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Jean-Pierre Filiu est professeur des universités en histoire du Moyen-Orient contemporain à Sciences Po

La crise ouverte par le président Trump avec l’Iran risque de dégénérer très rapidement sur différents théâtres du Moyen-Orient.

Annonce, le 8 mai, du retrait des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien

Le Moyen-Orient est devenu encore plus instable et dangereux depuis que Donald Trump a décidé de torpiller l’accord international sur le nucléaire iranien. D’abord, cette foucade porte un coup terrible dans la région au principe même de la diplomatie, déjà discréditée par son impuissance sur la question palestinienne et dans le conflit syrien. Ensuite, l’Europe et l’ONU, tous deux facteurs d’apaisement au Moyen-Orient, ont été marginalisées, voire humiliées. Enfin, « l’axe de la résistance » que Téhéran entend mener, avec le régime Assad et les milices pro-iraniennes, trouve une incarnation rêvée face au diktat de Washington. La flambée de violences de la nuit du 9 au 10 mai, entre Israël et l’Iran en Syrie, est déjà sans précédent. Mais la montée des tensions sur d’autres théâtres est également à craindre à très court terme.

LES DEUX SOIXANTE-DIXIEMES ANNIVERSAIRES

Le mandat britannique sur la Palestine a pris fin le 15 mai 1948. Cette date tombant un samedi, David Ben-Gourion a préféré ménager les rabbins et proclamer l’Etat d’Israël la veille. C’est pourquoi le soixante-dixième anniversaire de l’Etat hébreu sera célébré le 14 mai, alors que les Palestiniens marqueront le lendemain la Nakba, soit en arabe la « Catastrophe » que représente à leurs yeux la transformation d’une majorité des Arabes de Palestine en réfugiés (à noter qu’une partie de ces réfugiés ont fui leurs foyers avant la proclamation d’Israël, du fait de la guerre qui opposait milices sionistes et arabes depuis déjà plusieurs mois).

La coïncidence entre ces deux commémorations est d’autant plus sensible qu’elles marqueront chacune un aboutissement: pour Israël, le transfert effectif de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem, conformément à la décision de Trump, en décembre dernier, de reconnaître la Ville sainte comme capitale d’Israël; pour les Palestiniens, la mobilisation ultime de la « Marche du Retour », lancée le 30 mars dernier à Gaza, avec déjà une cinquantaine de morts et quelque deux mille blessés. L’armée israélienne ne reculera devant rien pour empêcher tout franchissement de la clôture qui enserre la bande de Gaza. Le paradoxe est qu’Israël considère comme une frontière internationale et défend ainsi de manière implacable ce qui n’est qu’une ligne de cessez-le-feu établie en 1949 avec l’Egypte (puissance administratrice de la bande de Gaza jusqu’en 1967) et sur laquelle son armée s’est repliée après le retrait unilatéral de 2005.

LA PRIME AUX EXTREMISMES

Israël, dont la propagande assimile systématiquement les manifestants de Gaza aux miliciens du Hamas, ne manquera pas de dénoncer la main de l’Iran, effectivement lié à la branche armée du Hamas, dans une éventuelle épreuve de force autour de Gaza. L’occasion est par ailleurs trop belle pour l’ayatollah Khameneï et les Gardiens de la Révolution (dont les troupes de choc portent le nom d’Al-Qods/Jérusalem) de jouer sur la fibre anti-sioniste sans être aussi exposés qu’en Syrie. Ils pourront par là même dénoncer les compromissions avec Israël de l’Arabie saoudite et des Emirats arabes unis. Le fait que la reconnaissance de Jérusalem comme capitale par les Etats-Unis se traduise concrètement quelques jours après le torpillage de l’accord sur le nucléaire ouvre une nouvelle opportunité pour l’Iran de consolider son emprise régionale. En outre, les récentes élections au Liban ont consacré la puissance du Hezbollah, une performance que le bras politique des milices pro-iraniennes de la  « Mobilisation populaire » espère égaler en Irak après les législatives du 12 mai.

Le soutien au coup de force de Trump par le régime Sissi, certes contraint de s’aligner sur ses bailleurs de fonds du Golfe, accentue encore une polarisation régionale entre autocraties arabes et « axe » pro-iranien dont les premières victimes sont les peuples arabes, dépossédés un peu plus de leur droit à l’autodétermination. Une telle polarisation risque fort d’accélérer le retour de flamme de Daech, dont les réseaux s’activent déjà, malgré le démantèlement de son pseudo-califat en Syrie et en Irak. Le mois de Ramadan, dont le début est prévu autour du 15 mai, est traditionnellement considéré par Daech comme le mois privilégié du jihad, avec un bilan d’attentats très lourd en 2016, heureusement moindre en 2017. Le scénario-catastrophe d’une extension d’un conflit de Gaza à la péninsule égyptienne du Sinaï, en partie contrôlée par la branche locale de Daech, n’a jamais été aussi inquiétant.

Le pire n’est jamais sûr. Mais, dans un Moyen-Orient soumis aux coups de boutoir de Trump, il devient chaque jour plus probable.

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