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Abdel Fattah Al Sissi, Egypte, Mascarade électorale, retour à l’époque Moubarak, Une pure mascarade

Le taux de participation semble être la seule incertitude du scrutin présidentiel égyptien de ce lundi. Le président sortant Abdel Fattah al-Sissi n’a pas de sérieux adversaires.
Il y a quelques jours, Sara, 28 ans, a reçu un étonnant message sur WhatsApp. Dans un groupe destiné à des membres de sa famille et quelques connaissances, un proche insistait sur la nécessité de se rendre aux urnes les 26, 27 et 28 mars prochains.
« Message général! Il y a des pervers qui essayent de manipuler cette élection en disant que ce n’est pas la peine de voter, car de toute façon, notre président va gagner l’élection. Mais quand le taux d’abstention sera élevé, ils s’en serviront pour délégitimer notre gouvernement et demander la formation d’un comité présidentiel. Ce sont les Frères musulmans et leurs partisans qui sont derrière tout ça. Que vous aimiez notre président ou pas, allez voter! »
Au volant de son taxi détraqué, Abdelhamid, la soixantaine, peste en dépassant les grandes banderoles déployées sur la place Tahrir à la gloire du président sortant: « Ils pensent se foutre de qui? On croyait au changement pendant la révolution, mais on est de retour à l’époque Moubarak, regarde ça, ces affiches partout! À l’époque c’était pareil! Qui pour opposer al-Sissi? Personne! », râle le vieil homme. « Je n’ai jamais voté, et je ne voterai pas encore cette fois, ça n’en vaut pas la peine! »
Pas de challenger
Candidat à sa réélection, quatre ans après une première victoire électorale acquise avec 96,9% des voix, Abdel Fattah al-Sissi n’a pas de sérieux candidats pour le challenger lors de ce scrutin aux allures de référendum déguisé. Dès la fin de l’année dernière, plusieurs opposants se sont déclarés candidats mais tous se sont écartés de la course présidentielle. De gré ou de force.
En novembre, le général et ancien Premier ministre Ahmed Chafiq avait annoncé sa candidature depuis les Emirats arabes unis. À son retour en Egypte quelques jours plus tard, il a été retenu dans un hôtel de luxe dans des circonstances troubles puis a renoncé subitement à briguer un mandat.
Après avoir, lui aussi, déclaré sa candidature dans une vidéo, le colonel Ahmed Konsowa a été condamné à six ans de prison pour « tenue de positions politiques et comportement nuisant aux exigences du système militaire ».
Le général Sami Anan, chef d’état-major de l’armée jusqu’en 2012, a lui été exclu de la course en début d’année, poursuivi par la justice militaire pour s’être engagé « sans l’autorisation des forces armées » et accusé d’inciter à la « division » entre l’institution militaire et le peuple.
L’ancien député Mohamed Anouar El-Sadate et l’avocat Khaled Ali ont, eux aussi, fait marche arrière, dénonçant des pressions et assurant craindre pour la sécurité de leurs équipes de campagne.
Abdel-Fattah al-Sissi, militaire de carrière devenu homme fort de l’Egypte à la faveur d’un coup d’État contre le président issu des Frères musulmans Mohamed Morsi en 2013, s’est taillé ces quatre dernières années un large boulevard pour assurer sa réélection. Traque des Frères musulmans placés sur la liste des organisations terroristes, arrestations des opposants de tous bords, muselage de la société civile, condamnations de journalistes et emprisonnement des défenseurs des droits de l’Homme ont laissé exsangue la possibilité de voir émerger une quelconque compétition.
« Ils ont inventé tout ça pour se faire de la pub, c’est juste qu’ils ont réalisé qu’ils n’avaient pas le nombre de signatures nécessaires pour se présenter, alors ils ont trouvé une excuse! », assure Moussa Mostafa Moussa, seul candidat opposant le président sortant.
Dans ses bureaux de campagne en centre-ville, la salle d’attente censée accueillir les citoyens curieux d’en savoir plus ou les soutiens déjà conquis est totalement vide.
« On croyait au changement pendant la révolution, mais on est de retour à l’époque Moubarak. »
De nombreux observateurs assurent qu’après la série noire des défections et arrestations, al-Sissi avait à tout prix besoin d’un adversaire pour sauver les apparences d’un scrutin libre et pluraliste. C’est Moussa Mostafa Moussa, dirigeant du parti centriste et libéral al-Ghad, qui aurait été dépêché par les autorités pour assurer le rôle de candidat fantoche. Une vocation présidentielle si épiphanique que l’homme n’a pas eu le temps de changer la bannière de sa page Facebook, encore illustrée par une photographie et les slogans de campagne du président al-Sissi au lendemain de l’annonce de sa candidature.
« On se préparait depuis 18 mois, nous avons tellement travaillé que nous avons fini à la dernière minute », se défend-il. « Il y avait un vide total, un danger que j’ai perçu. Ce n’est pas une mascarade, vous savez, j’ai manifesté le 30 juin pour la destitution de Mohamed Morsi. C’est vrai, j’ai toujours soutenu le président, ça ne veut pas dire que je ne peux pas être en compétition avec lui aujourd’hui. Nous ne sommes pas ennemis, je l’ai soutenu au maximum jusqu’au bout, mais quand j’ai vu qu’il n’y avait personne face à lui, je me suis dit qu’il fallait que j’entre dans la course, le référendum, ce n’est pas bon pour notre image. C’est mon devoir patriotique de participer à cette élection, il faut jouer le jeu démocratique », assène-t-il. « On s’est beaucoup consulté avec le président les mois passés », lâche-t-il d’ailleurs, avant d’assurer ne l’avoir jamais rencontré.
« Une pure mascarade »
Sauver les apparences, histoire de dire. « L’élection est une pure mascarade, un spectacle. Il n’y a pas d’élection au sens propre du terme. Les deux mois précédant l’élection, les autorités ont eu deux objectifs: éliminer tous les candidats sérieux tout en essayant de faire comme si cette élection était un réel scrutin. Il semblerait que les autorités aient été mises sous pression par certaines diplomaties étrangères pour avoir a minima un candidat face au président sortant », assure un spécialiste de la politique égyptienne, qui, pour la première fois, a demandé l’anonymat de peur d’être inquiété. « On est très ennuyés et refroidis par cette parodie électorale », reconnaît un diplomate européen qui suit les dossiers relatifs au Proche-Orient. « Ça fait mauvais effet, surtout après la visite d’al-Sissi en France », admet-il.
Si la commission électorale égyptienne a assuré que le scrutin serait honnête et transparent, quatorze organisations de défense des droits humains ont déjà qualifié l’élection de « ni libre ni équitable ». « Je pense que c’est une élection juste mais pas libre », tempère le chercheur sous couvert d’anonymat. « Je ne pense pas que cette élection soit manipulée, elle n’en a pas besoin dans ces circonstances. Maintenant, est-ce que le taux de participation peut être truqué, ça oui! En 2014, il s’élevait officiellement à 47%, selon les autorités. Or, pour les observateurs et les ONG, c’était plutôt de l’ordre de 20%. Je pense que cette fois, ce sera encore mois que ça. Combien de personnes vont se rendre aux urnes? C’est le plus important pour ce qu’il reste de la façade. »
