Avec la réforme sur le chômage, le gouvernement poursuit-il dans cette voie en se disant que c’est sa pente naturelle ou bien considère-t-il au contraire qu’il faut rééquilibrer parce qu’il a perdu tout un pan de son électorat initial ?
Crédit Antti Aimo-Koivisto / Lehtikuva / AFP
Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.
Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie,
48% des Français considèrent que « compte tenu du nombre élevé de chômeurs, il faut baisser le montant des allocations versées aux chômeurs et raccourcir la période d’indemnisation de manière à inciter les chômeurs à rechercher plus activement du travail » soit 6 points de moins qu’en 2014 et 2 points de moins qu’en 2016. Comment appréhender un tel sondage à l’aune du libéralisme prôné par Emmanuel Macron ?
Jérôme Fourquet : On est très clairement sur un sujet qui permet de structurer assez fortement le paysage électoral selon un clivage gauche-droite, dont on dit souvent qu’il est dépassé. Lorsque vous regardez l’électorat de Mélenchon ou de Hamon, c’est entre 20 et 30% qui pensent qu’il faut baisser le montant des prestations, contre quasiment la même proportion qui pensent qu’il ne faut pas la baisser dans l’électorat de Fillon. On est donc à fronts renversés. Ce qui intéressant, c’est que l’électorat de Macron, lui, était coupé en deux (54-46), mais lorsqu’on regarde ce que ça donne aujourd’hui sur ceux qui se déclarent « En Marche », critère de la proximité politique, c’est du 69-31.
Il y a donc un déplacement du centre de gravité. Cela veut dire que toute une partie de ceux qui pensaient qu’il ne faut pas le baisser sont partis. Il y a une droitisation de la base électorale d’En Marche. Peut-être même que certains n’avaient pas voté pour E. Macron, mais à droite, et qu’inversement certains hollandais ayant voté pour lui rejettent aujourd’hui son libéralisme et ne se disent plus « En Marche ». Un delta aussi important entre le vote de 2017 et la proximité politique aujourd’hui n’existe que chez Macron, partout ailleurs il est stable.
C’est la question qui se pose à propos du libéralisme de Macron : est-ce que le gouvernement poursuit dans cette voie en se disant que c’est la pente naturelle, et que son électorat répond présent, ou bien qu’il faut rééquilibrer parce qu’il a perdu tout un pan de son électorat initial ?
Comment analyser les causes de la forte baisse de la popularité d’Emmanuel Macron, enregistrée depuis cet été 2018, entre le manque de résultats économiques – aussi bien concernant la croissance que le chômage – et les problématiques liées à la personnalité même d’Emmanuel Macron ?
Christophe Boutin : La baisse d’Emmanuel Macron dans les sondages est sans doute à la hauteur de l’espérance suscitée par son apparition sur la scène politique française, et plusieurs éléments permettent de saisir cette évolution.
Le premier est conjoncturel : tous les derniers présidents le la République ont connu une forte baisse un an après leur élection. C’est que l’on n’est plus alors dans le temps électoral, et que l’on commence à voir la réalité de la politique menée par rapport aux promesses de campagne.
Pour autant, si l’on prend les deux derniers présidents, Nicolas Sarkozy et François Hollande, on constatera que leur tassement était du à des motifs différents. Le premier, volontiers clivant, avait déçu son électorat, très enraciné à droite puisqu’il avait réussi à reconquérir des électeurs partis au Front National, en se refusant à mener cette politique sécuritaire dont il s’était fait le représentant musclé quand il était ministre de l’Intérieur, en ne traitant ni les angoisses identitaires ni la question de l’immigration, et en se lançant dans une bien inutile politique d’ouverture. Le second, élu en grande partie sur la détestation de son prédécesseur, allait décevoir son électorat de gauche en se limitant à des réformes sociétales… qui le séparaient définitivement d’un électorat de droite, le tout sous couvert d’une bonhomie peu compatible avec l’image que les Français se font du Chef de l’État de la Cinquième république.
Emmanuel Macron avait promis de réformer la société française, de lui donner un nouvel élan, de briser les vieux cadres en faisant éclater les vieux partis et en remplaçant le plus largement possible un personnel politique démonétisé par les « jeunes pousses » et « premiers de cordée » de la société civile. Et, de fait, ces engagements ont été tenus, y compris par le rythme des réformes – même s’il faut tenir compte ici de leur promotion.
