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Marc Lambrechts

La Commission européenne se trompe peut-être en se focalisant sur le seul niveau du déficit et non sur la croissance, disent des économistes.

En 1990, l’Italie a gagné le concours Eurovision de la chanson avec Toto Cutugno qui interprétait une chanson résolument européenne « Insieme: 1992 »: « L’Europe n’est pas loin. Ensemble, unis en Europe » chantait « L’Italiano ».

Aujourd’hui, l’engouement européen de l’Italie a bien changé, les hommes au pouvoir aussi, avec cette coalition populiste, très dérangeante à bien des égards. « Toto Cutugno reviens. Ils sont devenus fous », s’écrie ainsi l’économiste Marc Touati dans son livre « Un monde de bulles ».

Pour l’Italie, il est crucial d’éviter toute panique sur les marchés qui pousserait encore les taux vers le haut.

Cette semaine, la Commission européenne a recalé les plans budgétaires italiens. L’Italie a trois semaines pour rentrer dans les clous. À défaut, elle s’expose à une procédure en déficit excessif et à d’éventuelles amendes. En visant un déficit budgétaire de 2,4% du PIB italien en 2019, l’Italie a joué la carte de la provocation face aux autorités bruxelloises. La barre des 3% de déficit n’est pas très loin et avec une dette publique de 130% du PIB, l’Italie fait figure de cancre européen. « Ce qui est vraiment dommage, c’est que l’Italie a fait énormément d’efforts depuis une vingtaine d’années, bien plus que la France. Ainsi le solde budgétaire primaire de l’Italie (hors charges d’intérêt de la dette) est en excédent quasi ininterrompu depuis 1992 » dit l’économiste français.

Serait-on trop sévère pour l’élève italien? L’économiste belge Eric Dor souligne en tout cas que les deux camps ont un intérêt à trouver un compromis. Le directeur des études économiques de l’Ieseg School of Management à Lille a dressé le scénario catastrophe qui aboutirait à un « Italexit », une sortie de la Botte de la zone euro. Une sorte d’enchaînement infernal: dégradation des obligations de l’État italien au rang de « junk bonds » (obligations pourries), impossibilité pour les banques de la Péninsule d’encore se fournir en liquidités auprès de la BCE en déposant des obligations en garantie, recours à l’aide d’urgence (ELA) auprès de la Banque d’Italie sous la supervision de la BCE, perte de confiance des déposants, contrôle des capitaux et limites pour les retraits de fonds, panique sur les marchés, explosion des taux d’intérêt… Tout ceci pourrait mener à un Italexit, même en l’absence de toute volonté politique en ce sens.

©AFP

Le gouvernement de la Péninsule et les autorités européennes doivent renouer le dialogue, c’est une évidence. Pour l’Italie, il est crucial d’éviter toute panique sur les marchés qui pousserait encore les taux vers le haut. Un retour à une monnaie nationale qui se déprécierait face à l’euro serait particulièrement impopulaire car cela augmenterait le prix des biens importés et réduirait de manière drastique le pouvoir d’achat. Et le coût d’un Italexit serait bien trop élevé pour la zone euro. Les banques françaises sont particulièrement exposées sur l’Italie.

Pour Eric Dor, le problème italien, c’est surtout une croissance bien trop faible de l’économie. Difficile de réduire le ratio dette/PIB quand le PIB stagne ou décline. Dès lors, donner la priorité à la reprise de l’économie, avant de se concentrer sur les objectifs budgétaires, peut constituer la bonne tactique pour l’Italie, nous dit-il.

Mais bien évidemment, le pays doit s’évertuer à mettre en œuvre des mesures qui soutiennent la croissance à long terme. Pas sûr que les « cadeaux » italiens (abaissement de l’âge de la retraite, allocation universelle…) aillent dans ce sens. Eric Dor n’est pas le seul à tenir un tel discours. Sur son blog, l’économiste français Philippe Waechter pense également que la rigueur budgétaire n’est pas compatible avec la réduction de la dette publique si l’activité économique s’effondre. « La Commission se trompe en voulant se focaliser sur le niveau du déficit. La vraie difficulté est que les mesures proposées par le gouvernement de coalition ne sont pas crédibles pour restaurer une allure de croissance dans la durée. »

Le moment n’est-il pas venu pour chaque camp de mettre un peu d’eau dans son vin (italien)? Il n’est pas trop tard pour éviter la catastrophe redoutée.

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