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Le droit d’asile dans l’Union européenne (UE) est en danger. Quatre millions de
demandes d’asile ont été déposées en Europe entre 2013 et 2017. Si les flux
ont diminué depuis, les tensions politiques entre États membres, elles, n’ont
pas cessé d’augmenter et de s’aiguiser, poussant l’Union au bord de la désunion. A quelques mois des élections européennes, le rapport conjoint de l’Institut Montaigne et de Terra Nova appelle à une refonte de la politique européenne
de l’asile et à une réponse rapide et solidaire à l’urgence humanitaire en Méditerranée. Notre exigence commune est ici de marier le plus étroitement possible humanisme et réalisme, dignité et efficacité, afin de sortir d’un jeu politique pervers où les promesses toujours plus nombreuses de fermeté, voire de
fermeture, sont en réalité complices du plus grand désordre et d’un sourd reniement.
Le droit d’asile moderne est né en Europe sur les décombres de la Seconde Guerre mondiale et à l’ombre de la « Guerre froide ». Près de soixante-dix ans plus tard, notre continent est confronté à une nouvelle urgence humanitaire. Au Proche
et au Moyen Orient, en Afrique de l’Est, des conflits poussent une partie des populations à s’exiler et à demander l’asile sur notre sol. Dans le même temps, on observe une hausse des demandes en provenance de pays stables, voire sûrs, une partie des migrants économiques empruntant la voie de l’asile, faute
d’autres solutions légales pour entrer et séjourner sur le sol européen. Face à cette situation, le système européen montre chaque jour davantage ses limites.
Si tous les États membres ont ratifié la Convention de Genève,on constate de très fortes disparités dans son application entre les pays et les périodes, créant une véritable « loterie de l’asile » pour les demandeurs. Quant au système de Dublin, qui oblige les demandeurs d’asile à s’adresser exclusivement au pays
de leur première entrée sur le sol européen, il fait aujourd’hui reposer sur quelques pays – Italie, Grèce et Malte, en particulier – un poids disproportionné dans leur accueil et leur traitement.
Par ailleurs, il favorise les « mouvements secondaires » entre les pays de l’Union, développe les situations de quasi-clandestinité, au détriment des demandeurs et du bon fonctionnement des autorités nationales, puisque les procédures de renvoi entre États membres sont longues et le plus souvent mises en échec.
Enfin, il conduit à la multiplication des comportements non coopératifs et à la montée des tensions entre les États membres.
Les solutions proposées jusqu’ici pour répondre à ces difficultés sont insuffisantes et, pour certaines, inacceptables. Celle qui consiste à « externaliser » le traitement d’une partie des demandes d’asile à des pays tiers situés aux frontières de l’Europe ne conduirait qu’à différer la difficulté, nous placerait
dans une situation de dépendance, voire de possible chantage vis-à-vis de ces pays, et, surtout, ne correspondrait ni aux valeurs européennes, ni au texte de la Convention de Genève.
Quant à celle qui repose sur une meilleure répartition de la charge des demandeurs et des réfugiés entre les États membres en cas de crise, elle n’a tout simplement pas fonctionné : si une large partie des États ont accepté d’accueillir des demandeurs faisant l’objet du mécanisme de réallocation décidé en 2015
au plus fort de la crise, certains pays, notamment ceux du groupe dit « de Visegrád », s’y sont catégoriquement opposés, en contradiction avec le principe de solidarité européenne.
La situation actuelle fait clairement le jeu de certains gouvernements ou partis politiques qui, loin de rechercher de nouvelles solutions, misent sur l’aggravation de la crise et sont prêts à sacrifier la cohésion européenne à leurs intérêts
électoralistes. Pour sortir de cette impasse, le présent rapport formule seize propositions, réparties selon 6 axes :
Axe n° 1 : Réformer en profondeur les procédures du droit d’asile en Europe
Pour empêcher toute interférence politique, chaque État membre devra transformer en agence indépendante l’autorité nationale en charge des demandes d’asile. Concernant le règlement de Dublin, la clause du pays de première entrée
devra être supprimée, permettant à chaque demandeur d’asile de solliciter la protection de l’État de son choix, mais les demandes multiples seront interdites. Enfin, pour coordonnerces agences nationales, un Office du droit d’asile en Europe

(ODAE) devra être créé, afin d’harmoniser progressivement leurs pratiques décisionnelles.
