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Par  Guillaume Perrault

À cause de la diminution du nombre des députés voulue par Emmanuel Macron, la France périphérique va perdre des relais dans l’appareil d’État.

Dans les années 1980, en Creuse, le prêtre de l’église d’un modeste village, lorsqu’il fut sollicité par courrier pour obtenir un certificat de baptême, adressa le document sur un papier à entête où l’on découvrait la longue liste des paroisses dont le curé de campagne avait la charge. L’homme d’Église avait ajouté cette citation des Évangiles : « La moisson est abondante, mais les ouvriers peu nombreux ; priez. » Puis la raréfaction des prêtres se doubla de celle des députés. En 2009, à l’occasion d’un redécoupage des circonscriptions, la Creuse perdit un de ses deux représentants à l’Assemblée nationale. Désormais, un seul député est censé sillonner les 5 500 kilomètres carrés et les 258 communes du département. Il en va de même en Lozère.

Les Français applaudiront-ils toujours la diminution du nombre des députés voulue par Emmanuel Macron lorsqu’ils sauront qu’un département sur cinq, en 2022, connaîtra sans doute la même situation que la Creuse et la Lozère aujourd’hui ? La Meuse, la Nièvre, la Haute-Saône, la Haute-Loire, l’Indre sont sur la sellette. D’autres départements ruraux, de surcroît l’Aveyron, l’Allier – perdraient un de leurs trois sièges actuels. Les petites villes et les sous-préfectures, la « France périphérique » étudiée par le géographe Christophe Guilluy, va perdre des relais dans l’appareil d’État.

Pour tout arranger, le redécoupage des circonscriptions s’ajoute à l’interdiction quasi absolue du cumul des mandats et à sa limitation dans le temps. Un Jean- Pierre Soisson, député de l’Yonne de 1968 à 2012, maire d’Auxerre de 1971 à 1998 puis président de la communauté de communes de l’Auxerrois, président de la région Bourgogne (1998-2004), membre du gouvernement pendant douze ans (1974-1981, 1988-1993), nourri dans le sérail, en connaissait les détours. L’homme avait accès aux antichambres ministérielles pour obtenir une nouvelle école, sauver un bureau de poste, négocier l’implantation d’un grand groupe privé de concert avec l’État. Quelle que soit leur bonne volonté, les députés du « nouveau monde », dépourvus de mandat de maire (sauf si la commune compte moins de 9 000 habitants) et, le plus souvent, d’expérience gouvernementale, n’auront pas le bras aussi long. Les conséquences risquent d’être particulièrement fâcheuses dans les départements ruraux.

Certes, même les départements urbains et très peuplés vont perdre des représentants à l’Assemblée, puisque seuls 335 députés seront, demain, élus au scrutin majoritaire dans le cadre de circonscriptions territoriales (ils sont 577 aujourd’hui) et 69 à la proportionnelle dans le cadre d’un scrutin de liste à l’échelle nationale. Mais passer de 6 à 5 députés n’a pas les mêmes conséquences que de 2 à 1. Le poids relatif des métropoles sera accru dans l’Assemblée nationale de demain.

La part modeste de sièges pourvus à la proportionnelle (18 %) garantira-t-elle au moins une représentation plus équitable de la variété des courants de pensée ? Rien n’est moins sûr. Comme l’ont expliqué Emmanuel Galiero, Marion Mourgue et Guillaume Tabard, le Front national et La France insoumise peuvent perdre davantage de sièges, à l’occasion de la diminution du nombre de députés élus au scrutin majoritaire, qu’ils n’en gagneront à la proportionnelle. Une opération blanche est également possible. À titre de comparaison, en Allemagne, la moitié au moins des sièges du Bundestag est pourvue à la proportionnelle dans le cadre d’un scrutin de liste à l’échelle des Länder, tandis que l’autre moitié des députés est élue au scrutin majoritaire dans le cadre de circonscriptions comme en France. Avant la réforme décidée par Macron, le rapport entre le nombre de députés et la population plaçait la France dans la moyenne des démocraties contemporaines. Il est certes toujours agréable de voir tomber des têtes dans notre pays. Mais nulle économie pour les finances publiques n’est à espérer. La seule conséquence certaine du changement en préparation sera de rendre plus difficile encore l’apparition de fortes personnalités au Parlement, comme un Charles de Courson (UDI, Marne), croisé du contrôle parlementaire. Car tenir tête à l’exécutif exige de pouvoir s’appuyer sur un fort enracinement local dans une circonscription à taille humaine. Le Parlement de demain sera gage de confort pour le gouvernement. Mais peut-être, les jours de tempête, Macron vérifiera-t-il à ses dépens ce jugement de Guizot en 1821 : « La France est tranquille ; le pouvoir s’exerce sans obstacle : mais la France est sans confiance et le pouvoir sans force. »

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