Étiquettes

, , ,

Par Guillaume Weill Raynal

Chaque jour, dans certains médias et sur les réseaux sociaux, l’islamophobie gagne du terrain. La publication par Yves Mamou sur Facebook, le 1er août, d’un article abject n’en est qu’un exemple caricatural, mais révélateur.

 

Un mot, d’abord, sur cette expression « Judéo-facho-sphère », qui peut paraître provocatrice et outrancière, mais que j’assume pleinement. Le courant néoconservateur, on le sait, n’est pas sans lien avec la communauté juive et les réseaux pro-israéliens, que ce soit en France ou aux Etats-Unis. Le soutien inconditionnel à la politique israélienne a beaucoup contribué à fédérer des milieux hétéroclites, parfois issus de la gauche libérale qui, via la critique de certaines dictatures du tiers-monde, comme on disait alors, ont progressivement évolué vers une adhésion aux thèses très droitières sur le choc des civilisations, pour aboutir finalement à un racisme antimusulman totalement décomplexé. L’article d’Yves Mamou, publié le 1er août dernier sur Facebook apparait à cet égard comme un cas exemplaire.

Yves Mamou n’est pas n’importe qui. Il a été journaliste durant plusieurs années à la rubrique Economie du Monde. Il est régulièrement invité sur les plateaux de la chaine israélienne francophone i24. Sa page n’est pas réservée à quelques internautes triés sur le volet. Elle est entièrement publique et compte plus de deux mille amis. Les publications quotidiennes qui y figurent font donc partie intégrante d’un débat public qu’elles contribuent à nourrir et à influencer.  Il signe par ailleurs un livre, à paraître en septembre prochain, intitulé Intelligence avec l’ennemi, qui entend dénoncer une prétendue complicité des élites françaises avec l’islamisme. Un islamisme compris… au sens large. L’éditeur n’a pas encore fait connaitre le texte de la quatrième de couverture, mais Mamou l’a publié, toujours sur son mur Facebook, en juillet dernier :« L’islam et l’islamisme se propagent en France avec une facilité déconcertante : la multiplication du nombre de mosquées, de femmes voilées ou de commerces halal modifient à grande allure les paysages urbains. L’immigration musulmane augmente, le terrorisme islamiste meurtrit la nation mais la justice pourchasse comme raciste la moindre déclaration « islamophobe » ». Tout dans la nuance.

Le 1er août, donc, Yves Mamou publie sur sa page Facebook un article consacré à… l’affaire Benalla.[1] Mais pas seulement. Dès la troisième ligne, il assène : « Tout le monde s’acharne sur Benalla sans voir que le vrai problème est la singulière alliance stratégique des élites françaises et des racailles immigrées ». Les racailles immigrées… vous avez bien lu. Benalla n’est pas seul en cause, et Yves Mamou passe sans ciller de l’erreur de casting individuelle à une espèce de théorie du complot collective et communautariste où « les vainqueurs de la mondialisation » (dont Macron serait le plus éminent spécimen), espèce hors-sol déconnectée des français « de souche », aurait noué une alliance criminelle avec « la banlieue »…

Parmi les « racailles immigrées », une cible de choix : Hakim el Karoui. Peu connu du grand public, ce français d’origine tunisienne, n’est pas à proprement parler le représentant le plus emblématique de la banlieue ni des milieux « islamo-gauchistes ». Né à Paris en 1971, d’un père tunisien qui enseigna l’anthropologie à la Sorbonne et d’une mère lorraine – une française « de souche » – qui fut professeur de mathématiques financières à l’Ecole Polytechnique, il est lui-même agrégé de géographie, a occupé au début des années 2000 les fonctions de conseiller technique auprès du premier ministre Jean-Pierre Raffarin puis de Thierry Breton, ministre des finances. Il conseille aujourd’hui Emmanuel Macron sur les questions touchant à l’islam de France, après avoir rédigé un rapport sur ce sujet pour le compte de l’Institut Montaigne, dans lequel il insiste tout particulièrement sur la nécessité de détourner les musulmans de France des sirènes du salafisme

Un CV qui n’impressionne nullement Yves Mamou. Agrégé ou pas, un musulman reste un musulman. « Hakim el Karoui, c’est la banlieue qui a réussi, qui doit tout à la République, mais ne s’en sent en rien redevable ». Un musulman ne saurait devoir sa réussite à son travail et à son mérite personnel. L’origine étrangère d’une partie de ses ancêtres doit sans cesse lui être jetée au visage pour mieux lui faire comprendre à quel point il doit se sentir redevable d’une République qui – si l’on a bien compris – ne serait jamais vraiment la sienne. Sa réussite est le symptôme même de son ingratitude, dût-on pour nourrir l’accusation, en passer par le pur procès d’intention : « Il pense même que la République l’a frustré d’une chose essentielle : l’exercice du pouvoir ». Un musulman ne saurait en effet occuper la place d’un conseiller de l’exécutif sans être coupable par essence : « Hakim el Karoui et Benalla c’est la conquête ethnique du pouvoir qui trouve plus facile de s’allier aux holdupeurs du pouvoir style Macron pour prendre les postes, installer l’islam et les Frères Musulmans comme une « république » dans la République. ». Est-il besoin de préciser qu’Hakim el Karoui n’a jamais prononcé un seul mot ni écrit une seule ligne qui puisse fonder de telles accusations, dont le rare degré de haine et de violence gratuites font étrangement penser aux attaques antisémites des années 30, ou des années 50, comme celles qu’ont subies, en leur temps Léon Blum ou Pierre Mendès-France.

