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Samuel Piquet , Journaliste et ancien professeur de lettres, créateur de quamel.eklablog.com.

Grâce à Slate, j’ai appris qu’on pouvait tout savoir de la personnalité des gens qui participaient, en France, à une manifestation hétéroclite (en l’espèce, les gilets jaunes), le tout en étant tranquillement installé dans son canapé à Vancouver. Mais ce n’est pas tout, j’ai également découvert le pouvoir de l’alignement des noms et des expansions du nom sans aucun argument. C’est prodigieux. Aucun risque de caricature ni de prolifération de clichés, simplement de la pensée, brute, vraie, authentique. Et ce qui est encore plus prodigieux, c’est qu’on peut remplacer ces termes par d’autres très différents voire opposés, ça marche aussi bien, presque mieux même ! Démonstration.

> Voici un extrait du texte original sur Slate de Laurent Sagalovitsch :

 

Le retour du Français moyen, très moyen

« Ce n’est un secret pour personne mais le Français est de nature gueulard. Métaphysiquement insatisfait, philosophiquement râleur, psychologiquement malheureux, il traîne sa mauvaise humeur aux quatre coins de l’Hexagone. Rien ne va jamais. Tout part toujours en couilles : le pays, l’identité nationale, la jeunesse, les politicards, les élites mondialisées, les gens qui nous gouvernent qu’ils soient de droite, de gauche, du centre, les petits branleurs de la cité d’en face, les connards de tout bord qui empêchent les honnêtes travailleurs de vivre de leur labeur. Les étrangers qui n’en foutent pas une et s’empiffrent à nos dépends (sans « d » normalement, oui désolé, je corrige les fautes d’orthographe). Les assistés de tout poil qui se sucrent sur le dos des contribuables. Les glandouilleurs de travailleurs immigrés qui envoient tout leur blé au bled et vivent entre-temps des aides sociales. Alors que nous, c’est marche ou crève. Tout augmente, le coût de la vie, les prix des espadrilles, la part de pizza, la portion de Reblochon, la bouteille de rosé (…) Cette fois c’est l’essence. La fois prochaine, ce sera le papier-cul. Ou l’abonnement au câble. »

>> Gardons la structure du texte et ne remplaçons que certains termes et la plupart des expansions du nom :

Le retour du bon citoyen français, du citoyen français exemplaire

« Ce n’est un secret pour personne mais le citoyen français est de nature prétentieuse (ah oui, pardon, je corrige aussi les fautes d’accord). Métaphysiquement auto-satisfait, philosophiquement au-dessus du lot, psychologiquement fier de sa petite personne, il traîne son complexe de supériorité aux quatre coins de l’Hexagone. Rien ni personne n’est assez bien pour lui. Tout est toujours nauséabond. La francité rance, les Blancs, les vieux, les grincheux, la plèbe, les extrêmes, les bas du front, les gens qui manifestent et font grève, qu’ils soient d’extrême droite ou d’extrême gauche, les racistes et les sexistes de tout bord qui empêchent les honnêtes penseurs de dispenser la vraie pédagogie progressiste. Les Bidochon consanguins qui dépensent tout leur pognon au bistrot et vivent entre-temps des aides sociales. Les abrutis qui roulent encore au diesel alors qu’il suffirait de faire du vélib’, les éternels râleurs incapables d’apprécier à leur juste valeur le dernier iPhone, les Converse basses 70’s, la part de quiche aux légumes végane, Le spritz, le muffin au thé matcha (…) Cette fois, c’est des gilets jaunes, la prochaine fois ce sera quoi ? Des Crocs et un sac banane ?»

>> Poursuivons l’exercice en accentuant encore, comme le grand écrivain, les énumérations, surtout celles des adjectifs, afin de donner l’impression d’une richesse de vocabulaire voire d’une certaine exhaustivité :

« La France des aigris, des rassis, des mécontents de tout poil, de tout bord, de tout horizon. La France cocardière, la France qui rouspète comme d’autres p..ent, la France xénophobe, nationaliste, pas raciste pour un sou même si, il faut bien le reconnaître, on est de moins en moins chez nous. La France éternelle, poisseuse, ringarde, poujadiste, pétainiste, souverainiste, trumpiste. La France complotiste, zémmouriste, calculatrice. La France du repli, du chacun chez soi, du dénigrement permanent. La France du «tous pourris sauf moi et maman». La France du « c’était mieux avant ».

