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Par Elijah J. Magnier

Traduction : Daniel G.

La volonté exprimée par le président Donald Trump de rester en Irak afin de « surveiller un peu l’Iran parce que l’Iran est un problème réel » a provoqué une tempête politique en Mésopotamie parmi les politiciens et les groupes locaux aujourd’hui déterminés à mettre fin à la présence américaine dans le pays. Ils sont nombreux à être révoltés par la déclaration, en disant que « les forces US s’éloignent de leur mission initiale de combattre le terrorisme, la raison pour laquelle elles sont autorisées à demeurer en Irak ». Le président irakien Barham Saleh a indiqué que l’administration américaine n’a pas demandé à l’Irak la permission de laisser ses troupes stationnées dans le pays « surveiller l’Iran ».

Les forces US sont déployées en grand nombre en Irak depuis 2014, lorsque Daech occupait le tiers du pays. L’administration Obama s’était bien gardée de se précipiter à la rescousse du gouvernement irakien, laissant ainsi la porte ouverte à l’Iran qui a agi rapidement en envoyant des armes et des conseillers militaires à Bagdad et à Erbil. La réaction intentionnellement lente des USA a poussé le grand ayatollah Sayyed Ali Sistani d’appeler à la mobilisation de la population, un appel qui est à l’origine de la création des Unités de mobilisation populaire (UMP), appelées Hachd al-Chaabi, qui ont réussi à stopper l’avance de Daech.

De plus, en réponse à une demande de l’Irak, un centre d’opérations militaires conjoint a été créé dans la « zone verte » où des officiers de haut rang russes, iraniens, irakiens et syriens sont toujours présents, afin de coordonner les attaques militaires et de partager les renseignements électroniques et autres sur les allées et venues de Daech et les mouvements de ses militants, de ses cellules dormantes et de ses dirigeants.

Les USA ont également offert d’effectuer des opérations de renseignement et des frappes aériennes contre Daech. Sauf que parallèlement à la réduction de la menace que représentait Daech, le nombre de militaires américains a plus que doublé, passant de 5 200 à 11 000 selon des sources au sein du gouvernement irakien. Certaines sources irakiennes affirment même que le nombre réel est beaucoup plus élevé, qu’il atteindrait jusqu’à 34 000 soldats américains répartis dans plus de 31 bases et emplacements, qu’ils partagent avec les forces irakiennes. Il n’y a pas de bases militaires à l’usage exclusif des forces US.

Les forces US sont officiellement basées au Camp Victory à l’intérieur du périmètre de l’aéroport de Bagdad, au Camp Al-Taji à 25 km au nord de Bagdad, à la base aérienne de Balad à 64 km au nord de Bagdad, au camp Al-Habbaniyah entre Ramadi et Falloujah, à l’aérodrome de Qay’yara à 300 km au nord de Bagdad, à la base de Kariz à Zummar, dans la province de Ninive, à la base aérienne de Kirkuk al-Hurriya, à la base de Bashur à Erbil, à la base de commandement et de contrôle de l’aéroport international d’Erbil, à Harir Shaqlawa Kurdistan à Erbil, et au champ pétrolifère d’Atrush à Duhok. Les forces US ont construit une nouvelle base aérienne proche d’al-Qaem à la frontière entre l’Irak et la Syrie, et une autre à proximité d’al-Rutbah à l’est de Ramadi, proche de la frontière syrienne. Les forces US ont une présence militaire intégrée aux forces de sécurité irakiennes dans divers emplacements et camps, principalement aux unités antiterrorisme. 

Trump s’est rendu à l’une de ces bases, Ayn al-Assad, pendant les vacances de Noël et du Nouvel An. L’entorse au protocole associée à sa visite a causé tout un émoi dans le pays, qui a amené bien des Irakiens à appeler le Parlement à expulser les forces US de l’Irak.  Les trois dirigeants irakiens (le président du Parlement, le président et le premier ministre) ont refusé de rencontrer Trump à la partie américaine de la base. Pour des raisons de sécurité, le président des USA a été forcé de garder le secret au sujet de sa visite dans un pays où se trouvent des milliers de ses militaires. Par contre, le ministre des Affaires étrangères iranien Mohammad Jawad Zarif est resté en Irak pendant cinq jours pour y rencontrer des représentants locaux à Bagdad, Nadjaf et Kerbala.

