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Souvent présenté comme le « Président des villes » par l’opposition, le chef de l’Etat s’est adressé à la France périphérique, jeudi. Employant les mots et les images qui parlent, selon lui, à « la France d’en bas »

Nathalie Segaunes

KAK

Sur tous les dossiers sensibles, Emmanuel Macron a justifié et défendu, jeudi, dans le journal de 13 heures sur TF1, les décisions prises par le gouvernement, de la hausse de la CSG qui mécontente les retraités à la limitation de la vitesse à 80 km/h, très impopulaire chez les automobilistes.

C’EST EMMANUEL MACRON qui le dit, « il n’y a pas une France des villes et une France des champs ». Mais il y a de toute évidence un Président des villes et un Président des champs. Pour son interview au 13 heures de TF1 jeudi, réalisée dans l’école primaire de Berd’huis, paisible village normand à 150 km de Paris, le chef de l’Etat, citadin jusqu’au bout de ses Richelieu, avait revêtu son costume de Président des champs.

L’opération visait à regagner le soutien des classes populaires et rurales, qui décrochent dans les sondages. La cote de confiance du Président recule à la fois dans les classes populaires, à 27 %, et dans les classes moyennes (-6 points, à 41 %), alors qu’elle progresse chez les cadres, à 65 %, selon un sondage Elabe. Et les attaques de Laurent Wauquiez, patron de LR, contre un Président qui aurait la « haine de la province », ont eu un certain écho dans les campagnes touchées par la disparition des services publics, la hausse du prix du diesel et de la CSG, la fermeture des classes d’écoles ou la limitation de la vitesse à 80 km/heure.

Pour parler au public de Jean-Pierre Pernaut (5 millions de téléspectateurs en moyenne), le plus regardé par les retraités, les employés et les habitants des campagnes, rien n’a été laissé au hasard.

Emmanuel Macron a d’abord adapté son niveau de langage. Côté vocabulaire, exit les anglicismes : pas de start- up nation, ni de just do it, en soixante-dix minutes d’entretien. Exit également les mots recherchés dont Emmanuel Macron aime parsemer ses discours, comme irénisme, dirimant ou illibéral. Veillant à ne pas faire trop « techno », il a aussi pris soin de ne pas assommer de chiffres les téléspectateurs. Pas de milliards qui volent à travers la classe bien rangée de l’école du village pendant que les enfants jouent dans la cour.

Expressions désuètes. En revanche, le petit-fils de directrice d’école ne s’est pas privé de piocher dans le registre des expressions désuètes et rigolotes. « Il ne faut pas raconter de carabistouilles à nos concitoyens, il n’y aura pas de nouveaux impôts », a-t-il ainsi lancé, au sujet des dotations de l’Etat aux collectivités locales. Un mot plus élégant que « conneries », moins affecté qu’« imbécillités », à ranger dans la même catégorie que « poudre de perlimpinpin », « galimatias » ou « croquignolesque » , employés dans de précédentes interviews.

Dans le même registre direct et sans détour, « c’est la vie » si des gens ne sont pas contents, la politique, « c’est pas des pincées de sel ou de poivre », « la France est une maison », et « c’est pas d’un claquement de doigts » qu’il la refondera… On a aussi appris que les étudiants ont plus intérêt à réviser qu’à bloquer les universités, car « il n’y aura pas d’examen en chocolat dans la République ».

Clin d’oeil appuyé à la culture populaire des plus de 60 ans, le chef de l’Etat a même réussi, parlant de l’évacuation des zadistes de NotreDame- des- Landes, à citer le cinéaste Michel Audiard, réalisateur entre autres de Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages (1968), qui ironisait sur « les professionnels du désordre ».

Au- delà du registre de vocabulaire, l’expression elle- même était inhabituellement relâchée : les négations avaient disparu, tandis « Les riches n’ont pas besoin de Président et se débrouillent très bien tout seuls » que beaucoup de « faut pas » ont émaillé son discours, ainsi qu’une foule de « ch’minots ». Emmanuel Macron, « né à Amiens », ne manquant d’ailleurs pas de rappeler qu’il est luimême « petit-fils de ch’minot ». « Je sais c’que c’est les ch’minots, mon grand-père il en parlait tout l’ temps ! », a lancé l’ancien assistant de Paul Ricoeur.

Sur le fond aussi, Emmanuel Macron a adapté son discours à la France périphérique. Tout en soulignant qu’« il y a une France rurale qui gagne des habitants », il a notamment tenté d’apporter des réponses concrètes aux inquiétudes sur la disparition des services publics.

Portefeuille. Ainsi une habitante de Saôneet- Loire explique- t- elle, dans un reportage, que le médecin du village est parti en retraite, que personne n’était venu le remplacer. Une situation désormais habituelle, tant les déserts médicaux gagnent du terrain. Pour se faire soigner, elle « fait le 15 », explique-t- elle. Le Président connaît la situation, « je suis votre journal télévisé », assure-t-il à Jean-Pierre Pernaut pour preuve de son expertise. Avant de lâcher pour la première fois du lest, et de promettre « plus de moyens » pour l’hôpital, qui seront annoncés à l’été.

Les retraités, victimes pour certains de la hausse de la CSG, « je leur dis merci pour l’effort qu’ils fournissent » , commence Emmanuel Macron, avant de s’adresser directement à eux : « Vous avez cotisé toute votre vie pour payer les retraites de vos aînés. Mais aujourd’hui, il y a moins d’actifs pour payer les retraites, plus de chômage et des retraites plus longues. » « Moi, j’ai des millions de gens qui cotisent pas pour financer votre retraite », déplore-t-il. Avant de revenir au style indirect : « Je n’ai jamais pris un retraité pour un portefeuille. »

Autre sujet typiquement « rural », la limitation de vitesse à 80 km/heure. « Notre sang s’est échauffé sur cette affaire » , commente Emmanuel Macron, manifestement plus amusé qu’inquiet. Il n’en prend pas moins « l’affaire » au sérieux : « Le déplacement moyen quand on est à la campagne, c’est 40 km. Avec la baisse de la vitesse autorisée, cela va prendre deux minutes de plus. Ça ne mérite pas les coups de sang qu’on a pu voir » . Et le chef de l’Etat de prendre deux engagements : celui d’affecter « l’argent perçu sur ces routes pour les hôpitaux qui soignent les blessés de la route ». Et « si dans deux ans ça ne marche pas, on arrêtera partout et on adaptera selon les territoires ».

Un seul dérapage : le Président « de tous les Français » assène curieusement que « les riches n’ont pas besoin de Président et se débrouillent très bien tout seuls. » Pour le reste, Emmanuel Macron, souvent assimilé à la technocratie, a su parler à la France des campagnes. Gommant même toute arrogance : s’il corrige Jean-Pierre Pernaut lorsque ce dernier dit François Bayrou au lieu de Jean-Louis Borloo, il évite de le reprendre lorsque le très populaire présentateur vedette de TF1 chiffre à 47 milliards (au lieu de 4,7) le montant de la cagnotte fiscale… De la belle ouvrage.

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