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Les leaders européens sont réunis à Bruxelles pour un sommet de crise consacré à la migration. L’Italie, où l’extrême droite est arrivée au pouvoir, menace de bloquer la rencontre s’il n’est pas fait droit à ses demandes. La chancelière allemande Angela Merkel est dos au mur, exposée à un durcissement de son alliée, la CSU bavaroise. Le président du Conseil européen Donald Tusk plaide pour la création de centres de rétention de migrants hors de l’UE.
Les dirigeants européens avaient prévu de consacrer ce sommet d’été à des avancées concrètes sur la défense, le Brexit, la migration, l’économie, la croissance et l’emploi. Leurs illusions sont retombées après l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite en Italie. Depuis début juin, le gouvernement populiste de Giuseppe Conte s’applique à raviver la crise politique autour des questions migratoires, et ce malgré une chute des arrivées de migrants en Europe de 95% en deux ans, à des niveaux inférieurs à la crise migratoire de 2015.
Le Premier ministre italien est arrivé ce jeudi à Bruxelles en menaçant de bloquer les conclusions du sommet européen s’il n’était pas fait droit à ses demandes. « L’Italie n’a plus besoin de signes verbaux, nous attendons des actes », a dit Giuseppe Conte. Si le pays, dirigé par la Ligue et le mouvement M5S, n’a pas ce qu’elle demande, « il n’y aura pas de conclusions partagées à la fin du Conseil ». L’Italie veut, entre autre, que d’autres Etats européens s’engagent lors de ce sommet à ouvrir leurs ports aux migrants traversant la Méditerranée. Un chantage qui risque de paralyser le sommet.
Il faut sauver la chancelière Merkel
Ce sommet est crucial pour la chancelière Angela Merkel, confrontée à des tensions avec son alliée la CSU bavaroise. Le ministre allemand de l’Intérieur, Horst Seehofer, président de la CSU, veut, avant la fin du mois, fermer les frontières de l’Allemagne aux migrants enregistrés dans les autres Etats européens si l’Europe ne s’engage pas à limiter leurs déplacements. Une telle décision déstabiliserait le gouvernement allemand et affaiblirait encore plus l’Union européenne confrontée à la montée des partis populistes.
Mme Merkel ne peut se permettre de rentrer à Berlin les mains vides. « L’Europe a beaucoup de défis mais celui lié à la question migratoire pourrait décider du destin de l’Union européenne », a prévenu Angela Merkel.
« Un certain nombre de pays utilisent le dossier migration pour mettre en cause l’Europe »
La question migratoire sera abordée pendant le dîner. « Ce sera très lourd, cela nous prendra une bonne partie de la soirée », dit un diplomate européen. Le risques est grand de voir ce sommet paralysé par les exigences du camp des « durs », composé de l’Italie, de l’Autriche et des pays de Visegrad (Pologne, Hongrie, Slovaquie et République tchèque). Ces Etats ont en commun d’être dirigés par des gouvernements eurosceptiques et illibéraux. Le risque est réel de voir certains pays rétablir les contrôles aux frontière, ce menacerait directement le marché intérieur. « Un certain nombre de pays utilisent le dossier migration pour mettre en cause l’Europe », regrette un diplomate européen.
Giuseppe Conte maintiendra-t-il son chantage durant tout le sommet, ou cédera-t-il du terrain? L’homme, issu du parti populiste M55S, est réputé moins radical que son ministre de l’Intérieur Matteo Salvini (la Ligue, extrême droite).
Le Premier ministre belge Charles Michel a appelé jeudi en début de soirée à trouver un accord sur trois points clés: le contrôle des frontières, le soutien aux pays tiers d’où proviennent les migrants et la solidarité entre Etats européens. « Il y a, à mes yeux, nécessité d’avoir un accord global sur ces trois priorités », a-t-il dit.
La réforme de Dublin dans l’impasse
Selon un projet de conclusions obtenu par L’Echo, les Vingt-huit affirment qu’ils « continueront à soutenir l’Italie et les autres Etats membres en première ligne » des flux migratoires. Les chef d’Etat ou de gouvernement vont tenter de s’accorder sur la volonté de bloquer la migration illégale aux frontières de l’UE, à défaut de progresser sur le volet technique du droit d’asile.
