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Pour Maxime Tandonnet, l’instauration de drapeaux dans les salles de classe est une fausse bonne idée. Selon lui, ils ne serviront qu’à recouvrir d’un voile pudique l’échec d’une société à assurer la transmission aux nouvelles générations d’un patrimoine intellectuel.
Ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, Maxime Tandonnet décrypte l’exercice de l’État pour le FigaroVox. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, dont Les parias de la République (éd. Perrin).
Le drapeau tricolore est certes bien à sa place, unique, digne et solennelle, sur la façade des établissements scolaires. Elle marque ainsi l’appartenance de l’école publique à la communauté nationale. En revanche, le vote de l’Assemblée nationale, dans la nuit du 11 au 12 février, qui vise à imposer son déploiement dans chaque salle de classe, même accompagné du drapeau européen, soulève de multiples interrogations.
La salle de classe est le lieu de transmission de la connaissance et de l’intelligence par un professeur à ses élèves. Le symbole du drapeau, qu’il soit à connotation nationale ou européenne, l’appel à l’identification à la Nation, ou à l’Union européenne, n’a pas à s’ingérer dans la mission sacrée de la transmission du patrimoine intellectuel qui transcende les bannières. Tout drapeau est le signe d’une allégeance. L’éducation est d’un ordre bien différent qui est de fournir à chaque personne les fondements d’une culture, d’un esprit critique et d’une formation qui lui permettront de vivre dignement.
L’école et l’armée ont chacune leur vocation et leur grandeur. Mais elles ne doivent pas être confondues. La première a pour mission fondamentale la diffusion entre les générations de la culture et d’un savoir-faire. La seconde est consacrée à la défense de la Nation. Dans une démocratie libérale, leurs deux rôles doivent être clairement séparés. Le livre est à l’école ce que le drapeau est au régiment.
Le livre est à l’école ce que le drapeau est au régiment.
Cette mesure aurait bien évidemment un coût budgétaire élevé et elle ne servirait strictement à rien. Il est illusoire d’imaginer que la présence d’un ou deux drapeaux dans une salle de classe soit de nature à favoriser la discipline, le sens de l’autorité, ou le goût de l’effort. La présence d’un drapeau français dans les salles de classe aurait-elle au moins la vertu de faire aimer la France et de renforcer le sentiment d’unité nationale? Idem pour l’emblème européen? Même sous les Hussards noirs de la Troisième République, qui ont formé des générations de patriotes, le drapeau n’était pas ainsi exposé dans les salles de classe. Quand le crucifix a été ôté des murs de l’école, nul n’a eu l’idée saugrenue de le remplacer par le drapeau tricolore. Le drapeau partout finirait par tuer le drapeau. La banalisation d’un emblème est le meilleur moyen de le priver de toute signification.
Les politiques seraient mieux avisés de se pencher, non pas sur des mesures d’affichage destinées à flatter l’opinion, mais sur le rôle de l’école dans la transmission du patrimoine intellectuel qui est au cœur de la tradition nationale: où en sont les enseignements de l’histoire, de la littérature, de la philosophie, dans leur dimension nationale, mais aussi européenne et universelle? Hélas, il est infiniment plus facile de brandir un étendard pour exciter la foule que de s’intéresser à la question de l’état réel de l’apprentissage de ces sujets dans notre pays et sur les moyens de l’améliorer.
L’idée d’imposer le drapeau dans chaque salle de classe relève d’un esprit de renoncement. Le niveau scolaire français est dans l’ensemble frappé par un grave déclin dont toutes les études attestent: orthographe, mathématiques, lettres, sciences naturelles, histoire, géographie – Sciences Humaines, n°204, mai 2009: «Cette fois le niveau baisse vraiment». Par ailleurs, le QI moyen des Français s’effondre, à l’image de tout le monde occidental, mais encore plus marqué: voir le Point 4 juillet 2017, «Le QI des Français en chute libre». L’école, ou une partie d’entre elle, souffre de la violence et de non-respect des professeurs. L’inégalité des chances frappe plus fort que jamais, entre les bons collèges et lycées des centres-villes de la bourgeoisie française, et les établissements des banlieues populaires dont beaucoup se trouvent dans une situation alarmante.
À quoi sert l’école ? À placer des drapeaux un peu partout ou à faire en sorte que chaque jeune Français sache lire, écrire et compter ?
Et quand plus personne ne sait comment modifier en profondeur une réalité sinistre, on brandit des drapeaux tricolores ou d’autres avec des étoiles, comme des leurres, en espérant faire vibrer la corde émotionnelle. L’image de drapeaux partout dans les salles de classe est censée donner l’illusion d’une restauration de l’autorité. Pourtant, ces deux drapeaux ne serviront qu’à recouvrir d’un voile pudique l’échec d’une société, sans doute le pire de tous, à assurer la transmission aux nouvelles générations d’un patrimoine intellectuel. À quoi sert l’école? À placer des drapeaux un peu partout ou à faire en sorte que chaque jeune Français sache lire, écrire et compter?