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Luc Ferry

Il faut cesser de dépenser à tout va dans des politiques sociales inefficaces, mais rétablir la loi contre le fanatisme et la délinquance.

Comme le montre Malek Boutih dans sa critique très radicale des récentes propositions de Borloo sur les banlieues (L’Express du 26 avril dernier), ce qui est le plus préoccupant dans nos quartiers n’est pas tant la situation économique et sociale que l’effondrement de l’idée républicaine sous l’effet de la violence des bandes rivales, du fondamentalisme et du multiculturalisme.

Des zadistes aux séparatistes islamistes en passant par les zones de non-droit, c’est notre idéal républicain qui est en train de couler et ce n’est pas à coup de subventions, de grandes écoles « en chocolat » (pour parler comme Macron), réservées aux seuls jeunes des quartiers, de coachs sportifs et autres Bisounours qu’on réglera le problème.

Hélas, le libéralisme américanisé qui inspire nos dirigeants a fini par se coucher devant l’idéal de discrimination positive et de multiculturalisme qui fut l’un des principaux héritages de la « Pensée 68 ». Un article de Guattari, publié avec Cohn-Bendit en l986, annonçait déjà la couleur : « Le but, disaient-ils, n’est pas de parvenir à un consensus approximatif mais tout au contraire de favoriser une culture du dissensus. Quelle ineptie que de prétendre accorder les immigrés, les féministes, les rockers, les régionalistes, les pacifistes, les écologistes et les passionnés d’informatique ! » J’avoue n’avoir jamais compris ce qu’il y avait d’inepte à rechercher un accord entre concitoyens.

La vérité, c’est que depuis lors, ce sont les valeurs de la res-publica, cet espace public au sein duquel seul il est possible de construire un consensus autour de la loi commune, qui furent peu à peu balayées au profit d’un discours que la Nouvelle droite aurait pu cosigner. Car si les différents groupes humains ne peuvent ni ne doivent chercher à s’accorder entre eux, si toute référence à des valeurs communes n’est que violence symbolique et tyrannie impérialiste, c’est bel et bien à l’atomisation du social que nous assistons au profit d’un retour à la vision réactionnaire de communautés viscéralement closes sur elles-mêmes, incapables de dépasser leurs singularités ataviques pour entrer en communication les unes avec les autres.

Nul hasard, dans ces conditions, si l’éloge de la différence en est venu à se couler dans des formules à la limite du racisme. Écoutons encore Guattari qui revenait sur ces thèmes dans son petit livre sur Les Trois Écologies : « Les divers niveaux de pratique, non seulement n’ont pas à être homogénéisés, raccordés les uns aux autres sous une tutelle transcendante, mais il convient de les engager dans des processus d’hétérogenèse. Il n’y a nulle raison de demander aux immigrés de renoncer aux traits culturels qui collent à leur être ou bien à leur appartenance nationalitaire. » Du point de vue de cette calamiteuse logique de la différence, la culture est devenue un analogue de la race, une réalité ontologique, pas une abstraction. Elle est inscrite dans l’être des individus au même titre que leur biologie, ce pourquoi il fallait renoncer au projet républicain de l’intégration. Où l’on voit comment l’humanisme des Lumières devait finalement tomber sous les coups de la déconstruction libertaire/libérale qui allait emporter avec elle ses principes universalistes. De là aussi le débat qui s’est ouvert sur l’école entre « pédagos » et « républicains », les premiers plaidant pour une radicale déconstruction des « vieilles lunes républicaines » au nom du droit à la différence, les seconds souhaitant au contraire le retour aux antiques principes de la Lettre aux instituteurs de Jules Ferry. En vérité, ce n’est pas tant d’école qu’il s’agissait dans cette querelle que d’une opposition de fond entre le multiculturalisme de la « Pensée 68 » et les partisans de l’idée républicaine, de l’espace public, du culte de l’effort et du travail.

En proposant un énième plan banlieue adossé à l’idée de discrimination positive au lieu de faire peser l’effort, comme y insiste à juste titre Malek Boutih, sur la lutte contre la violence qui est le problème numéro 1 des quartiers, on risque de passer une nouvelle fois à côté du sujet. Vouloir créer une ENA de rang inférieur réservée aux « jeunes défavorisés », c’est ajouter le ghetto scolaire au ghetto urbain. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas de câlinothérapie ni d’argent dépensé à tout va dans des politiques sociales inefficaces, c’est de policiers et de magistrats pour rétablir la loi contre le fanatisme et la délinquance afin de redonner autorité à des écoles publiques qui doivent plus que jamais rester ouvertes à tous.

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