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Pierrette et Raymond Delavet : 1.429 € de retraite par mois à eux deux. © MARQUET Frédéric
Sur la paille éparpillée dans l’étable, le tracteur McCormick F240 hors d’âge ne roule plus des mécaniques.
« Il a bien cent ans », exagère Raymond Delavet, 88 ans, dont une cinquantaine de labeur agricole. « Je l’avais acheté d’occasion, pour curer les vaches. »
En 2018, le vieux tracteur rouge est aussi fatigué que les retraités agricoles, qui touchent toujours une pension mensuelle inférieure au seuil de pauvreté.

« On vit chichement »
Chez les Delavet, à Montmorin, c’est Pierrette, 81 ans, qui tient les comptes : 859 € de retraite pour monsieur, 570 € pour madame. « On est dans la moyenne, certains gagnent encore moins, sans que l’on puisse vraiment expliquer pourquoi, confie cette combattante de 81 ans. Il faut jongler, faire attention. Disons que l’utile passe toujours avant le plaisir. On vit chichement, on n’a pas le choix. La revalorisation aurait permis d’atteindre 1.000 euros, pour les exploitants. Les conjointes, on aurait vu ça après. »
Membre de l’association départementale des retraités agricoles (Adra) depuis plus de vingt ans, Pierrette ne s’habitue toujours pas aux déconvenues. Après avoir vu la loi Chassaigne – qui proposait de revaloriser les plus faibles retraites de 75 % à 85 % du Smic – jetée aux orties, elle s’est fait un avis cinglant sur l’actuelle majorité. « Macron, on a l’impression qu’il fonce droit devant et ne regarde jamais les gens qui sont sur les côtés. »
??? Mercredi 16 mai 2018, le #Sénat n’a pas adopté la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de #retraites #agricoles en France continentale et les outre-mer.#ComAfSocSénat
Plus d’informations ?? https://t.co/gxa3A726fw pic.twitter.com/WJVbehGaPA
— Sénat (@Senat) 17 mai 2018
Au travail à 14 ans, « en sortant de l’école »
Pierrette et Raymond Delavet sont nés avant la Seconde Guerre mondiale, dans des familles d’agriculteurs, à Montmorin et à Égliseneuve-près-Billom, à quelques kilomètres. À 14 ans, « en sortant de l’école », ils commencent à travailler avec leurs parents.
Après le mariage, en 1956, Pierrette et Raymond se lancent comme exploitants agricoles, sur des terres des deux familles. « On avait 25 hectares en polyculture, avec une quinzaine de vaches laitières et une dizaine d’hectares en fermage. »Un peu de vignes, dont ils tiraient un vin à 10 degrés les bonnes années. Un hectare d’ail aussi, à ramasser à la main.
Pas de capital à faire fructifier à la retraite.

Notre fils Jean-Michel a repris l’exploitation, il nous rembourse les impôts. C’est facile de dire “les paysans ils ont, ils ont”. Mais si on vend tout, les enfants ont quoi ? Ceux qui n’ont personne derrière peuvent vendre pas ceux qui ont un fils qui veut reprendre ; on n’allait quand même pas lui dire “tu vas tout racheter !”.
« Un mépris total »
L’exploitation s’est agrandie. Leur fils, Jean-Michel, est passé aux vaches allaitantes, il voit arriver la retraite lui aussi. « Ça va être la même que la leur, dit-il. Mettre de l’argent de côté, on ne peut pas. Aujourd’hui, sans les femmes qui travaillent à côté je ne sais pas comment on ferait. »
Pierrette, est toujours restée à la ferme. « C’est un regret, admet-elle. On m’avait proposé de rentrer à l’hôpital de Billom, j’aurais dû le faire car j’aurais une meilleure retraite. Mais bon, on avait deux enfants petits, personne pour s’en occuper ; j’ai choisi leur éducation. »
Adra 63. C’est cette génération-là qui est la plus concernée par la faiblesse des pensions, selon Bernard Favodon, président depuis deux ans de l’Adra 63. « Pour ces gens qui ont travaillé dur, surtout ceux qui ont contribué à relever la France juste après la guerre, c’est d’un mépris total. Oui, c’est ça, on a ressenti du mépris. Dans le département, on a un millier d’adhérents et ils sont nombreux dans ce cas-là. » Lui aussi à la retraite, mais de la génération suivante, l’agriculteur des Combrailles pensait que la revalorisation était acquise, un an après un vote à l’unanimité à l’Assemblée nationale.
« Il faut bien que quelqu’un se batte pour gagner un petit peu plus »
Une fois à la retraite, Pierrette s’est engagée dans l’Association départementale des retraités agricoles : « C’est le montant des retraites qui m’a fait agir. Il faut bien que quelqu’un se batte pour gagner un petit peu plus. C’est comme ça depuis toujours : les syndicats les premiers n’ont jamais rien fait, si l’Adra ne s’était pas mobilisée au niveau national on n’aurait jamais rien gagné. On a récupéré petit à petit, 10 ou 15 euros par mois. Le plus que l’on a obtenu, c’était sous Jospin. »
Les retraités agricoles savent bien que le système par répartition est impossible pour les paysans : il y a moins de 500.000 actifs pour 1,4 million de retraités. « Aujourd’hui, on est déçu car on n’est pas arrivé à notre objectif, confie Pierrette. On ne peut pas comprendre que l’on ne prête pas plus attention à la situation des agriculteurs, on est vraiment comme des parias de la société. »