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 Natacha Polony

CHRONIQUE – Pour beaucoup de politiques et de commentateurs, la laïcité est une vieillerie franchouillarde qui ne sera jamais assez «ouverte», assez «tolérante», assez «moderne».

Pendant des décennies, on nous a expliqué que l’immigration ne posait aucun problème. La phrase surgissait comme un réflexe : « C’est une chance pour la France. » Sont passés par là l’islamisme et les attentats de 2015 et 2016, la crise des migrants traversant les Balkans en longues colonnes, la montée du Front national en France et des partis d’extrême droite en

Allemagne, Aujourd’hui, Bourlanges, en on Autriche peut député entendre ou macroniste en Italie. Jean Louis adorateur du libre-échange de l’Union et du européenne, merveilleux progrès expliquer social dans qui la matinale en a découlé, de Radio Classique, résoudre le le problème lundi 12 de mars l’immigration, : « Pour il faut (…) avoir une attitude résolument positive. (…) On doit avoir quatre ou cinq millions de musulmans en France, c’est pas en les insultant tous les jours qu’on va résoudre le problème. (…) Ces gens doivent être intégrés à la communauté nationale, scolairement… (…) On a un État jacobin qui applique des recettes uniformes partout alors qu’on a besoin de faire du sur-mesure. On doit traiter un certain nombre de populations vis-à-vis du français comme apprenant une langue étrangère. Et Jean-Michel Blanquer est très sensible à cette nécessité, lui qui a été recteur en Guyane, il connaît bien les différenciations culturelles. »

La tirade laisse sans voix. Qu’il faille intégrer à la communauté nationale l’ensemble de ses enfants, quelle que soit leur religion, est une évidence. Qu’on ait atteint les limites d’un jacobinisme abstrait qui a creusé un fossé entre la réalité vécue par les citoyens et la gestion technocratique de l’État, c’est un fait. Mais le député LREM dit-il seulement cela ? Le glissement qui s’opère entre l’immigration et les « quatre ou cinq millions de musulmans » qu’il ne faudrait pas « insulter », pour terminer dans le bas-côté du « français comme langue étrangère » et des « différentiations culturelles » est assez fascinant. Mais on aurait tort de croire qu’il s’agit là des lubies d’un individu sans aucun caractère représentatif. Une telle vision constitue le fond commun d’une vulgate assez répandue chez ceux de nos politiques et de nos commentateurs pour qui la laïcité, cette vieillerie franchouillarde, ne sera jamais assez « ouverte », assez « tolérante », assez « moderne ».

Ainsi, on comprend, à entendre Jean-Louis Bourlanges, qu’il faudrait « intégrer scolairement » les quatre à cinq millions de musulmans, qui, donc, ne le seraient pas. Les intégrer en tant que musulmans, puisque c’est ce qui, visiblement, fait leur spécificité. On ne sait pas en revanche si c’est le fait d’être musulman qui les conduit à vivre le français comme une langue étrangère. Mais il semble bien que, toujours selon le député macroniste, ce soit le fait d’être musulman qui oblige la République à prendre en compte leur « différence culturelle ». Jean-Louis Bourlanges voudrait nous suggérer qu’être musulman n’est pas compatible avec la culture française telle qu’elle est encore (si peu) enseignée à l’école qu’il ne s’y prendrait pas autrement. On retrouve les réflexions de certains théoriciens de la « laïcité ouverte » et du multiculturalisme bon teint, nous expliquant que l’on réglera les problèmes d’intégration en enseignant davantage l’arabe dans les banlieues pour « valoriser la culture » de ces jeunes issus de l’immigration qui se sentent oubliés (pourquoi l’arabe, quand tant de ces jeunes sont originaires d’Afrique subsaharienne, si ce n’est parce qu’ils sont présumés musulmans et que c’est en tant que tels qu’il faudrait les traiter ?).

Le multiculturalisme, dans ce genre de raisonnement, se présente comme une évidence. Il y aurait des « cultures différentes » dont il faudrait tenir compte, et ces différences relèvent de la religion, conçue comme un ancrage identitaire. En langage clair, on appelle cela du communautarisme, et c’est le contraire absolu du projet d’émancipation d’une république fondée sur la possibilité pour tout individu de se construire en dehors de toute assignation identitaire. La conséquence ? L’impossibilité de toute intégration puisque celle-ci repose sur l’articulation entre espace privé et espace public, entre identité individuelle et familiale et adhésion à une culture et des valeurs communes. L’impossibilité, également, de toute transmission par l’école d’une histoire qui ne soit pas instrumentalisée au nom de la demande, par chaque communauté, d’un récit qui corresponde à sa vision du monde.

Devant ce discours benoîtement relativiste, on ne s’étonne plus de la lettre adressée au président Macron par le Collectif contre l’islamophobie en France lui expliquant qu’« il faut empêcher toute ingérence laïciste avec la même énergie que celle déployée contre le terrorisme, parce qu’ils sont les deux faces d’une même médaille ». On ignorait que les « radicalisés de la laïcité » que dénonce le CCIF eussent fait en France plus de morts que l’islamisme. Par cette rhétorique éminemment perverse, le CCIF insinue que la laïcité serait une croyance à mettre sur le même plan que les autres dans une société multiculturelle pour l’instant inégalitaire, mais que l’avenir nous promet plus ouverte aux « différences culturelles ». Heureusement, des députés de la République appuient sans même en avoir conscience cette revendication si désintéressée.

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