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Le tramway de la discorde

Mais pour faire aboutir ce projet estimé à plus de 20 milliards de shekels pour les trois premières lignes, (4,6 milliards d’euros), les Israéliens peuvent difficilement se passer de l’expertise internationale, et notamment française. « Les équipes qui travaillent sur ce projet sont pour moitié étrangères », révèle un ancien employé d’Egis Rail, filiale du groupe français Egis pour le transport urbain et ferroviaire, impliquée dans le projet. C’est surtout dans la « coordination du projet qu’intervient l’expertise internationale », précise un autre employé qui était basé à Jérusalem.
Campagnes, boycott, procès : le prix de la participation

Alstom et Veolia, deux entreprises françaises impliquées dans la construction et l’exploitation de la première ligne du tramway, en ont fait les frais. En 2007, l’Association France Palestine Solidarité (AFPS) et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) les ont assignées en justice pour faire annuler le contrat les liant au gouvernement israélien. La cour d’appel de Versailles a finalement rejeté la demande les plaignants.
BDS estime que Veolia a perdu jusqu’à 12 milliards de dollars (9,7 milliards d’euros) de contrats. Le service de communication de Veolia ne fait pas de lien direct entre ces pertes de marché et les appels au boycott, mais a reconnu cependant en 2009 qu' »en Scandinavie et au Royaume-Uni, la campagne a pu coûter un peu cher ». En 2011, Alstom a également perdu un appel d’offres pour construire une liaison ferroviaire entre La Mecque et Médine, en Arabie saoudite, estimé à 10 milliards de dollars, une victoire que revendique le mouvement BDS.
Face à la montée du mouvement BDS, Israël a riposté notamment en interdisant l’entrée sur son territoire aux membres de 20 organisations étrangères qui appellent au boycott.
Les pertes causées par ces campagnes ont poussé Alstom, en 2013, et Veolia, en 2015, à se retirer de Citypass, le consortium d’entreprises israéliennes et étrangères qui avait remporté, en 2002, l’appel d’offres pour la construction de la ligne rouge. Aussi les entreprises françaises qui continuent d’être impliquées dans la construction et l’expansion du tramway se gardent-elles bien de communiquer dessus.

Alstom, Systra et Egis Rail épinglées

Retrouver la trace des entreprises impliquées

Contacté par France 24, Egis Rail nous a invités à poser directement nos questions à son « client », la JTMT. Dans une réponse à l’Association France Palestine Solidarité datée du 8 novembre 2017, à laquelle France 24 a pu avoir accès, Olivier Bouvard, directeur général d’Egis Rail, a reconnu que l’entreprise participait au projet de tramway à Jérusalem, tout en insistant sur son rôle de simple « sachant technique ». Egis Rail « ne prend pas part, ni n’interfère dans les politiques publiques définies et mises en œuvre par les États », souligne-t-il, dans sa réponse à l’AFPS qui le mettait en garde contre les risques pour l’entreprise de se rendre complice d’un « crime de guerre », la « colonisation israélienne ».
L’entreprise française Systra a également remporté un appel d’offres avec les sociétés israéliennes Del et Mati en 2010 pour réaliser les études préliminaires au développement de la ligne bleue du tramway. L’entreprise détaillait le projet sur son site Internet, mais a retiré cette page après la publication du rapport de Who Profits. Systra effectue également les études détaillées pour cette même ligne, comme l’indiquent plusieurs employés sur leur profil du réseau professionnel LinkedIn. Un employé de Systra a indiqué à France 24 que seuls deux salariés permanents travaillent à Jérusalem, mais en lien avec d’autres qui travaillent à distance – environ une dizaine, si l’on se réfère aux profils des employés publiés sur LinkedIn. C’est moins que l’entreprise Egis Rail, qui compte au moins une vingtaine d’employés sur place au sein de l’équipe technique, selon un ancien employé d’Egis Rail. « Mais à cela, il faut ajouter l’équipe du génie civil, qui était encore plus nombreuse », a précisé ce dernier. Contactée par France 24, l’entreprise Systra n’a pas nié être impliquée dans ce projet, qu’elle a qualifié de « politiquement sensible ». Elle n’a pas souhaité faire davantage de commentaires.
Quand l’État cède face au fait accompli

À partir de 2005, quand Veolia et sa filiale Connex remportent l’appel d’offres international, les mouvements de défense des droits des Palestiniens, comme l’AFPS, se tournent vers l’État français pour qu’il fasse pression sur elles et qu’elles se retirent du projet. Bien conscient des incohérences entre sa position officielle, qui consiste à condamner la politique de colonisation israélienne, et la participation d’entreprises françaises à un tel projet, le gouvernement français essaye, tant bien que mal, de se dédouaner de toute responsabilité. Pour les juristes du Quai d’Orsay, le caractère privé des sociétés ôte tout moyen d’action au gouvernement.

Qu’en est-il pour des entreprises dont l’État est actionnaire majoritaire ? C’est le cas pour Egis Rail, filiale à 75 % de la Caisse des dépôts, dont plusieurs représentants siègent au conseil d’administration. L’État possède également 84 % du capital de Systra, la société étant détenue par la RATP et la SNCF à hauteur de 42 %, chacune avec plusieurs de leurs membres qui siègent à son conseil de surveillance.

« Difficile de soutenir ces entreprises françaises à l’étranger et en même temps de faire pression sur elles lorsqu’elles s’engagent dans des projets politiquement sensibles », souligne une autre source diplomatique. D’autant plus que ces entreprises sont au cœur d’un dispositif diplomatique, analyse une source onusienne. « C’est ce qu’on appelle la doctrine Fabius. Les entreprises françaises comme outil et rayonnement de la diplomatie française. »
http://webdoc.france24.com/jerusalem-tramway-entreprises-france-colonies-israel/


