Stéphane Gatignon, maire emblématique de Sevran (Seine-Saint-Denis), jette l’éponge, « usé par le mépris envers les banlieues ».
PROPOS RECUEILLIS PAR CAROLE STERLÉ
Sevran (Seine-Saint-Denis), Stéphane Gatignon, a annoncé hier en conseil municipal sa démission. Lui qui avait entamé une grève de la faim devant l’Assemblée en 2012 pour obtenir des aides de l’Etat, réclamé des casques bleus pour rétablir le calme dans sa ville et milité pour la légalisation du cannabis, n’achèvera pas son troisième mandat. Usé, il dénonce un « mépris de l’Etat pour les banlieues ».
Pourquoi démissionnezvous ?
STÉPHANE GATIGNON. Je quitte mon poste après dix-sept ans d’une fonction que j’ai prise à bras-le-corps, qui m’a passionnée, où j’ai essayé de tout donner. Mais je ressens de la fatigue, de l’usure par rapport aux blocages qui viennent d’en haut. J’ai parfois l’impression de me battre contre des moulins à vent ! Et j’en ai marre de jouer la mouche du coche, que dans les ministères les gens regardent leurs chaussures en me voyant arriver. La banlieue est utile pour sortir des champions, pour gagner des médailles et faire la fête sur les Champs Elysées. Pour le reste, je constate un mépris pour la classe populaire qu’on fait passer pour la classe dangereuse.
On vous sent très amer…
Je ne veux pas être amer. Tout ce que j’ai fait, c’est parce que j’aime la banlieue, je viens de la ZUP d’Argenteuil (Val-d’Oise). Je n’ai pas fait tout bien, mais je l’ai fait du mieux possible. Comme maire, on est démuni par rapport au chômage, aux fins de mois difficiles. Or la seule alternative que l’Etat nous laisse, c’est de remettre du logement social de base, ça veut dire qu’on ne veut pas casser le ghetto. On a besoin de mixité, générationnelle, économique, pas de ghettoïsation sociale. Il faut remettre les moyens dans l’école, la police. On ne demande pas la lune : juste l’équité en banlieue.
Pourtant, Sevran a bénéficié de gros projets de rénovation urbaine, deux gares du futur Grand Paris Express, et même cet inattendu projet de vague de surf. Ce n’est pas rien…
Oui, plein de choses ont marché. On a réussi à refaire tous les équipements sportifs, les écoles, on a recréé des dynamiques associatives, culturelles, on a remis de la nature en ville… Mais quand j’ai été élu, il y avait 113 policiers. Dix-sept ans après, ils sont 80. La PSQ (police de sécurité du quotidien) apportera des effectifs de plus mais ça ne réglera pas tout.
L’appel de Grigny des maires de banlieue n’aura servi à rien ?
On est tous très inquiets, j’espère que le rapport Borloo sera fort, en rupture avec ce qui s’est fait précédemment pour la banlieue. Mais sans volonté de l’Etat, ça ne servira à rien. Aujourd’hui, on a surtout des non-arbitrages. C’est ici que vivent les populations les plus adaptées au « nouveau monde » : les habitants sont jeunes, cosmopolites, ancrés sur les nouvelles technologies, le système D, et libéraux. Macron a une chance pour porter cela, on verra s’il prend des mesures fortes ou si tout ça accouche d’une souris.
Un conseil présidentiel de personnalités de banlieue a pourtant été réuni par l’Elysée…
Mais sans aucun responsable de club de foot. Alors que c’est grâce à eux si ce n’est pas le bordel en banlieue. Quel gâchis.
Quel événement vous a convaincu d’arrêter ?
Ma décision s’est entérinée après la « mosquée Daech » (NDLR : fréquentée en 2014 par plusieurs jeunes de la ville partis ensuite en Syrie). C’est comme ça que tout le monde appelait cette salle de prière à Sevran, à cause des propos inquiétants qui y étaient tenus. Quand on a été alertés par les fidèles, on a prévenu l’Etat. Mais après il a été dit que l’Etat n’avait jamais discuté avec nous ! J’ai ressenti un abandon.
Vous arrêtez la politique ?
Comment le pourrais-je ? Je vais prendre du recul mais continuer à aider le nouveau maire pour que les projets en cours aillent au bout. Si l’Etat joue le jeu, dans dix ans, il y aura un milliard d’investissements à Sevran, donc il faut y aller.
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NE DEMANDE PAS LA LUNE : JUSTE L’ÉQUITÉ EN BANLIEU
source: le parisien.fr