« C’est une chose de faire des grandes déclarations, c’est autre chose d’aller dans le détail »
Le règlement de Dublin, qui détermine le droit d’asile, doit être réformé depuis trois ans afin de correspondre à la réalité des flux migratoires. Le projet de conclusions du Conseil mentionne les « progrès » réalisés sous présidence bulgare de l’UE. Mais les dirigeants ne progresseront pas ce soir sur la réforme de cette législation, au grand regret des » sherpas » européens qui tentent, jour après jour, de démêler l’écheveau. « C’est une chose de faire des grandes déclarations, c’est autre chose d’aller dans le détail » estime ce diplomate.
Le système de Dublin prévoit que l’Etat d’arrivée du migrant doit instruire la demande d’asile du début à la fin. L’Italie, en première ligne de ces arrivées, exige que cette disposition soit supprimée. « C’est hors de question pour nous, la géographie est ce qu’elle est « , dit une source diplomatique.
Plateformes de débarquement
L’essentiel des discussions entre dirigeants portera sur la protection des frontières extérieures de l’UE. Toute idée de refoulement pur et simple des migrants (« push back »), chère aux camp des « durs », devrait être rejetée.
Le président du Conseil européen Donald Tusk suggère plutôt de se concentrer sur la création de « plateformes de débarquement » hors de l’Union européenne destinées aux migrants secourus en mer. Ces centres de rétention seraient installés en concertation avec les Nations unies (UNHCR) et l’Organisation internationale pour les Migrations (OIM). « L’alternative à cette solution serait une fermeture chaotique des frontières, aussi à l’intérieur de l’UE, ainsi que des conflits entre Etats membres », avertit Donald Tusk. Le Premier ministre Charles Michel y est également favorable. L’idée, proposée en 2015 au plus fort de la crise par le Premier ministre hongrois Viktor Orban et rejetée illico, semble désormais réunir un consensus.
Ces centres opéreraient un tri entre migrants économiques et réfugiés. Les premiers seraient rapatriés dans leur pays d’origine par l’Union européenne, les autres seraient installés en Europe. Selon le chancelier autrichien Sebastian Kurz, en coalition avec l’extrême droite, ces plateformes permettraient de « briser l’activité économique des trafiquants ».
Plusieurs questions restent en suspens. Combien de temps les migrants pourront-ils être revenus ? Quels pays africains ou européens accepteront d’accueillir ces camps ? L’Albanie et la Tunisie ont décliné. » ’est envisageable, mais uniquement en Libye car le gouvernement nationale est évanescent », dit une source.
Accords sur les mouvements secondaires
Lors du « mini-sommet » de dimanche dernier, Angela Merkel a encouragé la conclusion d’accords bilatéraux entre les Etats européens pour limiter les mouvements de migrants intra-européens. Plusieurs dirigeants européens ont soutenu cette idée lors de leur arrivée au sommet (Grèce, Espagne, Finlande, Luxembourg). La France serait d’accord pour conclure un tel accord bilatéral avec l’Allemagne, selon plusieurs sources.
Dans le projet de conclusions, les Vingt-huit reconnaissent « les mouvements secondaires » de migrants qui « menacent l’intégrité de l’acquis Schengen » et du droit d’asile européen. Les Etats européens sont invités à « prendre toutes les mesures légales et administratives » pour contrer ces mouvements et à coopérer entre eux.
Les dirigeants devraient également se mettre d’accord sur une coopération accrue avec les pays d’origine des migrants, principalement africains, afin de prévenir une future vague migratoire. Des ressources devront être prévues à cet effet dans le prochain budget de l’UE (2021-2027).
A court terme, la Commission européenne demande aux Etats de s’engager à verser 500 millions d’euros d’aide aux pays africains.
Charles Michel place les Diables rouges
Dans ce climat de crise, le Premier ministre Charles Michel a tenté de détendre l’atmosphère en remettant un maillot des Diables rouges à la Première ministre britannique Theresa May, qui s’est montrée ravie du geste. Il a également offert des écharpes de l’équipe belge à Jean-Claude Juncker, au dirigeant néerlandais Mark Rutte, au Luxembourgeois Xavier Bettel et à l’Irlandais Leo Varadkar.