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Dans cette interview pour The Real News, Norman Finkelstein affirme que les forces israéliennes ont mené une agression meurtrière contre des manifestants non-violents de la Grande Marche du Retour de Gaza parce que la protestation non-violente menace non pas Israël, mais son occupation.
Norman Finkelstein : Merci de me recevoir.
Aaron Maté : Merci d’être avec nous. Parlez-nous donc des enjeux de la phase finale de la Grande Marche du Retour.
Norman Finkelstein : Je pense que le plus important est de replacer la marche dans son contexte historique.
Il y aura 70 ans ce 15 mai, a commencé l’expulsion des Palestiniens de ce qui est devenu l’Etat d’Israël. Donc le début du processus qui culminera cette semaine a été la création de la question des réfugiés Palestiniens. Et 70% de la population de Gaza sont des réfugiés et leurs descendants, qui sont aussi classifiés comme des réfugiés par les Nations Unies.
Le début du processus est donc l’expulsion, et il y a un demi-siècle, Gaza a été occupée par Israël. Et ce fut depuis le tout début une occupation très brutale. Les pires massacres furent alors supervisés par Ariel Sharon. Donc vous avez l’expulsion, à laquelle vient s’ajouter l’occupation.
Donc vous avez l’expulsion, l’occupation et le blocus, et en plus de tout cela, vous avez ces massacres périodiques infligés à Gaza. Depuis 2004, il y a eu non pas un, non pas deux, non pas trois, non pas quatre, non pas cinq, non pas six, non pas sept mais bien huit, huit massacres infligés au peuple de Gaza.
Maintenant, quand je parle du peuple de Gaza, vous devez bien avoir à l’esprit que plus de la moitié de la population sont des enfants. Ils ont moins de 18 ans. Donc lorsqu’on parle d’un blocus inhumain, de massacres, ils sont surtout infligés à des enfants.
Et vous pouvez imaginer — ce n’est pas très difficile à concevoir — que lorsque vous avez ce processus d’expulsion, d’occupation, de blocus et de massacres, à un certain moment, l’endroit devient invivable. Et je ne veux pas dire invivable dans un sens qui serait d’ordre poétique, mais bien physiquement invivable.
L’ONU est surtout composé de bureaucrates, des bureaucrates très austères, et ils ont rédigé des rapports assez compétents. Et début 2012, ils posaient une question très réaliste : Gaza sera-t-elle habitable en 2020 ? Encore une fois, physiquement, biologiquement, médicalement, sera-t-elle vivable ? Cela a commencé avec cette question.
Puis en 2015, l’UNCTAD, une agence de l’ONU, a publié un rapport qui ne la présentait plus comme une question. Ce rapport affirmait que dans la trajectoire actuelle, Gaza serait invivable en 2020.
Puis en 2017, l’ONU s’est rendu compte qu’ils avaient été trop confiants, trop optimistes. Ils ont dit que Gaza avait déjà franchi le seuil d’invivabilité il y a longtemps.
Eh bien, qu’est-ce que ça signifie, concrètement ? Cela signifie par exemple que 97% de l’eau de Gaza est contaminée. Chaque Américain devrait comprendre cela. Nous avons eu notre propre tollé national pour l’eau à Flint [Michigan], lorsque l’état de contamination de l’eau a été découvert. Mais on parle ici de toute une région, Gaza, dont l’eau est contaminée.
Comme l’a dit Sara Roy, du Centre d’Harvard pour les Etudes sur le Moyen-Orient, dans la dernière édition de son travail standard sur l’économie de Gaza, question sur laquelle Roy est l’autorité mondiale, elle dit que des innocents, en majorité des enfants, sont empoisonnés par l’eau qu’ils boivent et par la nourriture qu’ils consomment, parce que le sol est également contaminé.
