Rémi Brague : «Le parallèle entre antijudaïsme musulman et antijudaïsme catholique est faux»

Étiquettes

, ,

Le philosophe spécialiste des religions* rappelle que le Coran est censé être l’œuvre, non d’un homme, mais de Dieu qui l’aurait dicté à Mahomet.

image

LE FIGARO. – Dans une tribune, 300 personnalités s’engagent contre l’antisémitisme islamiste. L’antisémitisme est-il fermement inscrit dans la religion musulmane?

Rémi BRAGUE. – Il existe des langues que l’on classe par commodité dans la famille sémitique, comme l’arabe, l’hébreu, l’araméen, le ge’ez, etc. L’antisémitisme suppose, à tort, qu’il y a des peuples «sémitiques», selon une fumeuse conception biologique des «races» qui ne remonte qu’au XIXe siècle. Il n’y a donc pas, en rigueur de termes, d’antisémitisme religieux, chrétien ou musulman. Mais attention à l’échappatoire facile: «Nous ne pouvons pas être antisémites, nous sommes nous-mêmes des Sémites!» Car la vraie question est celle de l’antijudaïsme. Non la critique argumentée des dogmes du judaïsme, qui a son pendant dans la critique juive des croyances chrétiennes ou islamiques, mais bien la haine, mêlée de mépris ou d’envie, envers les juifs.

Chez beaucoup de chrétiens, elle existe ou — soyons optimistes —, elle a existé, quoique, chez certains, en grattant un peu, bref… Quant aux pays islamiques, l’orientaliste hongrois Ignaz Goldziher raconte qu’il a entendu un Syrien battre son âne en le traitant de juif… C’était en 1874. D’après l’extraordinaire BD L’Arabe du futur, dans laquelle Riad Sattouf raconte son enfance dans la Libye, puis la Syrie des années 1980, la haine du juif y est répandue depuis le plus jeune âge. Bien sûr, les gens intelligents distinguent celle-ci de la critique de l’État d’Israël, qui se rencontre aussi chez des Israéliens. Mais l’homme de la rue, et de nos banlieues, ne s’embarrasse pas de ces subtilités.

Que disent les textes islamiques?

Les textes fondateurs, le Coran, demande aux croyants de ne pas choisir leurs amis chez les juifs ou les chrétiens (V, 51). Il accuse les deux d’avoir ajouté au Dieu unique des créatures, Jésus ou le mystérieux Uzayr (IX, 30). Les juifs auraient altéré l’Écriture sainte (II, 75). Les juifs sont des gens qui ont manqué le coche deux fois: en refusant Jésus, puis en refusant Mahomet. Le hadith attribue à Mahomet des déclarations plus raides encore. La biographie officielle de Mahomet, la sira, raconte que celui-ci aurait fait torturer le trésorier d’une tribu juive pour lui faire cracher où le magot était enterré (traduction A. Badawi, t. 2, p. 281 s.). Les assassins d’Ilan Halimi s’en seraient-ils souvenus?

«La législation islamique, aujourd’hui tombée en désuétude, octroie aux juifs, comme aux chrétiens, une place de sujets soumis à un impôt spécial et à diverses interdictions et obligations»

La législation islamique, aujourd’hui tombée en désuétude, octroie aux juifs, comme aux chrétiens, une place de sujets soumis à un impôt spécial et à diverses interdictions et obligations comme, pour les juifs, le port d’une pièce de vêtement jaune.

Les signataires demandent que «les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants soient frappés d’obsolescence par les autorités théologiques comme le furent les incohérences de la Bible et l’antisémitisme catholique aboli par Vatican II, afin qu’aucun croyant ne puisse s’appuyer sur un texte sacré pour commettre un crime». Cette proposition vous semble-t-elle raisonnable ou peu crédible?

J’ignore qui a rédigé cette tribune, mais il me semble peu au courant des croyances de l’islam. Le mot d’antisémitisme est faux, je viens de le dire. Le parallèle avec l’antijudaïsme catholique (celui de Luther n’était d’ailleurs pas piqué des vers non plus) est faux lui aussi. Ensuite, la question ne se pose pas de la même façon pour la Bible et le Coran. La Bible est censée être inspirée, mais ses auteurs sont humains et donc marqués par la vision du monde et les préjugés de leur époque. Le Coran est censé être l’œuvre, non d’un homme, mais de Dieu qui l’aurait dicté à Mahomet. Dieu est éternel, il sait tout, même l’avenir. Les intellectuels musulmans de bonne volonté, comme récemment Rachid Benzine, souhaitent, non qu’on expurge le Coran, mais qu’on en fasse une «lecture critique». Mais comment replacer dans son temps, «contextualiser» comme on dit, la parole d’un Dieu éternel? Tant qu’on n’aura pas affronté la question de l’auteur du Coran, on n’avancera pas.

La référence à Vatican II est souvent employée pour demander un aggiornamento de l’islam. Ce parallèle avec le christianisme est-il pertinent?

Ce parallèle boiteux est le fait de gros malins peu informés. Les différences sont flagrantes: Vatican II, et l’idée d’aggiornamento, ont été lancés par le pape Jean XXIII. Il n’a pas d’équivalent en islam, qui n’a pas de magistère et n’en a pas besoin. Ce qui en tient lieu est l’«accord unanime» de la communauté. Mais personne n’est habilité à le définir avec autorité. Ensuite, comment mettre «au goût du jour» un message émis par un Dieu éternel?

* Auteur de Sur la religion, chez Flammarion.

(Source : lefigaro.fr)

Les commentaires sont fermés.