Pour autant, que constatent les Français ? D’abord, comme vous le signalez, un impact des plus ténus en termes de chômage – même si l’on sait maintenant qu’il suffit de traverser la rue pour trouver un emploi. Une croissance atone, très en dessous de celle de nos principaux partenaires. Ensuite la braderie permanente des « bijoux de famille » pour tenter d’éviter la pure et simple faillite : autoroutes, immobilier (c’était, il est vrai, avant Macron), aéroports, barrages, et jusqu’à la Française des jeux, tout ce qui peut être vendu aux intérêts privés – autrement dit tous ces investissements qu’avaient fait des générations de contribuables français et qui s’avéraient rentables – est bradé dans des conditions pitoyables. C’est encore le racket financier de catégories qui constituaient un socle essentiel de notre société, les « classes moyennes », celles qui, autrefois, étaient l’objectif des « classes populaires » et qui, de nos jours, de déclassement en déclassement, les rejoignent dans une même précarité. Au profit de qui ? Nul ne peut nier que, loin devant les plus pauvres, les plus riches de la « super classe » ont obtenu de substantiels avantages. Sur le plan sociétal et plus seulement économique enfin, c’est le déni des valeurs de la famille ou de la propriété foncière, la haine de l’héritage et la prime au multiculturalisme nomade.
Et lorsque les citoyens se montrent chagrinés par ce dépeçage de leur pays, Emmanuel Macron leur répond qu’il est encore bien bon d’accepter de s’occuper du bien-être de quelques Gaulois réfractaires, n’ayant d’yeux que pour l’Union européenne
C’est d’ailleurs un autre facteur de cette baisse de popularité, que vous évoquez. Il y avait effectivement, les sondages le marquaient bien, l’attente d’un Chef de l’État qui s’impose, avec une certaine autorité. Le style d’Emmanuel Macron, qui cache mal sous une certaine décontraction une volonté affirmée, a donc initialement convenu, et on lui a alors pardonné certaines formules à l’emporte pièce qui ont été peu commentées, ou ont juste fait sourire. Un an après, alors que les résultats ne sont pas là, et que nous avons connu l’évolution évoquée, le même style, inchangé, est perçu de manière différente : le volontarisme devient autoritarisme, l’affranchissement des contraintes mépris de la loi, et la distance est perçue comme arrogante au lieu d’être souveraine. Cette évolution de la perception de l’image, elle-même assez nette dans les sondages, explique donc elle aussi la baisse constatée.
En quoi cette conversion idéologique du pays, souhaitée par Emmanuel Macron peut-elle être « menacée » pour les mêmes raisons ? En quoi la crédibilité des « élites » qui ont pu soutenir presque unanimement Emmanuel Macron peut-elle être affectée par ce manque de résultats, et ce, au delà même des frontières du macronisme ?
Christophe Boutin : Emmanuel Macron a choisi de diriger le pays à l’aide d’un réseau de conseillers qui, de l’Élysée, pilotent des ministères confiés à des zombies et font avaliser les réformes par des parlementaires aux ordres. Qu’en penser ?
Il est clair, tout d’abord, que lorsqu’il s’agit d’imposer un train rapide de réformes indispensables, il faut gagner du temps, resserrer les équipes et éviter les inutiles digressions ou effets de tribune.
Clair aussi que, de tous temps, certains ministres, et pas les moindres, sont d’inoffensives potiches qui jouissent des ors de la République en laissant leur administration organiser – sinon décider.
Mais, classiquement, restaient quand même, au gouvernement ou dans les chambres, des « figures » de la majorité présidentielle, des « barons » clairement identifiés. Ici, plus rien. À part Jean-Michel Blanquer, pas une tête ne dépasse dans un gouvernement où les ministres sont plus que jamais aux ordres de l’Élysée et conviés à ne pas faire d’ombre à son hôte. L’effacement, pour ne pas dire la disparition d’un Jean-Yves Le Drian, ministre essentiel de la Défense sous Hollande et fantomatique ministre des Affaires étrangères sous Macron, en est un exemple frappant.
Par ailleurs, s’il y a toujours eu des conseillers influents, le macronisme se caractérise par le remplacement d’une haute administration de tradition nationale – on aurait envie de dire d’esprit colbertiste – de « grands serviteurs de l’État », au profit de jeunes pousses évoluant dans le flou qui existe trop souvent entre public et privé, servant aujourd’hui l’État et la loi avant, le lendemain, de mettre compétences et carnet d’adresse au profit de sociétés privées qui cherchent à échapper à cette même loi, et nourris de « stratégies de communication ». On mesurera la distance.
Enfin, les « winners » de la société civile installés au Parlement, qui devaient révolutionner la politique, accumulent bourdes sur bourdes, mêlant lâchetés et suffisance, et les jeux d’appareil de LaREM sous Ferrand n’ont rien à envier aux plus louches conbinazione des assemblées de toujours.
Pour soutenir la crédibilité de ces « élites » autoproclamées, qui semblent bien n’être que des oligarchies sans scrupules, il faut tout le savoir-faire de la communication, la caisse de résonnance des médias et, parfois même, des lois permettant d’éviter les critiques et des juges prêts à les appliquer sans états d’âme.

