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amal clooney, Daesh, Lafarge-Holcim, les yézidis, Nadia Murad
Jean-Pierre Filiu est professeur des universités en histoire du Moyen-Orient contemporain à Sciences Po
L’avocate internationale Amal Clooney multiplie les actions en faveur des Yézidis, y compris contre le cimentier Lafarge-Holcim.

Amal Clooney et Nadia Murad, prix Nobel de la Paix 2018
L’épouse de George Clooney n’est pas qu’une des étoiles les plus suivies de la planète people (un site dédié analyse ainsi les composantes de sa toilette lors de ses principales apparitions publiques). Formée à Oxford et à New York, cette avocate internationale a assuré la défense, devant la Cour européenne des droits de l’homme, de l’ancienne Première ministre d’Ukraine, Yulia Tymoshenko (libérée en 2014 après deux ans et demi de détention) ou de la journaliste azerbaïdjanaise Khadija Ismayilova (emprisonnée pour sa dénonciation de la corruption, et finalement libérée en 2016). Elle a aussi conseillé l’agence Reuters dans le procès infligé à deux de ses journalistes birmans, qui avaient documenté un massacre perpétré par les forces armées à l’encontre de civils musulmans (la peine de sept ans de prison pour « violation de la législation sur les secrets d’Etat » a été confirmée en janvier dernier).
AMAL ET NADIA
Amal Clooney, dont le prénom signifie « espoir » en arabe, a grandi dans une famille druze, d’origine libanaise. Maîtrisant l’arabe, outre l’anglais et le français, elle s’est mobilisée dès l’été 2014 dans la dénonciation des atrocités perpétrées par Daech contre les Yézidis d’Irak. Cette minorité kurde, fidèle à sa religion ancestrale, bien antérieure à l’Islam, était violemment stigmatisée par la propagande jihadiste. Les Yézidis avaient déjà été frappés, en août 2007, par le plus sanglant attentat de l’Irak moderne, avec un demi-millier de morts. Les bourreaux de Daech trouvèrent ainsi en 2014 dans les très vulnérables Yézidis, privés d’une milice organisée et d’une diaspora puissante, la cible idéale de leurs massacres, de leurs pillages et de leurs enlèvements. Daech mit en place un véritable marché d’esclaves sexuels, où les femmes yézidies furent violées, vendues et soumises aux pires sévices.
Amal Clooney s’engage très tôt dans le conseil juridique de l’ONG Yazda, établie par des militants yézidis pour obtenir la reconnaissance d’un « génocide » à l’encontre de leur communauté et venir en aide aux survivants. Il s’agit de constituer les dossiers à charge de preuves et de témoignages sur ces crimes contre l’humanité, au moment même où Daech s’emploie méthodiquement à éliminer les témoins, à détruire les lieux de torture et à camoufler les fosses communes. Au-delà de ce travail de procédure, l’avocate comprend la nécessité d’incarner la tragédie yézidie dans la personne d’une de ses victimes: Nadia Murad, exploitée sexuellement par une douzaine de jihadistes, réfugiée dans un camp du Kurdistan d’Irak, puis bénéficiaire, en septembre 2015, de l’asile politique en Allemagne. Amal mobilise son carnet d’adresses au profit de Nadia, tandis que le couple Clooney, uni depuis septembre 2014, ne garde pas très longtemps le secret sur l’hospitalité accordée à un étudiant yazidi, à leur domicile familial.
DE l’ONU A L’ACADEMIE NOBEL
En septembre 2016, Amal Clooney assume officiellement la représentation de Nadia Murad et d’autres victimes yézidies dans une procédure d’inculpation des dirigeants et membres de Daech pour « génocide » devant la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye. Elle affirme que Daech « renaîtra sous d’autres formes si l’on ne change pas leurs discours et l’esprit des gens. Ils font du lavage de cerveau et je pense que le meilleur moyen d’agir contre eux, c’est d’exposer leur brutalité et leur corruption. On peut, en partie, faire cela à partir d’un procès ». Ce type de raisonnement n’est pas forcément bien perçu aux Etats-Unis, qui refusent avec constance d’adhérer à la CPI et n’acceptent que difficilement le jugement de jihadistes, même américains. Cette démarche porte en revanche ses fruits aux Nations Unies, dont le Conseil de sécurité adopte à l’unanimité, en septembre 2017, une résolution créant une commission d’enquête sur les crimes de Daech en Irak. Amal Clooney et Nadia Murad sont présentes dans la salle du Conseil lors de ce vote qu’elles qualifient d’ « historique ».
Leur campagne se poursuit avec la publication de l’autobiographie de Nadia Murad, avec préface d’Amal Clooney, bientôt traduite dans de nombreuses langues. En octobre 2018, c’est la consécration de la remise à Nadia Murad du prix Nobel de la Paix, partagé avec un autre militant de la lutte contre les violences sexuelles. Murad n’a plus besoin de son avocate pour poursuivre, cette fois seule, son combat pour les droits des Yézidis. Mais Amal Clooney continue d’être active sur son terrain professionnel, en décidant récemment de représenter les femmes yézidies dans la procédure ouverte contre le cimentier franco-suisse Lafarge-Holcim pour « complicité de crimes contre l’humanité ». « Le Monde » avait, par un patient travail d’enquête, révélé que le numéro un mondial du ciment avait, pour préserver son site syrien, financé jusqu’en 2014 différentes milices, dont Daech.
Amal Clooney, soulignant que cette procédure est une « première », y voit « l’occasion d’établir que Daech, et tous ceux qui l’ont aidé seront tenus responsables de leurs crimes et que leurs victimes se verront accorder une juste compensation ». Le jugement à venir pourra dès lors avoir valeur de précédent dans la lutte contre l’impunité des bourreaux jihadistes, mais aussi de leurs complices.