Nous avons donc une situation où les gens sont maintenant confrontés par le fait qu’ils sont… et cela entraîne… Je n’aime pas recourir à des comparaisons, car on arrive à cette comparaison des souffrances, et personne ne veut aller dans cette direction. Mais il y a des aspects de Gaza qui sont absolument uniques.
Et l’un de ces aspects est que, comme l’UNRWA — la principale organisation humanitaire travaillant avec des réfugiés Palestiniens — l’a dit, partout ailleurs dans le monde, s’il y a une catastrophe naturelle, comme par exemple une sécheresse, ou une catastrophe causée par les hommes, comme la guerre en Syrie, ils ont dit que ce n’est pas une super option mais les gens peuvent fuir.
Ils peuvent partir, ils peuvent déménager. Je serais le dernier à dire que c’est une bonne alternative, devenir un réfugié, et souvent finir dans une tente, dans la boue. Mais les habitants de Gaza n’ont même pas cette option, dit l’UNRWA. Ils sont piégés.
Maintenant, il faut se poser une question très simple : quel mot utiliseriez-vous pour décrire une situation dans laquelle 2 millions de personnes sont piégés dans une zone qui est physiquement invivable ? [Un camp de concentration]. Ce n’est pas mon langage, c’est le langage de l’ONU.
Ils sont physiquement piégés dans une zone qui est invivable et dans laquelle, pour citer Sara Roy, vous êtes empoisonné. Donc face à cette réalité, le peuple de Gaza n’a pas vu d’autre option, car le recours à la résistance armée, qui a été tenté plusieurs fois, s’est avéré futile, ils ont été incapables de faire céder Israël, donc ils ont vu cela comme un dernier recours.
Et le peuple de Gaza a entrepris, vraiment en masse, de manière populaire, non-sectaire, d’essayer de briser le siège en recourant à la résistance civile non-violente.
Aaron Maté : Donc les habitants de Gaza ont fait ce que de nombreuses personnes dans le monde ont affirmé vouloir qu’ils fassent depuis des années, à savoir des manifestations non-violentes. Ils ont manifesté toutes les semaines, les enfants, les femmes, les résidents ordinaires de Gaza. Quelle a été la réponse d’Israël ?
Donc le langage lui-même a dépassé un certain seuil, d’un langage assez respectable comme recours « disproportionné » ou « indiscriminé » à la force, et maintenant le langage est enfin [adapté] — ça a pris du temps —, et il s’élève à cette occasion au niveau de la brutalité de la réponse israélienne.
La question intéressante, ou une question intéressante est Pourquoi ? En partie, évidemment, parce qu’Israël lâche la bride à son assaut meurtrier contre des manifestants très massivement non-violents, pour essayer d’y mettre fin. Mais il y a un autre aspect.
L’autre aspect est, comme l’un des plus hauts responsables l’a dit dans Wikileaks, il a dit qu’on n’est pas trop forts pour les Gandhi. Ce qu’il voulait dire, c’est qu’ils ont toujours un très gros problème avec les Palestiniens engagés dans la résistance non-violente, car quand Israël recourt à sa force brutale habituelle, cela fait tache dans les médias internationaux.
Et c’est pourquoi ils essaient constamment de provoquer les habitants de Gaza pour les forcer à recourir à la force armée. C’est pour cela qu’ils ciblent les enfants. C’est pour cela qu’ils ciblent des journalistes révérés comme (Yasser) Murtaja car ils veulent enrager la population de Gaza. C’est pour cela qu’ils ont tué le Palestinien en Malaisie, l’ingénieur proche du Hamas, espérant déclencher une réaction.
Aaron Maté : Vous parlez de l’assassinat d’un Palestinien en Malaisie.
Aaron Maté : Les Brigades Al-Qassam sont la branche armée du Hamas.
Aaron Maté : Le 4 novembre 2008, le jour de l’élection de Barack Obama, donc l’attention du monde était détournée d’Israël…
Aaron Maté : Le Jihad Islamique est un autre groupe militant à l’intérieur de Gaza.