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Le culte du secret pour garder les privilèges

Lorsque l’IREF a publié son Etude sur les privilèges des fonctionnaires parlementaires, certains à l’Assemblée ont soutenu qu’il s’agissait de mensonges et de chiffres faux. Pour couper court aux critiques, nous nous sommes procuré et avons mis en ligne le rapport interne de l’Assemblée qui confirme la grande majorité de nos chiffres. Notre appel à la transparence et à la publication des vrais comptes de l’Assemblée vient d’être renforcé par ce nouveau rapport. Enregistré à l’Assemblée nationale le 13 juin dernier, établi par le député Joël Giraud, rapporteur général et le député Philippe Vigier, rapporteur spécial, il en dit long sur les pratiques de l’administration parlementaire et pose encore plus de questions sur ce qui se passe dans ce monde clos. Car, même lorsqu’un député mandaté par la commission des finances de l’Assemblée nationale – ayant pouvoir de contrôle sur pièces et sur place – veut connaître la vérité sur l’administration parlementaire, on lui refuse les documents qu’il demande ou on lui fournit des pièces qui n’ont rien à voir avec ce qu’il voulait obtenir pour réaliser son rapport ! Edifiant !

L’Assemblée fait de l’obstruction !

Faut-il encore préciser que le rapporteur spécial bénéficie, dans ce cas précis, d’un pouvoir proche de celui de la Cour des comptes ? Il peut aller dans n’importe quelle institution et réclamer tous les documents qu’il veut (bien sûr dans le cadre de son mandat). C’est ce qui s’est d’ailleurs passé, sauf à l’Assemblée nationale comme il est précisé dans l’introduction : « Votre Rapporteur a commencé ce travail de contrôle et d’évaluation dès le début de la législature aux côtés de Lise Magnier, députée de la Marne, qui poursuivra cette mission l’année prochaine. Partout, il a rencontré des interlocuteurs soucieux de répondre à ses questions, attentifs aux remarques ou critiques qu’il a pu formuler, jamais réticents à apporter des précisions complémentaires. À une exception notable, celle de l’Assemblée nationale, où il s’est heurté à toutes sortes d’obstacles. »

Après avoir passé en revue la Présidence de la république, le Sénat et les chaînes parlementaires, le Conseil constitutionnel et la Cour de justice de la république, le rapporteur s’est penché sur le budget de l’Assemblée nationale. Il a observé, entre autres, une hausse des dépenses liée surtout aux indemnités de licenciement des attachés parlementaire (changement de majorité en 2017) ainsi qu’à une caisse de pension des députés encore largement alimentée avec de l’argent public : « L’Assemblée nationale aura dû verser en 2017 une subvention d’équilibre de 43,13 millions d’euros à la caisse de pensions des députés, contre 36,73 millions en 2016, soit une hausse de 17,43 %. ». Concernant la fonction publique parlementaire, le rapporteur a pu établir que les rémunérations représentent environ 124 millions d’euros pour 1 200 employés (contractuels compris), ce qui revient à 100 000 euros par employé en moyenne. Mais il n’a pas pu obtenir ce qu’il voulait. Dans la partie intitulée « L’obstruction faite aux demandes du rapporteur spécial », il énumère les pièces demandées : « Liste des quarante premiers traitements de fonctionnaires ou de contractuels (cette demande ne vise pas à jeter l’opprobre sur les fonctionnaires ou contractuels qui en bénéficient mais à comprendre la manière dont sont construites ces rémunérations et à apprécier leur justification) ; liste des logements de fonction ; modalités de calcul des primes des fonctionnaires, leur régime de congés, leur temps de travail ; existence ou non d’un compte épargne-temps ; rémunération du déontologue de l’Assemblée nationale, nature et coût des moyens qui lui sont attribués ; – liste des dix voyages ou déplacements les plus coûteux en 2017 ; liste des dix réceptions et événements les plus coûteux en 2017 ; liste détaillée et chiffrée des appartements accordés aux questeurs (véhicules, appartements de fonction, personnel) et utilisation de ces moyens en 2017, avec notamment le taux d’occupation des appartements de fonction ; note sur le fonctionnement de l’association pour la gestion des restaurants administratifs de l’Assemblée nationale (AGRAN) ; liste des dix premiers contrats de prestataires (il s’agit ici pour votre rapporteur spécial de s’assurer que l’Assemblée nationale, qui impose des règles strictes aux entreprises et aux collectivités territoriales en matière de marchés publics, se conforme à ces mêmes règles avec rigueur) ; Hôtel de Broglie : éléments sur la négociation du prix d’achat et l’évaluation du prix des travaux. ».

L’administration parlementaire est au-dessus des lois

L’administration n’a fourni que des réponses « dans leur grande majorité lacunaires ou imprécises [et qui] ne sont parvenues que plus d’un mois après. » Probablement épuisée par cet effort, elle n’a même pas répondu à une nouvelle liste de questions. Pas plus que le président de l’Assemblée François de Rugy, sollicité par le rapporteur spécial. Pire encore, le président de Rugy invoque un échange de courrier avec les questeurs qui, se référant au règlement interne de l’Assemblée, mettent, étrangement, en doute le rôle de ce rapporteur. Un rôle dont les questeurs du Sénat, eux, n’ont pas douté. Le règlement de l’Assemblée nationale aurait donc une valeur juridique supérieure à celle de la LOLF[1] ! Opacité totale, refus de communiquer les documents internes, la fonction publique parlementaire a beaucoup à cacher et vit au-dessus des lois. Imaginons qu’il s’agisse d’une entreprise privée : pourrait-elle cacher ses comptes et refuser de communiquer les documents demandés par l’URSSAF ou les inspecteurs des impôts ??

Ce rapport du député Philippe Vigier est la preuve éclatante que l’administration de l’Assemblée veut garder intact son monde de privilèges. Son mépris pour les élus du peuple est encore plus inquiétant dans une démocratie comme la nôtre. La transparence et la réforme sont vraiment nécessaires.

IREF Europe