36 heures après sa mise en ligne, le billet d’Yves Mamou avait été « liké » 137 fois et fait l’objet de 59 partages. Parmi les commentaires élogieux, celui de Sarah Cattan, journaliste à Tribune Juive :« Bravo Yves, tu as dressé la plus pertinente analyse à ce jour sur le sujet ».

[1] Mur Facebook d’Yves Mamou, publication du 1er août à 10.16 https://www.facebook.com/profile.php?id=581049816

 

https://blogs.mediapart.fr/guillaume-weill-raynal/blog/


 

Droit de réponse

Réponse d’ Yves Mamou à la publication de cet article

Guillaume Weill Raynal se livre à une attaque en règle contre ma personne et mes billets FB… sur Mediapart. Je serais raciste et je verserais dans un « racisme antimusulman délirant ». Elisabeth Badinter a expliqué une fois pour toutes qu' »Il faut s’accrocher et il ne faut pas avoir peur de se faire traiter d’islamophobe, qui a été pendant pas mal d’années le stop absolu, l’interdiction de parler et presque la suspicion sur la laïcité. A partir du moment où les gens auront compris que c’est une arme contre la laïcité, peut-être qu’ils pourront laisser leur peur de côté pour dire les choses (Marianne, 6 janvier 2016). »

Alors je m’accroche. Non, je ne suis pas raciste et l’accusation d’islamophobie ne me fera pas cesser de défendre la laïcité. Car la laïcité, c’est l’espace de la citoyenneté, l’espace ou chacun peut intervenir quelle que soit la couleur de sa peau, quelle que soit sa religion.L’appartenance ethnique et la religion ne sont pas des éléments d’individuation que la République reconnait. Je ne reconnais pas le droit aux musulmans d’intervenir en tant que musulmans dans l’espace de la citoyenneté, je ne leur reconnais pas le droit de revendiquer le foulard islamique à l’école – ou la kippa à l’école pour les juifs -, je ne reconnais à aucune communauté religieuse ou ethnique un droit spécifique dans une République de citoyens qui ne reconnait que des individus pour autant que ces individus adhèrent au pacte républicain.

Guillaume Weill Raynal m’attaque parce que je m’en prends à Hakim el Karoui qui conseille Macron et lui recommande de rompre définitivement avec la loi de 1905 sur la laïcité pour instituer un soit disant « islam de France ». Oui, je suis indigné qu’Hakim el Karoui dont le parcours scolaire et professionnel illustre la valeur et les valeurs de la méritocratie républicaine – laquelle ne bride personne en raison de sa race ou de sa religion – puisse formuler de telles recommandations. Je suis indigné que l’étude de l’Institut Montaigne patronnée par Hakim el Karoui soit titrée « un islam français est possible » alors que chaque ligne de l’étude démontre que la majorité des Français musulmans est en sécession politique et islamique avec la République et la laïcité.

Je suis indigné qu’Hakim el Karoui ait fondé le « Club XXI », un club qui sélectionne ses membres sur la couleur de la peau et/ou leur appartenance à l’islam et/ou leur compte en banque. Le Club XXI c’est « l’élite de la diversité » (Vanity Fair, l’Elite de la diversité fête ses 10 ans, 23 mars 2015) et aussi le SOS Racisme de la haute, c’est un lobby de « racisés » qui ont réussi socialement et qui se donnent pour but d’ethniciser les relations sociales et professionnelles. Le Club XXI est un lobby ethnique anti-laïque.

Le Club XXI est aussi un outil de conquête ethnique du pouvoir. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Chenva Tieu, autre membre fondateur du Club XXI: « Plusieurs d’entre nous étaient dans les cabinets, l’info nous remontait, on avait l’impression d’être au cœur du système. On était des apprentis manipulateurs et en même temps des idéalistes : on n’était là ni pour pleurnicher sur les ratés de l’intégration ni pour faire des affaires. On voulait prendre le pouvoir». (Vanity Fair, l’Elite de la diversité fête ses 10 ans, 23 mars 2015).

Oui, je suis indigné que des personnes à qui la République a ouvert tant de portes se regroupent pour refermer ces mêmes portes au nom d’un « racisme » dont ils n’ont jamais souffert.

Je ne suis pas raciste, je suis indigné que l’antiracisme serve à promouvoir la race comme une valeur politique qui détruit les bases mêmes du débat politique et citoyen.

Cette attaque de Guillaume Weill Raynal me rappelle aussi qu’il faut moins écrire à l’emporte pièce et qu’on ne peut pas faire l’économie de la preuve. Je remercie tous ceux qui auront eu la patience de lire ce post jusqu’au bout. »