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Michel Fillière
La grande misère des retraites agricoles
La grogne monte dans les campagnes. Où les travailleurs de la terre à la retraite sont si mal considérés qu’on leur refuse une augmentation promise d’une centaine d’euros de leur pension agricole. Lisez ce qu’ils en pensent.

Emmanuel Macron a passé 12 heures à arpenter le Salon de l’Agriculture. Il a loué les agriculteurs. Moins de deux semaines après, il a opposé son veto à toute hausse des retraites agricoles. La proposition de loi du député puydômois André Chassaigne avait pourtant été votée à l’unanimité : la retraite minimum allait passer de 75 à 85 % du Smic, soit entre 871 et 887 euros par mois. Un refus parce que c’est l’ensemble de la réforme des retraites qui sera prochainement étudié. Des titulaires de pension qui ont un revenu en dessous du seuil de pauvreté (1.008 € par mois) témoignent.

« On nous oublie… »

Roger est très clair. « On a bossé toute notre vie. Nos loisirs, c’était la chasse, la pêche, et pour les voyages on en rêvait, mais devant la télé le soir, quand on n’était pas à l’étable pour assister la vache qui vêlait. On s’est souvent privé, mais nous avons notre honneur. Pour arrondir les fins de mois les pouvoirs publics nous ont royalement autorisé à continuer de cultiver une « surface de subsistance » après notre retraite. Un cadeau cynique… Alors que je touche 750 euros et ma femme 570… »

Jean-Paul insiste. « J’ai commencé à 13 ans. Jamais de vacances, sauf dix jours mais en deux fois. Ma pension est de 730 €. L’augmentation annoncée pour cette année mettrait du beurre dans les épinards. Une fois encore on nous oublie. Pour compenser, je puise dans mes petites économies, fruit de sacrifices pendant plusieurs années. Mais je ne me plains pas. Je fais le jardin pour les légumes, ma femme s’occupe des poules pour les œufs et la viande. À la campagne, la misère semble moins difficile. »

« Des clopinettes… »

« On se moque de nous », enrage Robert. « J’étais agriculteur, j’ai pris ma retraite à 60 ans et je me suis associé avec ma femme qui devrait avoir 750 € quand elle prendra sa retraite dans trois ans. Une honte ! Ceux qui disent que les paysans sont riches parce qu’ils ont des bâtiments, des hectares et du matériel, devraient savoir qu’on s’endette pour survivre. Financièrement, une exploitation moyenne ne peut pas supporter deux têtes. »

« Les disparités entre retraités me révoltent », confesse Lucien. Ma cousine, ancienne institutrice, touche deux fois plus que son mari ancien petit exploitant agricole. Certes, les paysans n’ont peut-être pas assez cotisé pour leurs vieux jours, mais je confirme qu’ils sont les oubliés du système ».

À l’inverse, Danièle « trouve que les agriculteurs ont la plainte facile. Ils ont des aides de la PAC, du carburant détaxé et la bienveillance de leur banquier… » Houlà ! Une telle déclaration pouvait jadis se terminer sur le pré…

Jacques reste ferme : « Moi, je suis content d’être à la retraite. Je me débrouille. Mais je soutiens les agriculteurs. Ils méritent d’avoir un pouvoir d’achat un peu plus important. Il n’est pas normal qu’ils soient ainsi baladés et traités par le mépris alors qu’on leur donne des clopinettes à la retraite. C’est inadmissible que ces hommes et ces femmes qui se sont aussi parfois serré la ceinture perçoivent parfois moins que le minimum vieillesse alors qu’ils ont travaillé pendant des dizaines d’années jusqu’à 10 ou 12 heures par jour. »

Anton Tchekhov résumait ainsi cette situation pénible : « Les paysans sont sans cesse au travail et c’est un mot qu’ils n’utilisent jamais. »

 

Paysan

« Riche », le laboureur ? La faute à Ésope (né vers 620 avant J.-C.) réécrit par La Fontaine (né en 1621) dans une fable. Ou « fauché » ? Celle de Fernand Raynaud, « J’suis un pauvre paysan ! Ça eu payé, ça ne paye plus. » Depuis qu’au Néolithique les hommes ont eu l’idée de mettre en terre des graines pour se nourrir, l’agriculteur a son lot de mesquineries. Il est même « vilain » au Moyen-Âge ! Le Dictionnaire de l’Académie (1762) le décrit « pauvre ». On comprend sa misère en écoutant La montagne de Jean Ferrat, le plus bel hommage aux paysans qui « ont tous l’âme bien née ». Que ceux qui se complaisent à dénigrer ces bizarres « cul-terreux » ravalent leur jugement. Aujourd’hui, le paysan est diplômé, comme chef d’exploitation. Il est écrivain, comme Pierre Rabhi. Il obtient la reconnaissance de trois César, comme le film Petit Paysan. Ce n’est pas parce qu’il fait partie du paysage qu’il faut le dimanche venir le regarder sur son théâtre de cultures. Paysan : un beau mot pour désigner celui qui maille le territoire, et comprend la nature. Entendons bien Montesquieu : « J’aime les paysans, ils ne sont pas assez savants pour raisonner de travers ».  Michel Fillière

https://www.lamontagne.fr