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Une femme assise à une table dehors avec des feuilles de papier.Laurance Bussière, mairesse de Daubeuf-la-Campagne avec le cahier de doléances de ses citoyens. Photo: Radio-Canada / Yanik Dumont Baron

 

 

Yanik Dumont Baron

Les cahiers de doléances nés en réponse à la colère des gilets jaunes ont fait leur apparition un peu partout en France. Dans ces registres, proposés par les maires de régions rurales, les citoyens décrivent leurs frustrations, ils y écrivent leurs demandes aux élus. Voici ce que nous apprend le cahier du petit village de Daubeuf-la-Campagne, dans le nord de la France.

Respect : c’est le sentiment le plus répandu qui ressort à la lecture des pages des cahiers, souvent manuscrites. Ces Français s’attendent à être enfin entendus et respectés. Parfois écrites à la main dans une mairie, d’autres fois préparées à l’avance devant un ordinateur, les missives sont souvent détaillées.

Les cahiers de doléances de cette commune qui compte un peu plus de 220 habitants contiennent des messages directs. « Le peuple veut vivre et ne pas survivre, espérer et ne pas désespérer », peut-on lire en grosses lettres dans un des messages envoyés.

« Arrêtez immédiatement le mépris, l’arrogance, les mensonges », poursuit un autre, ajoutant qu’il faut « entendre la souffrance ».

« Arrêtons les phrases qui font mal! », écrit une personne qui demeure anonyme. Elle fait allusion aux petites piques, des phrases parfois maladroites prononcées par le président Emmanuel Macron qui sont perçues par une partie des Français comme des insultes. Il avait par exemple dit à un jardinier au chômage qu’il lui suffisait de traverser la rue pour trouver du travail.

Des demandes de citoyens sont écrites à la main sur des feuilles de papier.Exemple de demandes formulées aux élus français Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron

Opération « mairie ouverte »

Depuis le début du mois de décembre, quelques milliers de personnes ont contribué aux cahiers de doléances. Ceux-ci seront remis en intégralité au président, au premier ministre, au président de l’Assemblée nationale, au président du Sénat et à celui du Conseil économique, social et environnemental.

Un désir d’équité

Un sentiment d’injustice envers la classe politique ressort clairement parmi les doléances. Il est notamment question de diminuer les salaires et les avantages sociaux des élus. « Ces gens ont un salaire minimum de 5000 euros??? Quelle honte », peut-on lire.

Une autre personne demande de « supprimer les dépenses somptuaires et inutiles du gouvernement (vaisselles, salles de fête, piscine), contrôler les notes de frais des députés, ministres et président ». Les obsèques payées par l’État sont aussi dénoncées.

Un autre résident donne l’exemple d’Édith Cresson, qui a été première ministre durant 11 mois au début des années 90. À 84 ans, « elle bénéficie toujours d’une retraite de 4500 euros (mensuels), d’une voiture de fonction, d’un bureau et d’un secrétaire!! », s’indigne-t-il.

Un appel à l’aide

La rue d'un petit village avec des bâtiments en ruine.Dans les cahiers de doléances, les résidents de nombreux petits villages se disent délaissés par les élus. Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron

Dans ces pages, on perçoit aussi la détresse et l’isolement des villageois. Le mouvement des gilets jaunes, c’est en partie un cri d’alarme lancé par ceux qui habitent les zones éloignées et qui constatent que les services publics s’effeuillent avec le temps.

Être jeune aujourd’hui, dans la ruralité en France, c’est se battre… aucun transport en commun, aucun moyens (sic), aucune structure. Nous sommes les premiers à agir pour la planète et les premiers à subir les taxes. Condamner la jeunesse, c’est condamner la France.

Citoyen de Daubeuf-la-Campagne

Une coiffeuse dénonce les « petits salaires », accompagnés de la hausse du coût de la vie (assurance, essence, loyer). Elle demande au gouvernement d’aider « les petits commerces qui ferment les uns après les autres » et de « revoir l’aide pour les apprentissages pour les petits patrons pour qu’ils puissent s’engager davantage. »

Sur une feuille de papier sont écrites à la main les plaintes de certains citoyens français vivant dans des milieux ruraux.Des gilets jaunes dénoncent les conditions de vie dans les régions plus éloignées. Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron

Des besoins de réformes en profondeur

« Pays trop taxer (sic). Où vont nos impôts? » demande un participant, avant de lancer un appel aux grandes refontes démocratiques. « Changeons de président et de politique! Cessons cette politique. »

Ces demandes de changements en profondeur sont aussi bien présentes dans les pages du cahier de doléances. Il est souvent question d’annuler des réformes qui ont diminué les revenus des retraités, d’annuler les hausses sur les carburants (l’État y a déjà consenti).

Mais plusieurs demandes vont bien plus loin. Un couple réclame la « prise en compte de ces votes blancs et nuls dans toutes élections » et de « limiter le nombre de mandats à deux ». Pour rester en fonction plus longtemps, il faudrait accepter « que ça soit du bénévolat », proposent-ils.

Des demandes pratico-pratiques

Dans ces pages, on retrouve aussi des demandes plus près du quotidien des habitants des régions rurales. On réclame notamment un système de taxi-bus pour aider les gens à se déplacer vers les gares ou les grandes villes avoisinantes.

Ailleurs, on s’indigne parce qu’il y a « trop de galère (et trop de distance) pour faire des démarches administratives ». On réclame la fin de la « dégradation des services publics, presque inexistants en milieu rural (plus de postes, de cabinets médicaux). »

Une femme suggère que les villages accueillent des familles de migrants. « Ça pourrait souder autour d’un projet commun une population… entretenir une habitation abandonnée… combattre la montée du FN (maintenant Rassemblement national, le parti d’extrême droite dirigé par Marine Le Pen). »

Sur une feuille blanche il est écrit: « Cahier de doléances et de propositions (ce document sera transmis aux préfets et parlementaires) ».La page couverture du cahier des doléances Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron

Conclusion? Beaucoup de pain sur la planche

Ces quelques pages entrevoient de grandes possibilités de transformation de l’État français, de la relation entre les citoyens et leurs élus.

Mais les notes laissées à l’intention des élus laissent aussi entrevoir un certain cynisme. « On peut rêver! », conclut une dame. Un autre signataire rappelle que ces revendications sont « déjà bien connues » et déjà transmises par un « peuple français actuellement en colère ».

Au gouvernement de s’en saisir, donc.

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