Étiquettes
Marie-Eve Bédard
Cinquante-cinq Palestiniens ont été tués par des soldats israéliens lundi dans la bande de Gaza lors de manifestations monstres dénonçant le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, selon le ministère de la Santé de Gaza. Il s’agit de la journée la plus meurtrière du conflit israélo-palestinien depuis 2014.
Plus de 2200 autres personnes ont été blessées, dont 770 par balle.
Des milliers de Palestiniens s’étaient rassemblés dès la fin de la matinée le long de la barrière de sécurité séparant l’enclave palestinienne de l’État hébreu pour manifester leur colère face à l’inauguration de cette ambassade, qui concrétise la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par les États-Unis.
Ces violences n’ont pas empêché l’inauguration officielle de l’ambassade américaine à Jérusalem, qui s’est mise en branle comme prévu à 16 h, heure locale (9 h, HAE), en présence de centaines de responsables américains et israéliens. L’ambassade est en fait installée dans les locaux qui étaient occupés jusqu’ici par le consulat américain.
Le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, a dénoncé un « massacre » israélien dans la bande de Gaza.
« Les émeutiers lancent des bombes incendiaires et des engins explosifs, brûlent des pneus, lancent des pierres et tentent d’allumer des feux en territoire israélien », a déclaré l’armée israélienne dans un de ses nombreux messages publiés sur Twitter. Selon elle, 35 000 Palestiniens manifestaient dans Gaza.
Ces manifestations palestiniennes contrastent avec le sentiment de triomphe ressenti par les Israéliens, qui célébraient, avec le transfert de l’ambassade américaine, le 70e anniversaire de la création de leur État. Mardi, les Palestiniens commémoreront plutôt la Nakba, la catastrophe qu’a représentée cette décision.
On se fiche que la moitié des gens se fassent tuer. On continuera à aller [à la frontière] pour que l’autre moitié vive dignement.

Les Palestiniens ne manifestent pas uniquement leur colère dans la bande de Gaza. Des mouvements de protestation ont aussi lieu en Cisjordanie occupée, notamment à Bethléem (notre photo), Ramallah, Hébron, Naplouse et Jéricho. Photo : La Presse canadienne/AP/Majdi Mohammed
« Si le Hamas franchissait la frontière, des milliers d’Israéliens seraient en danger », a commenté l’armée israélienne sur Twitter. « Le Hamas mène une opération terroriste sous couvert des foules à travers Gaza. Selon les déclarations du Hamas et les renseignements de Tsahal [l’armée israélienne, NDLR], le Hamas a l’intention de mener des attaques terroristes, y compris une infiltration massive. »
Vous prenez part à des rassemblements violents au risque de votre vie. Ne laissez pas le Hamas, de la manière la plus cynique, se servir de vous comme de ses jouets.
Dans un message publié sur Twitter, le haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al-Hussein, a dit être « choqué » par le bilan des tirs israéliens dans la bande de Gaza. Cela « doit cesser maintenant », a-t-il affirmé.
Le droit à la vie doit être respecté. Ceux qui commettent des violations scandaleuses des droits de la personne doivent être tenus responsables. La communauté internationale doit s’assurer de rendre justice aux victimes.
Communiqué bloqué à l’ONU
Washington a pesé de tout son poids en bloquant lundi l’adoption d’un communiqué du Conseil de sécurité de l’ONU appelant à une enquête indépendante sur les événements meurtriers dans la bande de Gaza, indiquent des sources diplomatiques. Selon le projet de texte obtenu par l’AFP, « le Conseil de sécurité exprime son indignation et sa tristesse face à la mort de civils palestiniens exerçant leur droit à manifester pacifiquement ».
Dans un tweet, la ministre canadienne des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a dit être « très préoccupée » par la violence dans la bande de Gaza et a affirmé qu’il était « inexcusable » que des civils, des journalistes et des enfants en soient victimes. « Toutes [les] parties du conflit ont la responsabilité de protéger les civils », écrit-elle.
Faisant écho à son homologue à la Maison-Blanche, le porte-parole de Mme Freeland, Adam Austen, a déclaré qu’Ottawa condamnait l’implication du Hamas, « une organisation terroriste répertoriée ».
L’Afrique du Sud a rappelé son ambassadeur en Israël. La Turquie a fait de même en dénonçant un « génocide ». L’Élysée a indiqué que la France condamnait « les violences » et que le président Emmanuel Macron allait s’entretenir dans les prochains jours « avec les acteurs de la région ».
Dirigée par le mouvement islamiste Hamas, la bande de Gaza est sous blocus israélien depuis plus de 10 ans. La Cisjordanie, distante de quelques dizaines de kilomètres, est occupée par Israël depuis plus de 50 ans.
Gaza est depuis le 30 mars le théâtre d’une « marche du retour » qui voit des milliers de Palestiniens se rassembler le long de la frontière avec Israël. Il s’agit pour eux de revendiquer le droit de retourner sur les terres dont ils ont été chassés ou qu’ils ont fuies en 1948, et de dénoncer le blocus.
Une centaine de Palestiniens ont maintenant été tués depuis le début de ce mouvement, en incluant les heurts de lundi.
Le transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, qui rompt avec un consensus international de longue date, a été qualifié de « claque du siècle » par le président Mahmoud Abbas. Ce dernier a d’ailleurs rompu tout lien avec l’administration Trump dans la foulée.
Les Palestiniens veulent faire de Jérusalem-Est, que la communauté internationale considère comme un territoire occupé, la capitale de l’État auquel ils aspirent.
Nétanyahou dit merci, Abbas crie à l’insulte
Le premier ministre Nétanyahou s’est répandu lundi en marques de gratitude envers M. Trump, qui a selon lui « écrit l’histoire » en transférant l’ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem. Il l’a remercié d’avoir eu le « courage » de tenir cette promesse électorale.
« Nous sommes à Jérusalem et nous y resterons », a lancé le chef du gouvernement israélien, qui a terminé son discours en soulignant que la ville, considérée comme sainte par les trois grandes religions monothéistes, est la « capitale éternelle et indivisible d’Israël ».
C’est un grand jour. Un grand jour pour Jérusalem. Un grand jour pour l’État d’Israël. Un jour qui restera gravé dans notre mémoire nationale pour des générations.
« Les États-Unis ne sont plus un médiateur au Moyen-Orient », a réitéré Mahmoud Abbas à Ramallah, devant la direction de l’Autorité palestinienne. Il a assimilé l’ambassade américaine à Jérusalem à un « nouveau poste avancé de la colonisation ».
Avec cette mesure, le gouvernement américain renonce à son rôle dans le processus de paix et insulte le monde, le peuple palestinien, la nation arabe et musulmane, il crée des tensions et de l’instabilité.
La population israélienne est presque unanimement heureuse du transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem, a expliqué notre correspondante au Moyen-Orient, Marie-Eve Bédard, dans une intervention faite en direct sur Facebook. Seuls quelques activistes du groupe Peace Now, qui milite pour la paix, ont manifesté leur désaccord publiquement.