Axe n° 2 : Créer une solidarité effective entre les États membres
Pour répondre à toute situation de crise, l’ODAE, assisté d’un comité des représentants des autorités nationales, aura la responsabilité de réallouer les dossiers à instruire entre États membres et, s’agissant des réfugiés, d’assurer une répartition équitable des efforts entre États européens, à la lumière de
leur population, de leur PIB par habitant et de leur taux de chômage.
Axe n° 3 : Confier à l’UE un rôle plus important dans la gestion des relations avec les pays d’origine et de transit
Il est indispensable de renforcer le rôle de l’UE s’agissant des procédures de renvoi des déboutés, en mobilisant les moyens de Frontex, ainsi que, en coopération étroite avec les États membres, dans la négociation des accords de réadmission avec les pays d’origine. S’agissant des pays de transit, cela
rendrait plus aisée la conclusion d’accords de partenariat pour faciliter un accueil des migrants respectueux de la dignité humaine, mettre en place des actions de formation et d’orientation, et sécuriser le parcours des demandeurs d’asile
vers l’Europe (procédure de réinstallation avec le HCR).
Axe n° 4 : Créer un socle commun de droits pour les réfugiés et les demandeurs d’asile
Les demandeurs d’asile doivent pouvoir accéder à l’emploi au plus tard trois mois après le dépôt de leur demande. Pour faciliter leur insertion, une meilleure coordination de l’action des travailleurs sociaux, des bénévoles et des administrations est indispensable. Enfin, les réfugiés doivent bénéficier d’un
droit de séjour et d’établissement dans tout État membre, liberté essentielle au sein de l’UE, sans pouvoir prétendre au transfert du bénéfice des aides sociales spécifiques au statut de réfugié accordées par le pays qui a accordé la protection.
Axe n° 5 : Mobiliser le budget de l’UE et surmonter les blocages politiques
L’UE devra porter l’essentiel des coûts de la politique du droit d’asile en Europe et en particulier les CEAT (voir axe suivant) et les procédures de retour des déboutés. Les États membres qui refuseraient de participer aux mécanismes de réallocation pourront être pénalisés financièrement et, si nécessaire, les
États les plus volontaires pourront décider d’intégrer leurs politiques d’asile dans une coopération renforcée ou des conventions ad hoc
.
Axe n° 6 : Adopter des mesures d’urgences pour faire face à la crise humanitaire en Méditerranée
Pour répondre à la situation d’urgence actuelle, il convient de créer dans les pays de l’UE ayant une façade méditerranéenne, des centres européens d’accueil et de traitement (CEAT) où les demandes d’asile des secourus en mer seront traitées
dans des délais très courts. Les personnes qui y seront accueillies pourront solliciter l’asile dans l’État membre de leur choix, sous réserve d’éventuelles péréquations (voir axe n° 2). Dans chaque CEAT, des bureaux des autorités nationales instruiront les demandes d’asile des personnes présentes et
assureront le transfert des bénéficiaires de protection vers le pays de l’Union qui la leur aura accordée.
  • Thierry Pech, directeur général, Terra Nova (co-président)
  • Jean-François Rial, président directeur général, Voyageurs du Monde, membre de Terra Nova et de l’Institut Montaigne (co-président)
  • Jean-Paul Tran Thiet, avocat – JPTT & Partners, Senior Fellow et ancien administrateur de l’Institut Montaigne (co-président)
  • Jean-Claude Cousseran, ancien ambassadeur
  • Jean Faber, haut fonctionnaire
  • Alice Gueld, rapporteure
  • Morgan Guérin, responsable du Programme Europe, Institut Montaigne
  • Leïla  Vignal,  enseignante-chercheure  en  géographie,  co-coordinatrice  du  Pôle  « Europe » de Terra Nova
Téléchargements: rapport ( 126 pages)