Réforme des institutions

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 Samuel Le Goff

Les négociations entre le président du Sénat et le chef de l’État pour faire aboutir la réforme des institutions sont longues et parfois rugueuses. Mais le dialogue n’a jamais été rompu. Les sénateurs restent majoritairement ouverts à un accord, conscients du risque pour le Sénat en cas de recours au référendum.

Pour aboutir, la réforme des institutions promise par Emmanuel Macron doit être votée par le Sénat et recueillir au moins trois cinquièmes des voix au Congrès, l’instance qui réunit députés et sénateurs. La seule voie possible pour le chef de l’État est de trouver un accord avec la majorité de droite du Sénat.

Des échanges parfois tendus

Le chef de l’État a pris son temps pour préparer sa réforme, annoncée au Congrès le 3 juillet 2017. Il a sollicité les présidents des deux assemblées, qui ont planché et formulé des propositions. Mais ces dernières n’ont pas été reprises dans les textes du gouvernement.

Alors que les sénateurs ont rendu leur copie en janvier, le gouvernement a mis deux mois pour réagir, ce qui a provoqué un certain agacement au palais du Luxembourg. Le contenu du projet de loi constitutionnelle a suscité de vives objections de la part de Gérard Larcher, qui estime que le texte organise un recul des pouvoirs du Parlement face à l’exécutif.

Le texte proposé n’est pas conforme à celui présenté lors des discussions menées avec le chef de l’État et celui de l’Assemblée. Ce qui a irrité le président du Sénat : c’est une « mauvaise manière », a-t-il résumé, lors de sa conférence de presse du 9 mai 2018.

« Emmanuel Macron a sorti des choses qui n’avaient pas été discutées. Ce n’est pas correct », souligne le sénateur Michel Raison (LR).

Les élus du palais du Luxembourg se sont également émus d’une proposition de loi du député Sacha Houlié (LRM), qui entend faire élire les sénateurs à la proportionnelle dans un cadre régional. « Une provocation » aux yeux de Catherine Procaccia (LR) :

« Il est contraire aux usages qu’une chambre se mêle du mode de scrutin de l’autre. Ce n’est pas avec des provocations de ce genre que l’on va faire avancer les négociations », lance-t-elle, irritée.

Larcher garde la main

Dans cette mauvaise ambiance, Gérard Larcher a obtenu deux victoires importantes sur des sujets considérés comme des lignes rouges sénatoriales.

Les textes gouvernementaux garantissent que les parlementaires resteront élus dans un cadre départemental. L’exclusion des communes de moins de 9 000 habitants du périmètre du non-cumul des mandats dans le temps a également été très appréciée au palais du Luxembourg, où un regard attentif est porté à la défense des intérêts des grands électeurs que sont les maires ruraux.

Ces succès ont renforcé la position de Gérard Larcher, dont le leadership a été questionné, au cours du printemps, par des sénateurs LR.

« Il y a eu deux lignes chez LR : des tiraillements entre ceux qui voulaient défendre le Sénat, et ceux qui voulaient faire de la politique en s’opposant plus frontalement au gouvernement », explique Michel Vaspart (LR).

Catherine Procaccia confirme que Gérard Larcher et le président du groupe LR Bruno Retailleau « n’ont pas toujours été sur la même ligne ». « Tout cela, c’est du passé, tout le monde est derrière Larcher », conclut Michel Vaspart. Lors de la conférence de presse du 9 mai, qui a suivi l’adoption du projet de loi constitutionnelle en Conseil des ministres, les trois présidents des groupes de droite étaient présents, montrant ainsi leur solidarité avec leur chef de file.

Le groupe radical (RDSE), qui n’est pas dans la majorité sénatoriale, est sur la même longueur d’onde, explique la sénatrice Françoise Laborde :

« Nous souhaitons que la réforme aboutisse et sommes satisfaits des avancées obtenues. Mais le texte n’est pas encore stabilisé et nous attendons de savoir sur quoi nous devrons nous prononcer. »

Des chantiers encore ouverts

Tous les sénateurs interrogés par Contexte restent toutefois prudents, car plusieurs points importants restent en suspens. Gérard Larcher a entamé des discussions sur le nombre de sénateurs. Lors de sa conférence de presse du 9 mai, il a souhaité qu’il y ait suffisamment de sénateurs pour permettre une bonne représentation de tous les territoires, « sans faire de fétichisme sur un chiffre précis ».

Le gouvernement a proposé 244 sénateurs. Une quarantaine de départements ne disposeraient que d’un seul sénateur. Il faudrait qu’il n’y en ait qu’une quinzaine pour que la réforme soit acceptable, explique Catherine Procaccia. Ce qui correspondrait à environ 270 sénateurs.

Un autre point a soulevé une vive émotion au sein de la Haute Assemblée. Le projet de loi organique propose d’organiser un renouvellement intégral du Sénat en 2021, rallongeant d’un an le mandat de ceux qui ont été élus en 2014, mais réduisant de deux ans celui des autres.

Les responsables de la majorité sénatoriale reconnaissent le problème mais ne veulent pas en faire un casus belli pour l’instant. Bruno Retailleau a indiqué qu’il proposerait au gouvernement des mesures transitoires afin de permettre à la réforme d’entrer en vigueur sans heurts, sans pour autant raboter de manière trop importante le mandat des sénateurs.

L’inconnue du texte constitutionnel

Un autre sujet majeur n’a pour l’instant pas été abordé : le contenu du projet de loi constitutionnelle. Plusieurs articles ont été jugés « inacceptables » par Gérard Larcher. Sur cette question, les parlementaires ont une marge de manœuvre beaucoup plus importante, car c’est à eux qu’il appartient de voter et d’amender le texte du gouvernement.

Lors de ces débats, le gouvernement est privé de la plupart des outils qui assurent sa suprématie. Tous les amendements sont recevables, le gouvernement ne peut pas utiliser l’article 49-3 ni convoquer une commission mixte paritaire pour obliger le Parlement à conclure en donnant le dernier mot aux députés. Il est donc impératif d’arriver à un texte voté dans les mêmes termes par les deux assemblées, donnant de fait un droit de veto au Sénat.

Une arme au maniement délicat, reconnaît Françoise Laborde (RDSE), consciente, comme les autres sénateurs, qu’obliger le gouvernement à passer par un référendum serait à très haut risque pour la Haute Assemblée. La baisse du nombre de parlementaires et le non-cumul des mandats dans le temps sont des mesures populaires.

L’arme du calendrier

Le gouvernement n’est pas totalement désarmé pour autant, car il contrôle la date d’inscription des textes à l’ordre du jour. Les députés examineront seulement en juillet le texte constitutionnel. Les projets de loi organique et ordinaire, sur lesquels le gouvernement peut passer en force, étant renvoyés à l’automne.

La possibilité de faire passer la lecture du projet de loi constitutionnelle devant les sénateurs avant que les députés n’examinent les deux autres textes serait une épée de Damoclès. Cela permettrait à Emmanuel Macron de revenir éventuellement sur les engagements pris auprès de Gérard Larcher, le nombre de parlementaires, le mode de scrutin et le non-cumul dans le temps étant traités dans les deux textes organique et ordinaire.

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