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Par  Georges Malbrunot

Russes, Iraniens et Turcs, réunis mercredi à Ankara – cherchent à se partager les dernières zones d’influence d’un pays, fracturé par sept années de violence.

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C’EST LÀ que se nouent les ultimes enjeux du conflit. Là que les vainqueurs – Russes, Iraniens et Turcs, réunis mercredi à Ankara – cherchent à se partager les dernières zones d’influence d’un pays, fracturé par sept années de violence. Mais là également que les vaincus – Américains et Français notamment – voudraient encore peser. Maintenant que Daech a été amputé de la plupart de ses moyens d’action dans l’est de la Syrie, et que près de Damas les rebelles ont été contraints, sous un déluge de feu, de quitter leur bastion de la Ghouta, tous les regards se tournent vers le Nord syrien. De la région d’Idlib, dans le NordOuest, dernière province entre les mains des insurgés anti-Assad, en passant par l’enclave d’Afrine, conquise par Ankara, jusqu’aux autres zones situées plus à l’est, administrées par les Kurdes, le long de la frontière turque et dans le désert riverain de l’Euphrate.

« Dans le Nord, les anciennes zones d’influence ont subi des changements avec la récente intervention militaire turque à Afrine, constate un diplomate onusien, qui suit la guerre au jour le jour. Il faut procéder à des ajustements et se projeter dans l’avenir en se posant les questions de savoir ce que Turcs, Iraniens et Russes feront à Manbij… Comment vont-ils gérer la ville de Tall Rifaat et le régime d’Assad, qui, loin d’être rassasié après sa reconquête de la Ghouta, va chercher d’autres régions où étendre sa souveraineté. »

Pour Manbij, ville peuplée en majorité d’Arabes mais gérée par les Kurdes, Américains et Turcs ont repris leurs discussions dans l’espoir de finaliser un deal, au terme duquel troupes américaines et turques patrouilleraient ensemble dans la ville, les combattants kurdes en étant expulsés plus à l’est. Mais le Pentagone, et surtout le CentCom, s’oppose à un lâchage des miliciens kurdes, maillon essentiel dans la guerre contre Daech. En recevant une délégation kurde la semaine dernière, Emmanuel Macron a proposé que la France se glisse dans les discussions américanoturques, mais Ankara a rejeté l’offre.

La stratégie turque vise à forcer à tout prix les Américains à lâcher leurs alliés kurdes. Et en cas de refus à préparer une action militaire. «La base américaine près de Kobané a été attaquée au mortier il y a quelques jours», révèle le diplomate. La semaine dernière déjà, un soldat américain et un Britannique sont morts dans une attaque à l’engin explosif improvisé, alors qu’ils patrouillaient au sud de Manbij. Dans la

foulée de sa victoire à Afrine, Ankara avait fait de Tall Rifaat la prochaine cible de son offensive antikurde. Mais, comme à Afrine, il faut un feu vert de Moscou, qui a la maîtrise du ciel. Problème : la Turquie n’a pas encore trouvé d’accord avec la Russie sur Tall Rifaat. Au contraire, ce sont les loyalistes de Bachar el-Assad qui ont repris la ville, après un retrait rapide des miliciens kurdes. Le litige porte sur la base aérienne de Menagh, proche de Tall Rifaat, que ni les Russes ni Damas ne veulent céder à la Turquie et aux rebelles anti-Assad, proches d’Ankara.

Ankara furieux contre Paris

La coopération entre Ankara et Moscou, qui a fonctionné à Afrine, va-t-elle se poursuivre à l’est de l’Euphrate? Oui, mais à condition que la Turquie parvienne à un accord avec les États-Unis sur les miliciens kurdes. Sinon, des affrontements armés entre alliés au sein de l’Otan ne sont pas à exclure. D’autant plus qu’à l’est, à la frontière avec l’Irak, des milices chiites irakiennes seraient sur le point d’entrer en Syrie pour traquer des cellules djihadistes. En obligeant les Kurdes à démobiliser des forces du front est, près de Der Ezzor, l’offensive turque contre Afrine a « ralenti » l’éradication de Daech, regrette le Pentagone.

L’arrivée des milices chiites irakiennes dans l’est de la Syrie renforce l’axe iranien, que les États-Unis jurent de freiner. Washington, comme l’affirme Donald Trump, va-t-il alors retirer ses 2000 hommes de Syrie? «Trump met la pression sur les Saoudiens pour qu’ils paient la facture de la présence américaine en Syrie et de la reconstruction du Nord, estime le diplomate. Et le prince héritier Ben Salman a mordu à l’hameçon quand il a demandé que les Américains restent en Syrie.» La Turquie a également besoin d’une présence américaine prolongée en Syrie afin de ne pas être seule à réclamer – face aux Russes et aux Iraniens – le départ d’Assad. Mais, en attendant un éventuel accord avec Washington sur les miliciens kurdes, Ankara affiche sa détermination à poursuivre plus à l’est son offensive antikurde. Signe annonciateur de nouvelles attaques, les Turcs auraient commencé de démanteler certaines parties du mur qui les séparent de la Syrie vers Ras al-Aïn et Tall al-Abyad. D’autre part, leurs emplettes en équipement militaires sophistiqué ne laissent guère de doutes sur la finalité de leurs achats.

Depuis une semaine environ, « des soldats français patrouillent dans le Nord avec le drapeau tricolore», affirme le diplomate onusien. Furieuses de la rencontre entre Macron et les Kurdes, les autorités turques ont laissé fuiter dans la presse l’emplacement des 70 forces spéciales françaises dans la région. «Si jamais on aide les Kurdes en leur envoyant d’autres militaires, on va avoir des problèmes avec les Turcs, confie une source sécuritaire à Paris. C’est leurs services qui ont libéré nos quatre otages de Syrie en 2014. Je me souviens de leur dernier message reçu juste avant leur libération à Pâques: vos quatre gars seront livrés en forme d’oeufs de Pâques. Aujourd’hui, ils sont furieux.» Mais dans le Nord syrien, la France tient à jouer un rôle. « Les militaires français veulent garder un oeil sur les djihadistes emprisonnés par les Kurdes ou encore en liberté dans cette région», analyse un autre expert. Même s’ils s’en défendent, les Kurdes pourraient être tentés d’en relâcher certains, voire d’en remettre à Damas. Un scénario que la France veut, à tout prix, éviter.

Et l’Iran, dans cette nouvelle donne? Téhéran s’est tenu à l’écart des combats dans la Ghouta. Il a également affiché une neutralité face à l’offensive turque sur Afrine. Turcs et Russes aimeraient que cela continue. Au sud d’Alep, où Ankara a déployé des militaires, la Turquie a impérativement besoin de réduire la présence de l’Iran et de son allié du Hezbollah.

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