La France des privilégiés, des vaniteux, des fats, des contents de soi de tout poil, des beaux quartiers de toutes les très grandes villes. La France toujours coupable, la France qui méprise comme d’autres pissent, la France dédaigneuse, hautaine, pas condescendante pour un sou, même si, il faut bien le reconnaître, on est de moins en moins bien entouré. La France nouvelle, mielleuse, déracinée, la France résistante de 1946, bruxelloise, mondialiste, patriophobe, atlantiste. La France aux ordres, indigéniste, aveuglée. La France de l’ouverture aux extrémistes religieux, de la haine du local et de la province, du jugement petit-bourgeois permanent, la France du « tous pourris sauf les Parisiens et leur trottinette électrique », la France du « tout est mieux maintenant ». »

>> Maintenant, privilégions l’emploi de la subordonnée relative, afin de simuler la précision, et abusons des ruptures syntaxiques pour imiter la grande Christine Angot et pour faire aussi original que 98% des centaines de milliers d’auteurs contemporains :

« La vieille, la très vieille France. Qui crève de peur. Qui rêve d’autorité, de rétablissement de la peine de mort, qui n’a que le mot sécurité à la bouche. Qui trouve que Poutine sait y faire. Que Trump n’a pas raison sur tout mais que quand même, sur le fond, il n’a pas complètement tort. Qui veut des barbelés, des miradors à chaque carrefour parce que les étrangers, les migrants sont là, prêts à débarquer, à nous envahir, à nous chasser de chez nous. Qui trouve qu’on leur cache la vérité. Qu’on ne leur dit pas tout. Que les journalistes, ces vendus logés dans des palaces parisiens, passent leur temps à mentir, complices des politiques parisiens qui ne comprennent rien à la réalité du pays.

La France moderne, post-moderne, qui crie « nous n’avons pas peur et vous n’aurez pas ma haine car Paris est une fête, vite tous en terrasse! ». Qui rêve d’euthanasie à la demande, qui n’a que le mot « phobie » à la bouche. Qui trouve qu’Erdogan sait y faire. Qu’Hillary Clinton n’a pas raison sur tout quand elle méprise le peuple mais que quand même sur le fond, elle n’a pas complètement tort. Qui veut des petites filles voilées, des créneaux réservés aux femmes dans les piscines parce que c’est ça la vraie liberté, le véritable accueil de l’autre dans sa différence. Qui trouve qu’on ne lui (oui, je corrige aussi les fautes de syntaxe) cache rien. Qu’on ne lui dit que la vérité. Que les journalistes, ces chantres de l’honnêteté intellectuelle et de la neutralité absolue, ne sont jamais influencés ni par leur volonté de ne surtout pas faire le jeu du FN, ni par les milliardaires qui détiennent leur contrat de travail. Qu’ils sont toujours distants vis à vis des politiques parisiens qui comprennent tout de la réalité du pays.
»

>> Et comme une bonne conclusion dans un excellent papier ne se termine jamais sans insultes adressées à ses adversaires, ne dérogeons pas à la règle.

« La France des beaufs, des Dupont-la joie, des Bigard, de Jacquie et Michel, de Nadine Morano, la France vulgaire et grossière, la France qui au fond n’en a strictement rien à foutre de la France qui souffre vraiment, des sans-logis, des itinérants, des précaires, des enfants mal-nourris, des familles décomposées qui s’épuisent à rester dignes malgré le chômage, la pauvreté vraie, la mise à l’écart, la vie dans les taudis que personne ne veut voir.

La France sous son jour le plus blafard ».

La France des élites déconnectées, des BHL, des Castaner et Griveaux, de la GPA pour tous, de Daniel Cohn-Bendit et Romain Goupil, la France dédaigneuse et hautaine, la France insultante et humiliante, qui au fond crache à la gueule de ceux qui ne sont pas assez bien pour elle, des smicards, des Jiléjones, des illettrés, des fans de Johnny, des provinciaux, de la lèpre populiste, de ceux qui ne sont rien, des miséreux que personne ne veut voir. »

https://www.marianne.net/debattons/billets/

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Gilets jaunes: le retour du Français moyen, très moyen

[Blog, You will never hate alone] Cette fois c’est l’essence. La fois prochaine, ce sera le papier-cul. Ou l’abonnement au câble.