Des organisations irakiennes, qui luttent contre Daech depuis des années et qui, tout comme l’Iran, rejettent l’hégémonie des USA dans la région, ont menacé de s’en prendre aux forces US si elles ne quittaient pas le pays immédiatement. Cependant, des sources proches des centres décisionnels ont rapporté que « les groupes irakiens ne devraient pas attaquer les forces US immédiatement ». 

« L’Iran a demandé à tous ses amis en Irak de s’abstenir d’attaquer les forces US, en s’armant plutôt de patience en attendant le jour où les forces US refuseront de partir si jamais le Parlement approuve un projet de loi les adjoignant de retourner chez eux. En pareil cas, les forces US seraient considérées comme une force d’occupation et la résistance irakienne aurait la légitimité qu’il faut pour atteindre son objectif », a affirmé la source.

Ces organisations irakiennes surveillent de près le mouvement des forces US dans le pays. Elles perçoivent l’administration américaine comme une source de problèmes dans le pays et la région. La semaine dernière, les forces de sécurité irakiennes que sont les Hachd al-Chaabi ont forcé une patrouille américaine à revenir de mission, en les empêchant d’entrer dans la ville de Mossoul à pied. Les forces irakiennes jugent que les USA s’éloignent de leur mission qui est d’aider l’Irak à combattre le terrorisme, lorsque les forces US patrouillent des villes irakiennes à des fins d’entraînement.

Les Hachd al-Chaabi en veulent aux forces US, qui ont bombardé des forces irakiennes à la frontière entre l’Irak et la Syrie et qui ont fait des dizaines de morts. Des responsables américains s’en sont excusés à maintes reprises, en accusant Israël du bombardement et en promettant que pareilles « erreurs » ne se reproduiraient plus. Ces responsables américains craignaient la réaction des Hachd contre leurs propres troupes sur le terrain.

Selon des sources irakiennes, il faut au Parlement « plusieurs mois pour coordonner une mesure importante et préparer un projet de loi appelant au retrait des forces US du pays. Cette campagne devrait être dirigée par le chef sadriste Sayyed Moqtada al-Sadr ». Les USA craignent les groupes sadristes, en raison de leurs attaques répétées contre leurs forces pendant l’occupation de l’Irak entre 2003 et 2011. Les principaux responsables ayant attaqué et tué des membres des forces d’occupation US étaient des dirigeants sadristes qui dirigent aujourd’hui leurs propres groupes : Asaïb Ahl al-Haq, Kataïb al-Imam Ali et Harakat al-Nujaba.

Entre 2003 et 2011, les USA déclaraient eux-mêmes qu’ils constituaient une force d’occupation. Aujourd’hui, ces forces ont été invitées officiellement par le gouvernement central à Bagdad. Par conséquent, leur départ devrait se faire à la suite d’une motion parlementaire, conformément à l’article 61 de la constitution.

Le gouvernement irakien voudrait éviter une prise de position hostile à l’égard des USA et ne cherche pas à avoir Washington comme ennemi. Mais l’Irak ne veut pas non plus être perçu comme soumis et assujetti aux USA et à leurs politiques. Les USA comptent retirer leurs troupes de la Syrie (si les conseillers bellicistes de Trump lui permettent de le faire) pour les redéployer en Irak, ce qui aurait pour effet d’augmenter le nombre de militaires américains en Irak. Ce serait perçu comme une nouvelle provocation contre les Irakiens.

L’Irak coopère aussi avec l’Iran sur tous les fronts commerciaux, notamment sur le plan énergétique. Washington voudrait empêcher toute vente de pétrole iranien et aimerait s’assurer que l’Irak n’aide pas l’Iran ou ne devienne pas hostile à Israël.

Mais il est trop tard : les trois dirigeants irakiens (président, premier ministre et président du Parlement) sont plus proches de l’Iran que des USA. Ces dirigeants ne sont cependant pas reconnus comme hostiles aux USA, comme l’était par exemple Nouri al-Maliki. Sauf que Trump fait fausse route s’il croit que la Mésopotamie se pliera à ses quatre volontés et deviendra la plateforme de lancement d’une attaque sur l’Iran.

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