Par Jean Baudouin, professeur émérite à l’université Rennes 1.

La défaveur qui entoure en France le mot même de « droite » est ancienne. Elle remonte aux années d’après- guerre, où la proximité supposée des droites avec le régime de Vichy constitue un premier élément de disqualification. Mais elle sera accentuée à partir de 1958, le gaullisme prétendant transcender le clivage droite- gauche et incarner le seul intérêt général.
L’élection de Laurent Wauquiez à la tête des Républicains, conjuguée à la démission spectaculaire ou au retrait de plusieurs dirigeants comme Xavier Bertrand, Dominique Bussereau ou encore Christian Estrosi, illustre la difficulté que rencontre toujours la droite française à assumer une identité claire. Pour des raisons qui, entre- temps, ont profondément changé.
Le facteur principal est bien sûr l’existence de l’extrême droite qui empoisonne la droite depuis plusieurs décennies. La droite que souhaite Laurent Wauquiez est prise dans un étau. Soit elle suit les recommandations « modérées » des amis d’Alain Juppé et elle devient alors « présentable ». Soit elle tente de dissocier la droite de l’ambiguïté centriste et de lui redonner une identité plus forte et elle est immédiatement accusée de « courir après le FN » !
Gagner la bataille de la légitimité
Elle n’aurait pas d’autre choix que le suivisme sage à l’égard des premiers ou le flirt honteux avec les seconds ! Une équation qui n’est pas sans rappeler celle des socialistes pressés par les uns d’accomplir enfin leur mue sociale- démocrate, accusés par les autres de trahir les fondamentaux du socialisme.
Le deuxième facteur tient au rôle important que jouent certainsmédias dans la formation des opinions. Sans pour autant dispenser une idéologie claire, ils se reconnaissent largement dans des thèmes dits « progressistes ». Ils soutiennent les avancées sociétales comme le mariage pour tous, l’extension de la procréation médicalement assistée. Alors que la droite dite « dure » défend plutôt les valeurs familiales traditionnelles. Ils propagent une image positive et compatissante des « migrants » alors que la droite, sans être pour autant xénophobe, réclame un durcissement des conditions d’accueil.
Ils défendent volontiers les causes environnementales et animales, alors que la droite peine toujours à se positionner clairement par rapport à ces défis. La surexposition médiatique de nombreux thèmes pénalise implicitement les problématiques de droite jugées alors « rétrogrades » voire « nauséabondes ».
Le troisième facteur aggravant est la nouvelle géopolitique issue du tsunami électoral de juin 2017. La gauche n’a pas tort de pointer la politique plutôt « libérale » et « droitière » du gouvernement. Au- delà des objectifs économiques, elle vise à accélérer la décomposition de la droite, en pillant assez méthodiquement le programme économique et régalien du candidat Fillon.
Alors que la gauche semble à nouveau manifester une propension à la dispersion, Emmanuel Macron a bien compris que les Républicains représentaient à terme le danger principal, conservaient notamment un véritable ancrage territorial et qu’il convenait de « siphonner » son électorat.
En répétant sur tous les tons que « la droite n’a pas à s’excuser d’être de droite », le nouveau président des Républicains admet implicitement que la bataille en légitimité est loin d’être gagnée. Et d’abord au sein de sa propre formation politique.
Il lui faudra beaucoup d’habileté et sans doute aussi une meilleure maîtrise de sa propre parole pour déjouer les multiples pièges qui lui sont déjà tendus et installer durablement dans le paysage politique ce que JeanFrançois Copé appelait naguère une « droite décomplexée ».