Les assises, c’est un lieu d’une violence inouïe, c’est une violence endimanchée, elle porte beau, elle porte nos costumes judiciaires qui sont beaux, qui sont seyants. Cela ne sent pas la pisse et l’hémoglobine, c’est très policé« . La peur au ventre avant d’aller plaider, la peur ensuite d’avoir mal fait. « La nuit épaissit l’angoisse qui précède l’énoncé du verdict », écrit-il dans son ouvrage « Directs du droit ». Le trac, la peur d’avoir mal défendu celui qui va être jugé. Ou quand les destins de femmes et d’hommes de tous horizons sont liés au talent du plaideur, à sa force de conviction.

Et puis, au-delà de ça, il y a une autre crainte, plus sourde, la peur de perdre. Et, parfois, un sentiment d’inutilité qui le taraude. « Parfois, je passe une semaine aux assises, on requiert 15 ans, je pense que cela en vaut 10 et le type prend 15 ans. S’il avait été défendu par un singe bègue en robe, cela n’aurait rien changé. Cela aurait peut-être même été mieux« . Dur avec les autres, pas tendre avec lui. « C’est douloureux quand vous savez que vous avez mal plaidé et que vous ne pouvez pas recommencer« , explique-t-il, revenant sur son expérience cinématographique chez Lelouch. Quand la prise est mauvaise, on la recommence. Cela ne vaut pas pour les plaidoiries. Le premier jet est définitif.

On pourrait deviser sans fin avec Eric Dupond-Moretti, l’écouter raconter ses affaires, ouvrir la malle aux souvenirs. On lui parlerait bien de Jérôme Cahuzac, l’ex-ministre français du Budget, tombé pour avoir menti sur l’existence d’un compte caché à Singapour. « Avec lui, il y a une espèce de défi. Cet homme a été lourdement condamné, il a été vilipendé, on lui a donné des coups de pied alors qu’il était à terre. Jérôme Cahuzac n’est pas que ministre et encore moins que ministre fraudeur, il est autre chose que cela. C’est une affaire passionnante. La chute, c’est quelque chose de fascinant« , explique-t-il. Sachant que derrière Cahuzac, un inconnu qui a tué sa femme viendra frapper à la porte de l’avocat. « Ce qui est passionnant, c’est la tragédie humaine et mon métier est un formidable réceptacle de toutes ces histoires-là. Ce que j’entends dans mon bureau va au-delà de l’imaginaire le plus fertile du plus brillant des écrivains« . On le croit sur parole.

Une dernière pour la route? En 2013, Eric Dupond-Moretti a obtenu l’acquittement de Loïc Sécher, suspecté d’avoir violé sa voisine de 14 ans. La gamine avait tout inventé. Pour lui rendre hommage, Loïc Sécher, ouvrier agricole de son état, avait baptisé deux de ses cochons. L’un s’appelait « Dupond », l’autre « Moretti ». « Je trouvais cela sympa, mais j’ai appris qu’après, il les avait mangés. Ça, ça m’a moins fait rire« . On doit filer. Dans la salle d’attente, des destins attendent d’être pris en main.

Une amitié de vin et de cigare

Voici une histoire de cigare, de vin et de passion pour les belles plaidoiries. Voici le récit de l’amitié qui lie le pénaliste Olivier Martins à Eric Dupond-Moretti. C’est Martins qui raconte, avec son accent catalan, chantant. Jeune étudiant en droit, Olivier Martins courait le sud de la France en 2CV pour aller écouter les plus belles plaidoiries d’assises. C’est comme ça qu’il a rencontré l’avocat Alain Furbury, le maître à penser d’Eric Dupond-Moretti, une sorte de père spirituel. Plus tard, dans un autre prétoire, Olivier Martins a revu Alain Furbury, accompagné cette fois d’Eric Dupond-Moretti. « J’ai directement accroché avec Eric. Je le trouvais drôle, bon vivant, passionné. L’injustice le taraudait. »

« Eric m’a regardé, il m’a dit: petit, il n’y a pas de hasard, que des rencontres. »

Les deux hommes, ensuite, se perdent de vue. Avant de se retrouver des années plus tard, à Bruxelles, par hasard. En 1995, Olivier Martins, jeune avocat, est venu s’établir à Bruxelles. La suite, c’est Eric Dupond-Moretti qui la raconte. « Un soir, dans une rue, à Bruxelles, j’étais en train de fumer un cigare en pensant à Alain Furbury, qui était également amateur de cigares. Je fume mon cigare, je fais quelques pas et là arrive Olivier Martins. Et de qui me parle-t-il? D’Alain Furbury. Je me dis, c’est un signe. Nous sommes devenus amis. » Olivier Martins s’en souvient comme si c’était hier. « Eric m’a regardé et m’a dit: petit, il n’y a pas de hasard, que des rencontres. »

Quelques années plus tard, Olivier Martins était en train de se promener dans une vigne à Collioure, un terrain qu’il voulait acheter. « À ce moment, mon téléphone sonne. à l’autre bout de la ligne, c’est Eric. Il me demande ce que je fais. Je lui réponds que je suis en train d’acheter une vigne. Il a voulu acheter avec moi. Je lui ai dit de prendre le temps de réfléchir, mais il ne voulait pas attendre. Je lui ai envoyé quelques photos et nous avons acheté la vigne à deux.« 

Au moment de choisir le nom de leur vin, les deux avocats n’ont pas tergiversé longtemps: ce serait Furbury, du nom de l’avocat qui, comme un fil invisible, lie les deux hommes. « J’ai appelé la famille d’Alain Furbury, raconte Eric Dupond-Moretti. Ils étaient contents, ils m’ont dit que c’était un bel hommage. On a appelé le vin Furbury et c’est le meilleur vin du monde. » On attendra de goûter avant de se prononcer. Via cette vigne, l’objectif des deux amis est de se faire plaisir (à chaque production, ils se font rémunérer en bouteilles) et ils permettent à un couple de vignerons d’exercer son art. Ils utilisent également leur réseau respectif pour placer leur breuvage sur les meilleures tables. Olivier Martins l’a placé, entre autres, à l’Atelier, de Joël Robuchon, tandis qu’Eric Dupond-Moretti en a proposé à La Petite Maison, à Nice.

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