Des «gilets jaunes» à Nice le 15 novembre 2018 | Valery Hache / AFP
Des «gilets jaunes» à Nice le 15 novembre 2018 | Valery Hache / AFP

Ce n’est un secret pour personne mais le Français est de nature gueulard. Métaphysiquement insatisfait, philosophiquement râleur, psychologiquement malheureux, il traîne sa mauvaise humeur aux quatre coins de l’Hexagone. Rien ne va jamais. Tout part toujours en couilles: le pays, l’identité nationale, la jeunesse, les politicards, les élites mondialisées, les gens qui nous gouvernent qu’ils soient de droite, de gauche, du centre, les petits branleurs de la cité d’en face, les connards de tout bord qui empêchent les honnêtes travailleurs de vivre de leur labeur. Les étrangers qui n’en foutent pas une et s’empiffrent à nos dépends. Les assistés de tout poil qui se sucrent sur le dos des contribuables. Les glandouilleurs de travailleurs immigrés qui envoient tout leur blé au bled et vivent entre-temps des aides sociales. Alors que nous, c’est marche ou crève.

Tout pour les autres, rien pour ma gueule.

Cette fois c’est l’essence. La fois prochaine, ce sera le papier-cul. Ou l’abonnement au câble. Tous ces trucs décidés dans les ministères juste pour emmerder le peuple pendant que ces messieurs de la haute administration s’en mettent plein les fouilles. Tandis que nous, on crève debout. Oui, on crève. On n’en peut plus. On est à bout. Le frigo est vide, les moutards agonisent de faim, le clébard n’a plus à rien à béqueter, on n’arrive même plus à se chauffer, tout augmente, le coût de la vie, les prix des espadrilles, la part de pizza, la portion de Reblochon, la bouteille de rosé.

C’est la fin du monde, la fin des haricots, le début de la fin. Le matraquage fiscal, le matraquage tout court. Tout le temps. On en a marre. Marre, vous comprenez cela? Les impôts par-ci, les radars par-là, les taxes tout au long de l’année. Ras-le-bol. On veut notre mort, c’est pas possible autrement. La mort du peuple français. La strangulation du coq gaulois. La pendaison de la vache charolaise. Et pendant ce temps-là, à Paris, à Bruxelles, ces cochons de haut fonctionnaires ventripotent comme des porcs avec leur voiture de fonction, leur secrétaire particulière, leur bouteille de champagne au petit-déjeuner. Des enflures. Tandis que nous on trime, on tire la langue, on bosse nuit et jour sans que pour autant nos conditions de vie s’améliorent.

La France des aigris, des rassis, des mécontents de tout poil, de tout bord, de tout horizon. La France cocardière, la France qui rouspète comme d’autres p..ent, la France xénophobe, nationaliste, pas raciste pour un sou même si, il faut bien le reconnaître, on est de moins en moins chez nous. La France éternelle, poisseuse, ringarde, poujadiste, pétainiste, souverainiste, trumpiste. La France complotiste, zémmouriste, calculatrice. La France du repli, du chacun chez soi, du dénigrement permanent. La France du «tous pourris sauf moi et maman». La France du «c’était mieux avant».

La vieille, la très vieille France. Qui crève de peur. Qui rêve d’autorité, de rétablissement de la peine de mort, qui n’a que le mot sécurité à la bouche. Qui trouve que Poutine sait y faire. Que Trump n’a pas raison sur tout mais que quand même, sur le fond, il n’a pas complètement tort. Qui veut des barbelés, des miradors à chaque carrefour parce que les étrangers, les migrants sont là, prêts à débarquer, à nous envahir, à nous chasser de chez nous. Qui trouve qu’on leur cache la vérité. Qu’on ne leur dit pas tout. Que les journalistes, ces vendus logés dans des palaces parisiens, passent leur temps à mentir, complices des politiques parisiens qui ne comprennent rien à la réalité du pays.

La France des beaufs, des Dupont-la joie, des Bigard, de Jacquie et Michel, de Nadine Morano, la France vulgaire et grossière, la France qui au fond n’en a strictement rien à foutre de la France qui souffre vraiment, des sans-logis, des itinérants, des précaires, des enfants mal-nourris, des familles décomposées qui s’épuisent à rester dignes malgré le chômage, la pauvreté vraie, la mise à l’écart, la vie dans les taudis que personne ne veut voir.

La France sous son jour le plus blafard.

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