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Un an après avoir triomphé aux élections présidentielles, Emmanuel Macron remettait son titre en jeu dimanche 15 avril pour un entretien d’évaluation castagne face à deux intervieweurs chocs.
D’un côté du ring, Jean-Jacques Bourdin, poids lourd de l’info sur RMC/BFMTV, roi de la question les yeux dans les yeux, et son acolyte, Edwy Plenel, poids plume (au vitriol) de Mediapart et Torquemada de l’investigation au service de la transparence. Tous les deux sans cravate, sans tabou et sans déférence, triptyque moderne censé incarner la presse libre qui a du punch.
De l’autre côté du ring, Emmanuel Macron, président jupitérien poids léger sur la balance mais détermination blindée, venu encaisser et rendre les coups, sans notes, sans fiches, sans connaître d’avance les questions et sans jamais la cravate de travers.
« Pas un mot (ni une question) sur les massacres de nos alliés kurdes contre Daech, à Afrine. »
Que reste-t-il, sur le fond, de ces 2h38 de show politique agitées et parfois confuses ? Deux ou trois annonces nouvelles : la création d’un cinquième risque de la Sécurité sociale consacré à la dépendance, peut-être une deuxième journée de solidarité pour les personnes âgées, la confirmation de la prise en charge de la dette de la SNCF à partir de 2020 si la réforme était entrée en fonction… Et quelques précisions : l’adaptation du délit de solidarité envers les migrants pour ne pas condamner les vrais gestes « d’humanité » ; la « colère illégitime » des zadistes et des « professionnels du désordre » dans les facs contre les « colères légitimes des cheminots » ; un voile « non conforme à la civilité et au rapport entre les femmes et les hommes » mais qu’il faut accepter dans l’espace public (y compris dans les sorties scolaires).
Sur les frappes en Syrie, menées conjointement avec les États-Unis et le Royaume-Uni samedi 14 avril, Emmanuel Macron a martelé que la France n’avait pas déclaré la guerre au régime de Bachar el-Assad. Malgré l’absence de mandat de l’ONU, cette décision était conforme à ses engagements de ne pas rester sans réponse si la Syrie utilisait des armes chimiques. Pas un mot (ni une question) sur les massacres de nos alliés kurdes contre Daech, à Afrine : les forfaits de l’armée turque d’Erdogan en totale violation du droit international ne bénéficient pas de la même indignation et encore moins du même degré de riposte de la part du chef de l’État.
« Le fondateur de Médiapart est certes un adversaire du pouvoir, mais c’est avant tout un idéologue. »
Mais le bilan de cette interview n’est pas tant sur le fond que sur la forme. En venant défier deux stars de l’interview sans concession, Macron montait sur le ring pour prouver qu’aucun adversaire ne lui faisait peur, qu’il était droit dans ses bottes, qu’il assumait, qu’il ne fléchirait pas. Sauf que les deux intervieweurs ne sont pas les mêmes. Si Bourdin est un vieux renard de l’info qui met ses invités sur le gril et sait pousser de vraies fausses colères pour se mettre du côté de ses auditeurs et téléspectateurs, il en va tout autrement d’Edwy Plenel.
Le fondateur de Médiapart est certes un adversaire du pouvoir, mais c’est avant tout un idéologue, ancien trotskyste, caisse de résonance de la gauche radicale, ami et promoteur de l’islam politique en général et de Tariq Ramadan en particulier.
Edwy Plenel n’avait pas hésité à dire, le 8 novembre 2017, trois ans après la tuerie dans les locaux de l’hebdomadaire satirique, que Charlie Hebdo s’inscrivait « dans une campagne de guerre générale contre l’islam ». Le patron actuel de Charlie Hebdo, Riss, rescapé de la tuerie lui avait répondu, à juste raison, dans les colonnes de son journal : « Cette phrase, qui désigne Charlie Hebdo comme un agresseur supposé des musulmans, adoube ceux qui demain voudront finir le boulot des frères Kouachi. Cette phrase, qui parle de notre journal satirique comme d’une arme de guerre, acquitte déjà ceux qui nous tueront demain ».
« Voilà ce qu’aura été Edwy Plenel, trop ivre de lui-même pour s’en rendre compte : un faire-valoir. Qui n’a jamais su déstabiliser le chef de l’État. »
Pourquoi le chef de l’État a-t-il octroyé à Edwy Plenel une telle légitimité, une telle reconnaissance en l’invitant à guerroyer à sa table de débat ? La réponse était sur l’écran hier soir. Edwy Plenel commençait chacune de ses questions par un plaidoyer politique, lisait en direct ses fiches sur lesquelles il avait consigné ses arguments anti-riches, anti-mesures sécuritaires, pro-zad, pro-facs bloquées, et interpellait le chef de l’État, comme dans une AG, en lui rappelant qu’il n’était pas le prof et qu’ils étaient à égalité.
Face à lui, Macron, qui excelle à la joute oratoire, virevoltait, répondait, esquivait, plantait ses banderilles, souriait, jubilait. Tout l’enjeu était là. Dans ce face-à-face. Où le président de la République, pugnace, ne lâchant rien, tournait autour du représentant du vieil ordre gauchiste tout en lourdeurs idéologiques, pour mieux montrer sa souplesse, sa pensée vive, son style nouveau monde.
Voilà ce qu’aura été Edwy Plenel, trop ivre de lui-même pour s’en rendre compte : un faire-valoir. Qui n’a jamais su déstabiliser le chef de l’État.
« Ce n’est pas parce qu’Emmanuel Macron a gagné que Plenel a perdu. »
Tout ça pour ça ? Certes, le président s’en est sorti haut la main, confirmant sa maîtrise des dossiers et son sang-froid. Il sort vainqueur de l’épreuve. Mais d’une épreuve somme toute assez facile contrairement à ce qu’on nous a laissé entendre. Ce n’est pas parce que le chien aboie qu’il est dangereux et les incantations de Plenel ont fini par lasser tous les téléspectateurs, hormis quelques irréductibles.
Le choix d’Edwy Plenel, s’il était choquant moralement, était une bonne idée tactique au service de Jupiter. Mais ce n’est pas parce qu’Emmanuel Macron a gagné que Plenel a perdu. Le voilà adoubé ennemi médiatique préféré du chef de l’État, position dont il va tirer un grand profit personnel et politique. Le jeu en valait-il vraiment la chandelle ?